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Armer les femmes contre le sexisme

Par Agathe Perrier, le 6 octobre 2021

Journaliste

Riposter plutôt que subir une remarque sexiste, ça vous paraît fou ? Peut-être moins depuis que ce sujet est porté sur la place publique par des mouvements comme #MeToo. C’est en tout cas le combat mené par Elsa Miské, trentenaire et Marseillaise d’adoption qui, à l’image de toute une génération finalement, rêve d’une société plus inclusive pour les femmes.

 

Podcasteuse, créatrice de jeux de société, consultante et formatrice en stratégie digitale, récemment youtubeuse et bientôt restauratrice. Difficile de placer Elsa Miské dans une case. Pas étonnant puisque, elle le reconnaît, elle s’ennuie vite et aime lancer des projets avant de les laisser entre de bonnes mains pour en démarrer d’autres. Tous ont en commun d’être engagés. Son premier : « Slice up », une asso pour former des journalistes africains à la production vidéo afin qu’ils racontent eux-mêmes leurs histoires. On est en 2016 et la jeune femme se bat alors surtout contre le racisme. Avant de glisser vers une autre cause, celle du féminisme. Une évidence tant elle est bercée dedans depuis l’enfance.

 

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Elsa Miské sur son compte Instagram Le Zazemistan

Féministe de mère en fille


Ce petit bout de femme a grandi à Paris. Elle détestera sûrement cette formule. Pourtant, une recherche internet montre qu’elle lui correspond bien. Cette expression est utilisée « plutôt de manière affective ou positive, pour dire d’une femme qu’elle est petite évidemment, mais qu’elle a quand même du caractère malgré les apparences ». Du caractère, Elsa Miské n’en manque pas en effet. La façon dont elle lutte contre le sexisme et le patriarcat l’illustre bien. Un engagement « hérité » de sa mère. « Elle était au MLF quand elle avait 18-19 ans (ndlr : Mouvement de Libération des Femmes, fondé en 1970, féministe, autonome et non mixte, il revendique la libre disposition du corps des femmes et remet en question la société patriarcale). Toutes ses copines étaient aussi hyper féministes. C’est sûr qu’elle m’a donné l’exemple », confie la jeune trentenaire, voix douce et posée.

Sujet libre dans le cercle familial, parler de sexisme demeure néanmoins longtemps tabou dans la société. Quand la glace se brise lentement, grâce à des mouvements tels que Paye ta shnek en 2012 en France – fondé par Anaïs Bourdet qui recueille des témoignages de femmes victimes de harcèlement de rue – ou #MeToo – plus international –, Elsa Miské veut y prendre part. « Plus le temps passait, plus j’ai conscientisé les violences que j’ai pu subir à l’école, dans la rue, au travail. En en parlant avec mes amies, je me suis rendu compte qu’on a toutes vécu du harcèlement et des violences, certaines plus graves que d’autres ». Avec Anaïs Bourdet justement, et la journaliste Margaïd Quioc, elles créent « Yesss ». Un « podcast de warriors » qui ne se contente pas seulement de livrer des témoignages, mais relate des victoires de femmes sur le sexisme.

 

 

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Anaïs Bourdet et Elsa Miské, deux des trois fondatrices du podcast Yesss, avec Margaïd Quioc © Marie Le Marois

Une boîte à outils pour les femmes

Entre témoignages et victoires, la différence est énorme. « Avec ce podcast, on a envie de mettre en avant des histoires qui donnent la pêche, de l’espoir, car il y a plein de femmes qui ne se laissent pas faire, qui envoient chier les mecs. Et ce ne sont pas des Michelle Obama, mais des meufs normales, des personnes qu’on peut croiser dans la rue », souligne Elsa Miské, la verve plus enflammée. Une bouffée de confiance à chaque écoute et des petites graines plantées dans les esprits. Et c’est bien là le but : donner aux auditrices des armes pour riposter lorsqu’un homme les harcèle – dans la rue, au travail, à la maison, en vacances… – et pour se défaire des stéréotypes que la société rabâche depuis des décennies – d’où des épisodes ayant pour thème le sexisme à la télé, dans le sport, la maternité, l’art, les médias…

Au total, 42 épisodes sont sortis en tout juste trois ans, à quelques jours près (bonus). Un million d’écoutes en cumulé et des milliers de retours provenant de femmes à l’assurance reboostée. De ce podcast est né un autre projet : Moi c’est Madame. Un jeu de société pour s’entraîner à répondre à des remarques sexistes. « Ce n’est bien sûr pas facile, d’où l’idée de s’exercer ».

