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Elles ont transformé leur handicap en force

Par Marie Le Marois, le 6 mars 2020

Journaliste

Chaque année, le 8 mars revient et, avec lui, son lot de célébrations des femmes. Pourtant, il en est parmi elles dont on parle peu : les femmes en situation de handicap. J’ai choisi de recueillir le témoignage de cinq battantes. Toutes authentiques et lumineuses. Vérity, cavalière internationale aveugle et intrépide ; Nathalie qui a fait son ‘’coming out’’ sur les planches pour parler de son syndrome Gilles de la Tourette; tout comme Prescillia qui a dévoilé son autisme Asperger sur les réseaux sociaux. Mais aussi Aurélie, une jambe en moins, créatrice d’Handidream et Virginie, sourde de naissance, d’Handicapower. Elles ont réussi à transformer leur singularité en force, elles nous racontent.

 

Femmes et handicap : elles ont transformé leur différence en force 2Vérity Smith, cavalière Élite et artiste, est devenue progressivement aveugle suite à une maladie contractée à 5 ans. Elle ne perçoit que les variations lumineuses. Son handicap ne l’empêche pas d’accumuler les trophées dans les concours de dressage. Dans cette discipline, le cheval doit réaliser des mouvements d’élégance et de précision. Seule cavalière aveugle à se mesurer à ce niveau avec les valides, elle sera aussi la première à concourir aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris (2024) avec ce handicap.

« Quand je suis sur mon cheval, je vole. Alors qu’à terre, je suis un éléphant ! Mais si on m’offrait la vue aujourd’hui, je ne suis pas certaine d’accepter car je suis très heureuse avec mon handicap. D’ailleurs, ça n’en est pas un, sauf quand je rentre dans les portes ou me maquille comme un pot de peinture ! Dans mon parcours, j’ai eu la chance d’avoir deux passions avant de devenir aveugle – l’équitation et la musique – et des parents courageux. Ils m’ont laissée faire du saut d’obstacle, malgré les réticences des autres ! Ils estimaient que j’étais la seule à pouvoir jauger mes limites. Et c’est vrai ! On en a tous. Les miennes sont ‘’juste’’ physiques. La seule colline que je dois monter en raison de mon handicap est le comptage des foulées de mon cheval… et je suis nulle en maths ! Ma scolarité a été compliquée car je n’avais aucune assistance en classe mais j’ai eu la chance de la terminer dans un internat pour handicapés physiques. Là-bas, on avait tous perdu un membre – un bras, une jambe… – mais gagné autre chose. À commencer par la bonne humeur, l’humour et l’entraide. Ensemble, nous ne faisions qu’un, nous étions plus forts. C’est pourquoi je n’hésite jamais à demander de l’aide, même pour des choses intimes comme aller aux toilettes à l’aéroport (mon chien ne sait pas encore les reconnaître !). Je dois toujours faire face à des obstacles et trouver des solutions pour les contourner. Mais souvent, je tombe sur un chemin encore plus beau. En dressage, par exemple, pour pouvoir faire les reprises devant les lettres officielles, je me suis entourée de bénévoles qui sont mes yeux : ils me crient les lettres quand je m’approche (voir séance d’entraînement ici). Leur amour me porte. Je suis une battante, j’aime les challenges et je veux être la meilleure. Mais je suis réaliste aussi. À 15 ans, j’ai arrêté le saut d’obstacle devenu trop dangereux pour le cheval. À 18 ans, je participais au championnat du monde de dressage ! Je pense que je n’aurais pas autant réussi si j’avais été voyante. Moi qui étais hyperactive enfant, mon handicap m’a obligée à me concentrer sur ma passion et à la développer, appris à vivre l’instant présent et à l’apprécier, poussée à être davantage dans la profondeur et l’intériorité. Je ressens mon cheval, je suis totalement en symbiose avec lui, nos esprits fusionnent. Je vois les choses en plusieurs dimensions et dans leur globalité. J’ai développé mes quatre autres sens et même un cinquième : je sens les énergies, les corps subtils. Ma force aussi est de ne pas voir les dangers et donc de ne pas transmettre de stress à mon cheval. Je pars du principe que tout va bien ! Mais je n’ai pas peur de trébucher, de faire des erreurs. Dans la vie quotidienne, mon handicap est également une force. Je perçois les autres avec l’intonation de leur voix, leur énergie, leur beauté intérieure. Et non par leur beauté ou couleur de peau. On juge trop avec les yeux. La vision peut même rendre aveugle et sourd. Ne voyant pas, j’ai l’espace pour écouter l’autre. Après, tout n’est pas rose. L’année dernière a été difficile : Kit, mon cheval est tombé gravement malade, j’ai voulu tout arrêter. Puis, j’ai repris courage et trouvé un autre cheval que j’ai pu financer grâce à une campagne participative. Elle s’appelle Daisy de Nîmes. Avec Luna, ma nouvelle chienne blonde, nous formons les Spice Girls ! Et nous intervenons dans les écoles pour expliquer qu’on peut réussir là où personne ne nous attend. On a tous des handicaps mais quand on veut, on peut ».

