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Enfants placés : des villages pour maintenir les fratries

Par Marie Le Marois, le 16 décembre 2022

Journaliste

1000 enfants bénéficient du dispositif de SOS Villages d'Enfants France @Marcelle

En France, environ 150 000 enfants sont confiés à l’ASE (Aide sociale à l’enfance). Parmi eux, des frères et sœurs. Pour les maintenir ensemble, sur une longue durée, l’association SOS Villages d’Enfants leur offre une vraie maison avec un référent à demeure. Il existe 17 villages dont un à Marseille. Ce dispositif, né en 1956 dans le Nord, est en pleine croissance avec quatre villages en construction. Loin des scandales à répétition qui secouent la protection de l’enfance.

Maison SOS VE
Le village de Marseille compte 10 villas dans la pinède @Marcelle

Un sapin. Un père Noël. Des pop-corn, des crêpes, des bonbons. Des rires, de petites larmes de fatigue aussi. Les 62 enfants du village de Marseille fêtent Noël. Chaque maisonnée a préparé un spectacle et confectionné une bûche. Garnie d’une ganache au chocolat blanc, roulée à l’abricot ou parsemée de mandarines confites, toutes succulentes. Les enfants – dont la moitié a moins de 6 ans – sont répartis entre dix villas disséminées dans la pinède, au cœur du parc du Roy d’Espagne, à Marseille

Inauguré en 1972, ce SOS Villages d’Enfants est celui qui possède la plus grande capacité d’accueil. En général, deux fratries de quatre à cinq enfants vivent dans chaque villa. Tous ont un parcours familial cabossé. Retirés à leurs parents, par ordonnance du juge, pour manque de soins ou maltraitance.

« Nous avons de plus en plus d’abus sexuels parce qu’ils se détectent mieux », confie Chérifa Chambazi, la directrice du village, à la fois ferme et chaleureuse. Le village, tel qu’il est conçu avec ses maisons individuelles, offre une nouvelle vie stable et sécurisante aux enfants. D’autant plus précieuse que la majorité est confiée pour une longue durée.

 

♦ La loi relative à la protection des enfants – dite « Loi Taquet » – du 8 février 2022 vise à améliorer la situation et la sécurité des enfants placés. Parmi les mesures, le placement des enfants dans l’entourage proche avant d’avoir recours à l’aide sociale à l’enfance. Détails ici

 

Une trentaine de professionnels

Sos Villages d'Enfants Audrey
Audrey Samot, la cheffe de service du village @Marcelle

SOS VE est « la troisième voie », entre la famille d’accueil et le foyer éducatif. Ce dispositif présente deux avantages : outre d’accepter les fratries, « il offre un soutien affectif grâce à la présence jour et nuit d’une éducatrice familiale », souligne Audrey Samot, la cheffe de service du village. Depuis qu’elle a rejoint le village il y a trois ans, après avoir « bossé dans des foyers éducatifs », cette femme lumineuse observe que les enfants du village sont plus épanouis que ceux du foyer. « Et pourtant ils connaissent les mêmes problématiques ». Elle estime, avant de présenter son spectacle de Zumba devant les enfants, que la force de SOS VE est son équipe pluridisciplinaire. Et cite le leitmotiv de l’association : ‘’Il faut tout un village pour faire grandir un enfant’’. 

L’équipe est composée d’une quarantaine de professionnels : responsables des programmes éducatifs, éducatrices familiales (anciennement appelées ‘’mamans SOS’’), psychologues, éducateurs spécialisés, coordinatrice scolaire… Chacun a un rôle bien défini et complémentaire. Si l’éducatrice familiale peut aussi bien s’occuper de ’’ses’’ enfants, c’est parce qu’elle s’appuie sur une équipe.

 

 

Dix éducatrices familiales

Sos Villages d'Enfants céline
Céline, aide familiale avec la dernière de ses  »protégés » @Marcelle

Les éducatrices (ou éducateurs) familiaux vivent jour et nuit dans la maison qui leur a été attribuée. À Marseille, on ne compte que des femmes. Elles ont entre 30 et 60 ans, travaillent environ trois semaines et sont remplacées pendant six à dix jours par l’aide familiale avec qui elles forment un binôme. Elles donnent aux enfants la sécurité affective et l’éducation dont ils ont besoin pour grandir et s’épanouir.