L’objectif de tous ces projets est de donner aux femmes des outils clés en main pour se défendre. Ce ne sont évidemment pas les seuls existants. D’autres ont aussi lancé les leurs, notamment sur les réseaux sociaux (bonus). Preuve selon Elsa Miské que le besoin est là. Cette diversité est d’ailleurs nécessaire à ses yeux, à tous les échelons, afin de s’assurer que toutes les femmes aient à disposition une solution qui leur convienne. « On est tous complémentaires. L’important est que chacun agisse avec ses compétences car c’est comme ça qu’on donne le meilleur », considère celle qui a mis son expertise en communication au service des autres.

Armer les femmes contre le sexime
Exemple de cartes du jeu Moi c’est madame

Fuck les cases, non ?

Plus récemment, en mai dernier, c’est sur YouTube que cette infatigable créative s’est lancée. Elle ouvre les portes de son Zazémistan à des invités pour rédiger, avec eux, la constitution de cet État fictif et utopiste. « Une république non binaire, non bananière, safe et inclusive » au cœur d’un talk-show utilisant l’humour pour parler de sujets tabous ou qui fâchent, à l’instar de la transidentité, le racisme, l’appropriation culturelle… « On s’autorise à rêver et à imaginer ce que ferait l’État dans un monde idéal », expose Elsa Miské.

Une activité qui lui prend énormément de temps actuellement, mais ne l’empêche pas de préparer la suite. À savoir l’ouverture d’un restaurant africain pour faire découvrir les spécialités culinaires du berceau de l’humanité. Une culture qui est un peu sienne, ses racines paternelles étant mauritaniennes. Avec ce projet, c’est en tout cas une casquette de plus que coiffe cette « slasheuse » (bonus). « Serial entrepreneuse » diraient d’autres. Faut-il vraiment en trouver un après tout ? Ce n’est sûrement pas à elle que cela va déplaire de ne pas rentrer dans une case.

Bonus :

  • Quelle suite pour Yesss ? – Le podcast est en pause depuis mai 2021, date du dernier épisode. Quelques changements sont à venir. Anaïs Bourdet a en effet quitté l’équipe. Elsa Miské et Margaïd Quioc vont néanmoins poursuivre le projet en gardant son ADN. Retour prévu début 2022.
  • D’autres outils pour s’armer contre le sexisme – Hormis Yesss et Moi c’est Madame, voici quelques exemples de comptes Instagram pour éveiller au sexisme ordinaire de notre société (liste non exhaustive) : Punchlinettes, Badasss, Powher ou encore T’as joui ?
  • Quelques chiffres sur le sexisme – D’après l’étude #MoiJeune, réalisée par OpinionWay pour 20Minutes en mars 2019, 99% des femmes ont déclaré avoir été victimes d’un acte ou commentaire sexiste cette année-là. 87% des victimes d’actes sexistes sont des femmes et 91% des mis en cause sont des hommes. Par ailleurs, le deuxième et plus récent rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dressant un état des lieux du sexisme en France est à retrouver en cliquant ici (mars 2020).
  • Slasheur/slasheuse – On appelle « slasheurs » des travailleurs qui exercent plusieurs activités, en référence au signe « / » qui sépare les différentes activités quand ils les énumèrent (notamment sur LinkedIn). Exemple : Consultante en communication / Coach de dirigeants / Créatrice de bijoux. Les slasheurs sont des travailleurs qui ne se reconnaissent pas dans le choix d’une voie unique. Ils sont davantage généralistes et polyvalents que spécialistes d’un sujet. Plus d’infos en cliquant ici.