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Femmes et handicap : elles ont transformé leur différence en force 3Nathalie, contrôleur analytique, est atteinte du Syndrome de Gilles de La Tourette. Cette maladie neurologique qu’elle a développée à 7 ans, se caractérise par des tics et des tocs. Les dates et les chiffres la rassurent.

« J’avais des crises de rage, je disais entre chaque phrase ‘’tu m’écoutes, tu m’écouteras’’, je me frappais le thorax, pinçais mes camarades de classe… Voilà mon quotidien enfant. Mes parents ne m’ont jamais emmenée consulter, ils étaient rétifs aux psys. Ils disaient que j’étais nerveuse comme mon père. C’est en tombant sur une émission, à 24 ans, en 1997, que j’ai compris que je n’étais ni folle, ni possédée. La personne dont le reportage parlait, c’était moi : onomatopées, gros mots, automutilation, besoin des chiffres pairs et de symétrie… Il m’a fallu dix ans pour me décider à contacter l’association spécialisée France Tourette : cinq ans de déni où j’ai fait la fête et organisé des soirées électro, deux ans pour admettre ma pathologie et trois ans pour accepter de me faire soigner. Le déclic ? La reprise de mes études à 31 ans, un DUT GEA option finance et comptabilité dont je suis sortie major de promotion. Si bien que le rectorat m’a offert une formation de contrôleur de gestion dont je suis sortie également major. Cette double reconnaissance m’a donné confiance en moi. J’ai fini par prendre rendez-vous en 2007 dans le centre référent, à la Pitié Salpêtrière, où le docteur m’a reçue avec un parterre de spécialistes. Ils voulaient notamment savoir comme j’avais réussi à canaliser tics et tocs. C’est bien simple : j’ai construit des rituels mentaux, notamment un tableau octogonal virtuel avec les prénoms de mes meilleurs amis que je répète en boucle en état de stress, d’inconfort ou d’euphorie. Ce mantra me rassure, me fait redescendre en pression. Je l’appelle ma ‘’Tomette de cœur’’. J’ai appris à respirer avec une sophrologue et adopté des techniques qui me rassurent : je ne porte pas de bijoux ni de chaussures à lacets, je ne mets que des cols en v, je me positionne toujours à droite de la personne. Mon rêve était de travailler à la CMA CGM, grande compagnie maritime. J’y suis parvenue en 2007 après trois entretiens. Ma passion des chiffres et la mémoire développée grâce à mes rituels mentaux m’ont permis de grimper les échelons et d’obtenir une belle promotion en 2018. Un mois après, poussée par deux super amis, j’ai présenté mon premier one woman show sur ma vie… Un coming-out car j’ai révélé pour la première fois publiquement mon handicap. Dans mon boulot, ils ne le savaient pas ! Depuis, je l’assume tellement que je viens de le faire valoir avec la Reconnaissance de la Qualité de Travailleurs Handicapés. Ça ne change rien dans mon travail mais c’est important pour moi d’être reconnue. Depuis 2017, j’ai un chéri. Depuis 2018, j’ai un super psy. Je gère mes tics, mes tocs et mes crises de rage. C’est un handicap visible que j’ai rendu non visible. Ce mal a fait de moi une force, et ses caractéristiques, un atout. Il a démultiplié ma ténacité, ma combativité, ma joie de vivre. Si un jour on trouvait un médicament, je le refuserais. Car mes tics et tocs sont mon identité. À 46 ans, je m’aime ».

 

Elles ont transformé leur handicap en forceAurélie, conseillère principale d’éducation en lycée et fondatrice de l’association Handidream. Elle a été privée d’une jambe à 17 ans à cause d’un chauffard.