Céline est responsable de la ‘’Villa 1’’ avec Nadine. Comme tout parent, elle s’occupe entièrement du foyer, habité par deux fratries (trois et deux enfants) : les courses, les repas, le linge. Les allers-retours à l’école et à la crèche. La petite histoire du soir. Les activités du week-end et même les vacances. La jeune femme de 30 ans montre fièrement les photos de l’été dernier où l’on voit ses ‘’protégés’’ s’amuser dans un parc aquatique, près de leur camping. Elle gère également le budget – 700 euros alloués par la directrice chaque mois, « pour les courses, le carburant et les activités ».

 

…constamment formées

Sos Villages d'Enfants chambre
Au village de Marseille, chaque enfant a sa chambre @Marcelle

Céline a connu l’association en 2015 par le biais de l’intérim. Elle a commencé comme TISF (technicienne d’intervention sociale et familiale) après son BTS ESE (économie, sociale et familiale). D’autres, plus âgées, avaient un autre métier auparavant (comptable, sage-femme, artisan…) ou étaient femmes au foyer. Elles sont sélectionnées, surtout pour « leur savoir-être et leur esprit d’engagement ». Ce qui implique un accompagnement soutenu (voir bonus) et des formations régulières. Céline, par exemple, vient de suivre un module sur les violences sexuelles, au siège de l’association, à Paris. Il arrive que, malgré ses bonnes intentions, l’accueillante ne parvienne pas à gérer sa villa. « On lui apporte alors un soutien, notamment grâce au travail des psychologues », insiste la directrice. 

Parfois, l’accueillante stoppe l’aventure. Trop difficile : la présence jour et nuit, les écarts d’âge, l’équilibre ‘’vie perso/vie pro’’. Céline a trouvé la solution : elle amène ses résidents dans sa famille à la moindre occasion, avec l’accord de la directrice. Pour rien au monde, elle n’arrêterait son job. Elle aime « la continuité avec les enfants, les accompagner, les voir grandir ». Elle précise qu’elle n’est pas leur maman. Mais il n’empêche, « le lien est très fort ». Elle s’oblige à prendre du recul. Mais c’est dur, notamment lorsqu’une fratrie quittera villa. Il n’y a jamais de contact avec les parents. Chacun son rôle et celui-ci est dévolu aux éducateurs spécialisés.

 

♦ L’actrice Anny Duperey, une des marraines de SOS Village d’enfant France, explique sur le site de l’association : « Séparée depuis l’enfance de mes parents et de mon unique sœur, je sais quelle souffrance et quelle solitude peut ressentir un enfant privé des siens ».

 

Cinq éducateurs spécialisés 

Sos Villages d'Enfants Robin
Distribution des bûches par Robin @Marcelle

Ils sont cinq éducateurs spécialisés dans le village, dont un dédié aux ados et jeunes adultes. Leur rôle ? Être garant du projet de l’enfant défini en amont par l’ASE. Robin « éduc spé depuis 12 ans au village » a, par exemple, travaillé avec Johanna et son frère Jérémy sur leurs carences éducatives – « ils allaient très peu à l’école » – et médicales. Il a également travaillé sur des soins psychologiques pour le grand frère, victime de maltraitance du père. En revanche, « malgré la violence entre les parents, ils avaient reçu un bon socle d’amour ». C’est lui qui emmène à chaque fois les enfants aux différentes consultations. 

Son autre rôle, et non des moindres, est d’œuvrer pour « le double attachement » : faciliter le lien avec la responsable de la villa mais aussi maintenir celui avec le parent. « Sauf si le juge décide qu’il est trop nocif », ce qui est le cas pour une quinzaine d’enfants du village. Car, l’objectif de la dernière réforme de la protection de l’enfance, rappelle la directrice, est de « remettre les parents au cœur du sujet ». Le village est doté d’une maison commune. Parents et enfants peuvent s’y rencontrer, dans le cadre d’une visite libre ou en présence d’un éducateur, et partager un repas. À partir des droits définis par le juge.

 

Et les parents ?

Carte des villages d'enfants en 2021
Carte des villages d’enfants en 2021

Dans le cas de Johanna et son frère, Robin s’est chargé, toujours avec l’ASE (Aide sociale à l’enfance), du rapprochement avec la mère. D’abord deux visites médiatisées d’une heure et demie par mois, « puis, quand on a vu le comportement positif de madame, nous lui avons accordé des sorties libres ». D’abord deux heures puis des journées entières. Puis une nuit chez elle, puis deux. Des décisions prises à chaque fois en concertation avec les enfants et après une évaluation de la mère par les services de l’ASE.

