Fermer

Marseille en pole position pour décrypter l’épilepsie

Par Agathe Perrier, le 30 septembre 2019

Journaliste

Et si un institut marseillais était à l’origine d’une technique révolutionnaire capable de mieux traiter l’épilepsie ? C’est ce que tend à prouver un essai clinique démarré depuis fin juillet. Au cœur du projet, une modélisation en 3D du cerveau humain pour aider les médecins à mieux comprendre cette maladie et ses mystères.

 

Un essai clinique piloté depuis Marseille pour décrypter l’épilepsie 1
Le Pr Fabrice Bartolomei © DR

Difficile de résumer en quelques mots l’épilepsie. Ce n’est d’ailleurs pas « une » maladie, mais « un ensemble de maladies » comme me reprend Fabrice Bartolomei, chef de service neurophysiologie et épileptologie à l’hôpital de la Timone à Marseille. Spécialiste reconnu sur le sujet, il coordonne un essai clinique national sur ce mal qui touche 60 millions de personnes dans le monde, dont 600 000 en France. « Les crises d’épilepsie caractérisent une anomalie transitoire des rythmes électriques du cerveau. Ce peut être lié à une malformation, des problèmes génétiques, des lésions cérébrales acquises, du stress… C’est très variable. Le fonctionnement même des crises – leur déclenchement et leur propagation – change d’une personne à l’autre. Tout cela fait que cette maladie est mal connue, y compris des médecins, et mal diagnostiquée ». On peut dire qu’il y a autant d’épilepsies différentes que d’êtres humains. Compliquant ainsi la compréhension de cette pathologie.

 

10% des épileptiques sans solution

Quand l’épilepsie est diagnostiquée, dans la majorité des cas (70%) le patient est traité par des médicaments. Accompagnés de certaines règles de vie, comme un sommeil suffisant par exemple, ils permettent de réduire voire faire disparaître les crises et/ou leur intensité. Les 30% restants présentent une pharmaco-résistance : le traitement n’a pas d’effet sur eux. Dans leur cas, une chirurgie peut être envisagée. « On réalise alors un bilan pour localiser la ou les aires cérébrales qui provoquent les crises et leur rapport avec les zones fonctionnelles du cerveau. Car le but est de les extraire ou de les déconnecter. Évidemment, ce n’est possible que si les conséquences de l’exérèse ne sont pas plus invalidantes que les crises », souligne Fabrice Bartolomei.

Le bilan dont parle le spécialiste consiste dans la plupart des cas en une exploration stéréo-électro-encéphalographique (SEEG). Il s’agit de placer des électrodes dans le cerveau et d’enregistrer les aires qui génèrent les crises. À l’issue de cet état des lieux, 20% des pharmaco-résistants environ sont opérés. Pour les autres 10%, la chirurgie est trop risquée ou la zone s’avère trop vaste pour être retirée.

Améliorer le taux de réussite de la chirurgie

Mais la chirurgie ne fait pas de miracles. Son taux d’échec est élevé – de l’ordre de 40%. Le projet Épinov (bonus), porté notamment par l’Institut des Neurosciences des Systèmes de la Timone (INS) dirigé par le professeur Viktor Jirsa, a peut-être une solution pour améliorer la situation. Ses chercheurs ont développé une modélisation du cerveau humain en 3D. Un « cerveau virtuel » qui peut modéliser les crises d’épilepsie dans l’anatomie individuelle de chaque patient passé par une exploration SEEG. Les avantages seraient multiples : aider les chirurgiens à savoir, au cas par cas, si l’opération est une bonne option, mieux sélectionner les patients et donc améliorer le pronostic de réussite. La technologie existe, reste à vérifier si elle peut réellement servir d’outil diagnostic supplémentaire.

Pour ce faire, un essai clinique a démarré fin juillet 2019 à La Timone, et impliquera à terme 13 centres hospitaliers français. Entre 300 et 400 patients y participeront sur une durée de trois ans. « On réalisera un bilan pour chacun d’entre eux, mais la moitié seulement aura une analyse des tracés par la technologie du cerveau virtuel. On va regarder ce que ce type d’approche va amener dans la décision d’opérer ainsi que dans l’amélioration des indications et de la stratégie chirurgicales », commente Fabrice Bartolomei, en tant que coordinateur de l’essai clinique. Si dans trois ans l’essai s’avère concluant, un logiciel commercial sera développé par Dassaut Système, partenaire industriel du projet. Puis déployé dans le monde entier pour permettre à tous les centres dédiés à l’épilepsie de le proposer.

Un essai clinique piloté depuis Marseille pour décrypter l’épilepsie 2
Les professeurs Fabrice Bartolomei et Viktor Jirsa © DR

Des simulations grâce au cerveau virtuel

Un essai clinique piloté depuis Marseille pour décrypter l’épilepsie 4
L’utilisation première du cerveau virtuel est le traitement de l’épilepsie, mais il pourra également servir d’autres pathologies © DR

Les équipes de l’INS travaillent en parallèle sur d’autres utilisations du cerveau virtuel, en dehors de l’essai clinique. Il peut par exemple aider à prédire les effets de la chirurgie via une simulation sur ordinateur. « Cela nous permet de faire des tests. On enlève virtuellement une ou plusieurs zones du cerveau pour voir si cela aiderait à générer moins de crises dans la vraie vie. Idem avec des stimulations de différentes zones », confie Fabrice Bartolomei.

Si son application la plus évidente le destine à l’épilepsie, le cerveau virtuel peut également servir au traitement de diverses maladies. « On peut exploiter sa partie connectivité pour évaluer l’évolution d’une pathologie comme la sclérose en plaque, mais aussi jauger les évolutions du vieillissement, la maturation cérébrale ». L’histoire ne fait donc que commencer. À la recherche d’écrire la suite. ♦

 

* — La data au secours de la biodiversité 7 Le CEA Cadarache parraine la rubrique « Recherche» et vous offre la lecture de cet article dans son intégralité —

 

Bonus I pour les abonnés I

  • Le projet Épinov est porté par l’AP-HM (assistance publique des hôpitaux de Marseille), l’Institut des Neurosciences des Systèmes de la Timone (institut de recherche de l’Inserm et d’Aix-Marseille Université), ainsi que les Hospices civils de Lyon. Il a été doté d’un budget de 5,8 millions d’euros dans le cadre du troisième appel à projets « Recherche hospitalo-universitaire en santé » (RHU), lancé à l’occasion du plan des Investissements d’Avenir.
  • D’après l’Inserm, 600 000 personnes souffrent d’épilepsie en France. Près de la moitié d’entre elles sont âgées de moins de 20 ans. La durée de vie moyenne d’un patient épileptique est légèrement inférieure à celle de la population générale, principalement du fait du risque de décès accidentel au cours d’une crise (noyade, chute, accident). Quant aux morts subites inattendues, spécifiques de certaines formes d’épilepsie, elles restent rares (30 000 par an dans le monde, 115 en 5 ans en France).