Seize opérations et seize années plus tard, elle croque la vie à pleines dents. Cette Tretsoise danse le bebop et donne des cours de danse à des valides, fait de la boxe, de la planche à voile, du ski, du handbike et surtout monte à cheval avec sa prothèse, sans aucune limite. De mars à août, pour rendre l’espoir à d’autres blessés, elle a effectué un tour de France à cheval des centres de rééducation, avec son père, deux bénévoles et son chien (récit de ce périple dans nos pages ici). « Mon idée de départ était d’insuffler de la force aux accidentés – en mode super héros – mais j’ai reçu tellement plus, notamment des personnes qui nous ont accueillis pour la nuit, façon ‘’Pékin Express’’ ». Depuis son retour, la jeune femme, qui s’affiche avec sa prothèse sur les réseaux sociaux « pour dédramatiser le handicap », ne cesse de recevoir des témoignages : ‘’vous m’avez donné la pêche’’, ‘’ça y est, j’ai lancé mon entreprise’’, ‘‘J’ai réussi à passer mon permis de conduire !’’. Elle continue à porter haut son message d’espérance, donne des conférences – la dernière à Marseille, ‘’Défier l’impossible’’, forme les infirmières aux attentes des blessés et s’apprête à rencontrer la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées (NDLR, Sophie Cluzel, Marseillaise) « pour mettre de l’humain dans le handicap ». La famille Handidream vient de s’agrandir avec un mini poney shetland et un petit lapin. «Ils seront d’excellents médiateurs avec les petits patients réservés et en grande détresse. Une fois que l’animal a créé le lien, nous pouvons échanger sur les difficultés liées au handicap ». Elle envisage de reprendre ses interventions dans les écoles en PACA et rêve d’intégrer l’équipe de para-dressage aux jeux paralympiques. Sans hésitation, elle confie qu’à ce jour, sa différence est une force : « c’est grâce à elle que j’ai la chance de vivre à fond et de profiter de chaque instant, car j’ai compris le prix de la vie ».

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Femmes et handicap : elles ont transformé leur différence en force 1Prescillia est professeure des écoles et sportive de haut niveau en force athlétique (médaille de bronze aux Championnats du monde 2019). Le 14 juin dernier, deux jour après les championnats du monde, elle a publié sur les réseaux sociaux une vidéo annonçant son autisme Asperger.

« À 21 ans, j’ai sauté le pas, j’ai été voir le CRA (Centre Ressource Autisme). Après une batterie de test, le diagnostic a été posé : autisme Asperger. Il m’a fallu trois ans pour l’assumer complètement et le dévoiler publiquement. Je ne savais pas trop comment m’y prendre, ni si j’étais vraiment prête. Mais j’avais une certitude : je n’avais plus envie d’avoir honte. De cacher qui je suis, même si ce handicap ne me définit pas. Je n’avais plus envie de me forcer à apparaître ‘’normale’’ pour ne pas perdre mes amis, plus envie de m’obliger à sortir, aller dans des endroits inconnus, parler à de nouvelles personnes. Des petites choses toutes bêtes mais qui provoquaient crises de larmes et d’angoisse chez moi. J’avais peur d’être jugée, critiquée. J’ai tellement subi de moqueries, enfant !

J’ai sauté le pas grâce à un de mes amis de la fac – une des premières personnes à qui j’ai confié me sentir en décalage. Il m’a proposé de réaliser un court métrage d’espoir. Il appréciait ma démarche et trouvait mon histoire puissante. Cette vidéo (ici), je l’ai publiée sur les réseaux sociaux. J’appréhendais les réactions des gens, j’avais peur qu’on me traite de ‘’gogolito’’. Et en fait, beaucoup m’ont encouragée à ne pas avoir honte, à assumer qui j’étais. Certains ont même confié qu’eux aussi avaient été rejetés à l’école. Ces retours ont été un énorme soulagement : si les autres m’acceptent, je peux alors m’affirmer. Je n’ai plus peur du jugement, de mes tocs. Je tape des mains et parle de moi à la troisième personne quand je suis contente ? Je pleure quand je suis stressée ? J’assume. Ne plus être dans le contrôle a modifié mon tempérament. Je suis moins fatigable, irritable, sur la réserve. Plus gaie, plus épanouie. Et surtout, je suis moi-même. Mes relations ont profondément changé. Je me sens plus proches de mes amis, davantage comprise par mes collègues de travail à qui je peux dire à tout moment que je ne vais pas bien. Ils ont intégré par exemple qu’en salle des profs, si j’ai la tête ailleurs, ce n’est pas parce que je me moque de ce qu’ils disent. Mais parce que mon cerveau se déconnecte à cause du bruit. Dans le sport ? Les gens ont changé la représentation qu’ils avaient de moi : je ne suis plus la femme forte à qui tout sourit. Mais aussi un être humain qui a ses fragilités. Ça les rassure. Ma différence est devenue une force car elle me rappelle d’où je viens et ce que j’ai vécu pour en arriver là où je suis. Elle me rappelle de me battre et donner le meilleur de moi pour réaliser mes rêves parce que moi aussi j’ai le droit d’exister ».