Comment savoir si la relation se déroule positivement ? L’éducateur spécialisé est en vigilance permanence, avant et après chaque visite. « Et même s’il n’y a pas de mots, on observe les comportements de l’enfant avec la responsable de la villa : s’il dort bien, s’il mange bien, etc. Ce sont de bons signes ».

 

En sécurité, les langues se délient

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Chérifa Chambazi devant la maison commune @Marcelle

Depuis un an et demi, Johanna et son frère vivent à plein temps chez leur mère en PAD (Placement à domicile). Ce dispositif permet à l’enfant de retourner chez lui tout en maintenant un accompagnement soutenu d’une équipe éducative. Et une solution de ‘’répit’’, au moindre problème, dans un foyer. « Pour l’instant, tout va bien pour cette fratrie ».

Ce n’est pas le cas pour une autre à nouveau placée, deux frères dont il montre la photo au mur. Robin est en contact en permanence avec l’ASE mais aussi la brigade des mineurs. Il vient d’ailleurs d’achever une conversation téléphonique avec eux, au sujet de trois soeurs de 4, 6 et 9 ans placées il y a deux ans. Elles ont révélé il y neuf mois des attouchements sexuels paternels. « Il arrive souvent qu’une fois en sécurité, les langues se délient ». Mais ce professionnel au sourire doux reste étonné par la résilience de ces enfants, habités par la joie.

 

62 enfants

Sos Villages d'Enfants les danseuses
Les danseuses après leur spectacle de danse @Marcelle

Justement, voilà la bande de copines – Julia, Mathilde, Joy et Kyni. Elles viennent de terminer leur spectacle de danse pour la fête de Noël. Toutes habitent des villas différentes. L’une est là depuis neuf ans. C’est Mathilde. Elle ne se souvient pas de son arrivée, à 4 ans, « si ce n’est d’un malaise à cause de mon diabète ». Cette collégienne, qui pratique la danse classique au centre socio-culturel, voit toujours sa mère mais pas son père avec lequel elle a « de mauvaises relations ». Elle apprécie être au village et pas dans « un vrai foyer où tu es plusieurs dans la même chambre et du même âge ». « Ici, c’est plus familial », ajoute Joy. « C’est comme une famille, tu es proche des autres, tu as comme des sœurs », renchérit Kyni qui adore son accueillante, « la meilleure ». Mathilde, elle, trouve « sévère » la sienne. « Mais bon, c’est comme tous les parents ».

 

Et certains reviennent même de temps en temps

SOS VE photos des vacances
Photos des vacances de Céline au camping de Carry avec les filles. @Marcelle

Mylan ne vit plus au village mais dans un foyer pour jeunes. Il garde de bons souvenirs de son passage ici, bien qu’à la fin, il en avait « un peu marre car trop de petits ». Il a été placé avec sa sœur qui vivait, elle à l’Espace Transition, pour les ados (voir bonus). « Et tant mieux car on s’embrouillait beaucoup ».

La directrice, tout en faisant éclore les pop-corn, opine, « en général, c’est bien que les fratries soient ensemble, sauf dans certaines situations ». Il arrive en effet que la fratrie « ne fasse pas ‘’ressource’’ et empêche le développement de chacun ». Lorsque l’un d’entre eux reproduit ce qui se passait à la maison ou accuse l’autre d’être l’origine du placement. Mylan a vécu des débuts difficiles, « il a été plusieurs fois dans mon bureau mais dès qu’il a élaboré son projet, nous l’avons encouragé », raconte Chérifa Chambazi. Il est aujourd’hui un jeune homme épanoui, alternant lycée hôtelier et apprentissage dans la boulangerie du quartier.

 

   

Deux psychologues pour les enfants…

Bûche de la villa 10 @Marcelle

Deux psychologues travaillent sur le site, avec des villas attitrées. Toujours dans le même but d’apporter une sécurité affective à l’enfant. Et c’est bien là leur rôle : l’accompagner dans son développement psychoaffectif. Par conséquent, ces professionnels ne sont pas en lien avec les parents : « rôle des éducateurs spécialisés », précise Marie Mandray.

Cette psychologue, référente de six villas, indique que son travail commence dès l’arrivée de l’enfant, avec une évaluation. A-t-il besoin d’orthophonie ? De psychomotricité ? D’un suivi psychologique ? De psychiatrie ? Cette quadra, arrivée en mars 2021, fait ensuite le lien avec les différents intervenants, certains œuvrant directement sur place. « On a mis en place un espace thérapeutique au sein du village. C’est une spécificité de Marseille ».