 

Elles ont transformé leur handicap en force 2Handicapower. Sourde de naissance, Virginie sait parfaitement parler et comprendre autrui en lisant sur ses lèvres. Aujourd’hui, elle aide des personnes à se révéler, handicapées ou non.

« Ma surdité est plus qu’une force, elle est une chance. Mais il m’a fallu un long chemin pour le réaliser. Et déjà d‘accepter mon handicap ! Pas évident quand on veut être comme tous les jeunes de son âge. J’avais 8 ans quand j’ai pris en pleine figure ma différence. C’était lors d’un mariage où je ne connaissais personne. Une petite fille avec qui je jouais à chat perché a pris peur en m’entendant parler, son frère l’a réprimandée en lui disant « soit gentille avec elle, elle est handicapée ». C’était la première fois que j’entendais ce mot. J’avais grandi dans un petit village où tout le monde me connaissait. À partir de ce jour-là, j’ai vu dans le regard des autres, leur façon d’être avec moi, leurs conversations (je lis sur les lèvres) qu’en fait, ils me voyaient handicapée. Et… je me suis battue pour ne pas l’être. J’ai compris qu’ils me renvoyaient leurs propres peurs, leurs croyances, leur vision pessimiste. Exemple : mon prof principal me conseillait une petite fac de droit en province plutôt que la fac parisienne prestigieuse que je convoitais. Je ne l’ai bien sûr pas écouté, et j’ai non seulement obtenu mon diplôme de droit des affaires, mon diplôme d’avocat, mais aussi deux propositions de collaboration dans des grands cabinets. J’étais rentrée dans la norme… mais à quel prix !

Lorsque j’ai déménagé en Suisse avec mon mari et mes deux enfants (oui, entre temps, j’avais fondé une famille), j’ai fait une longue dépression. Moi la battante, la guerrière, je me suis écroulée quand j’ai appris que mon diplôme n’était pas valable en Suisse. J’avais surmonté l’Everest mais là, je n’avais plus de ressource. Je passais mes journées à pleurer, j’avais des pensées suicidaires. J’allais passer à l’acte quand mon mari a compris en voyant mon étincelle de vie éteinte. Il m’a envoyée de force chez une psychothérapeute. Ce fut une libération, je me suis reconstruite avec elle pendant trois ans, reconnectée avec mes émotions, découvert qui j’étais vraiment sous ma carapace. C’est avec cette nouvelle confiance en moi que j’ai travaillé dans un service juridique rattaché à la finance. Sauf que la finance, ce n’était pas du tout mon truc. Grâce à un coach, j’ai compris que je n’étais pas au bon endroit et qu’en fait le droit m’ennuyait. J’avais l’impression de passer mon temps à régler les problèmes, entre les miens et ceux des autres. Je voulais être utile. Je suis alors devenue cadre dans une grande compagnie d’assurance. Avec zéro moyen, j’ai formé 3 200 agents à l’accueil du handicap, équipé en accessibilité 200 agences et surtout étendu les produits à tous les usagers, handicapés ou non (avant, il fallait prendre une assurance spécialisée pour assurer par exemple un fauteuil roulant). Un tour de force auquel, encore une fois, personne ne croyait. Ma direction en premier. C’est là où j’ai saisi les compétences développées grâce à mon handicap : mon audace, mon côté philosophe et en même temps guerrière, ma capacité à toujours trouver des solutions, à m’adapter à n’importe quelle situation, à savoir prendre du recul et saisir les enjeux, à comprendre les intentions réelles des gens (grâce à la communication non verbale), à fédérer 40 personnes autour d’un projet qui fait sens. Mais là encore, trop de stress, de pression, de batailles. Mon énergie, je l’ai mise au service de personnes emprisonnées par des freins, des peurs et croyances intérieures. Je les amène à avoir suffisamment confiance en eux pour passer outre le regard des autres, à saisir leur force. À la demande des entreprises, je fais des conférences sur le handicapower. Montrer que, oui, le handicap peut être positif ». ♦

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* Le FRAC Fonds Régional d’Art Contemporain parraine la rubrique « Société » et vous offre la lecture de cet article dans son intégralité *