 

…et pour les accueillantes

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Les enfants du village passent souvent voir les personnes âgées de l’Ehpad voisin. Et jouer à des jeux de société avec eux @Marcelle

Les psychologues ne proposent pas de thérapies aux enfants, « on n’a pas le temps ». Mais les voient en consultation « en cas de crise ou quand ils le demandent » et gèrent les conflits dans et entre les fratries. Par exemple ? Des rivalités entre deux fratries d’une même villa car l’une peut voir ses parents, et l’autre non. « C’est une grande souffrance pour les enfants », explique cette mère de trois enfants qui met alors en place temps d’échange et résolutions de problème. Comme dans n’importe quelle famille.

Marie Mandray, qui pointe l’excellent travail de collaboration avec toute l‘équipe, soutient également les accueillantes dans les difficultés qu’elles peuvent rencontrer avec les enfants. Et leur apporte un support psycho-éducatif. La psychologue partage par exemple avec elles les outils de Discipline Positive présentés par Béatrice Sabaté elle-même, psychologue qui a popularisé ce mode d’éducation en France. « L’idée est de les former toutes sur les trois années à venir », se réjouit la directrice. 

Cette démarche s’appuie sur un cadre à la fois ferme et bienveillant, sur l’encouragement et la coopération. Elle rend l’enfant acteur de son développement.

 

♦ Besoins – Des dons financiers et des postes d’éducateurs/aides familiaux à pourvoir : 04 91 72 74 80

Un éducateur scolaire 

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Séquence Père Noël @Marcelle

Le village compte également un coordinateur scolaire, « en charge de faire le lien entre les écoles et le village, mais aussi de suivre chaque élève », précise Audrey Samot, la cheffe de service. Il s’appuie sur une dizaine de bénévoles pour le soutien scolaire. L’objectif est de leur donner les mêmes chances que les autres. Car les enfants placés souffrent en général d’un important retard, quand ils n’ont pas quitté les bancs de l’école avant leur majorité. SOS VE Marseille compte également un responsable des programmes éducatifs, des agents d’entretien, un comptable. Tous indispensables.

La fête de Noël tire sur sa fin. Certains dégustent encore crêpes, pop-corn et barbe à papa. D’autres sautent dans le château gonflable. Le 24 décembre, chaque fratrie célébrera le réveillon dans sa maison d’accueil.♦

 

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Bonus

  • Recrutement : Un premier filtrage se déroule au siège à Paris avec un chargé de recrutement, suivi d’une semaine d’observation dans le village puis d’un poste en doublage. Et enfin, d’un parcours d’intégration qui prend entre six mois et un an, « tout dépend des besoins et des antécédents des accueillantes, certaines travaillaient déjà dans le social auparavant », explique la cheffe de service. Détail sur le profil du poste et le recrutement ici. Offres d’emploi ici
  • Ados et jeunes majeurs : La dernière réforme veut éviter les ‘’sorties sèches’’ des enfants placés à 18 ans. Sur le village de Marseille se trouvent l’Espace de Transition (où vivent des adolescents de 14 à 17 ans) ainsi qu’un appartement collectif pour les Jeunes Majeurs. L’objectif est de les accompagner au mieux dans leur projet d’avenir, l’acquisition progressive d’autonomie et leur intégration socio-économique.

 

 

  • SOS Villages d’enfants France fait partie de SOS Villages d’enfants international. L’association, laïque, dit être « la plus grande association mondiale dédiée au suivi de long terme des orphelins et des enfants abandonnés » avec, en 2016, 571 villages d’enfants SOS dans 135 pays et territoires. Elle est membre de l’UNESCO et a le statut consultatif au Conseil économique et social de l’ONU.
  • Le financement des actions de SOS Villages d’Enfants en France est couvert à 91% par les fonds publics. Le reste sont des dons et legs privés (pour donner c’est ici). À Marseille, les travaux de rénovation ont commencé en 2012 avec le soutien du Fonds d’Action Negobois, pour assurer aux enfants un meilleur confort quotidien, dans le respect de normes environnementales. Les aménagements des jardins extérieurs, financés grâce au mécénat de Louis Vuitton, contribuent à développer un environnement favorable à l’épanouissement des enfants.