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Faire monter la pression pour faire baisser le stress

Par Neijma Lechevallier, le 5 mai 2023

Journaliste

Selon une étude réalisée par l’IFOP en mars 2022, après deux années de crise sanitaire, 95% des Français se disaient stressés ou anxieux. Les raisons ne manquent pas. Mais les solutions non plus. Depuis quelques années, une équipe de chercheurs et de médecins mène des essais cliniques pour mesurer l’efficacité d’un protocole innovant de plongée thérapeutique contre le stress. Le dernier en date, Obedive, qui incluait 66 participants en situation d’obésité, s’est déroulé de septembre 2022 à janvier 2023 près de Marseille. Les premiers résultats, très encourageants, ouvrent la voie à d’autres recherches.

 

Une scène inhabituelle se déroule sur l’embarcadère du port de Sausset-les-Pins. Sous un ciel bleu que ne trouble aucun nuage, 32 personnes en combinaison de plongée se livrent à un exercice de sophrologie. « On ferme les yeux, on inspire lentement, on souffle ! » Oriane, directrice du club Esprit Plongée à Montpellier et instructrice Bathysmed guide ses élèves de sa voix posée. Au bout d’un quart d’heure, les apprentis plongeurs, détendus, embarquent sur le bateau du club Côte Bleue Plongée. Cap sur le spot de Pointe Noire.

Ces volontaires en situation d’obésité participent à l’essai clinique Obedive. Cette étude a été initiée par les porteurs du projet Bathysmed, Frédéric Bénéton, Vincent Meurice et Pierre Michelet, en partenariat avec les universités de Montpellier et d’Aix-Marseille. C’est la première sortie en mer en bateau, et la dernière séquence de la phase plongée de l’essai. Certains n’ayant jamais pratiqué ce sport de leur vie, ils ont été initiés en piscine près de Montpellier. Puis sont venus faire leurs premières bulles au départ de la petite anse au pied du cap de Pointe Riche.

 

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Séance de sophrologie sur la plage au soleil pour le groupe expérimental avant la prochaine plongée.

Un protocole innovant

« L’objectif de cette étude est de comparer l’efficacité d’une prise en charge classique à cette même prise en charge augmentée d’un protocole innovant de plongée thérapeutique auprès de 66 patients en situation d’obésité, explique le Pr Pierre Michelet, de l’université d’Aix-Marseille, investigateur principal de l’essai. Les participants du groupe contrôle ont bénéficié d’une prise en charge classique, associant diététique et approche psychologique. Ceux du groupe expérimental ont bénéficié, en plus, d’une série de plongées Bathysmed. Puis, ils ont bénéficié d’une exposition d’un mois à des séances de reviviscence des plongées grâce à un dispositif de réalité virtuelle. »

De précédentes études avaient été menées pour tester ce protocole auprès de rescapés des attentats parisiens de novembre 2015 (DivHope). Puis auprès de militaires blessés psychiques de retour d’opérations extérieures (CogniDive).

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Oriane Jard, instructrice de plongée et directrice de club, prépare les volontaires en présence du Pr Pierre Michelet.

Sur le bateau, bercés par le roulis, les participants expriment les appréhensions qui subsistent malgré la séance de sophrologie. Les moniteurs, tous formés au protocole Bathysmed, délivrent leurs dernières recommandations. 

Créé en 2015 par le polytechnicien Frédéric Bénéton et Vincent Meurice, moniteur expert et sophrologue, ce protocole allie les dernières connaissances en physiologie et psychologie aux techniques de méditation de pleine conscience et de sophrologie. « La respiration avec un détendeur est mécaniquement ample et profonde, souligne Frédéric Bénéton. Le plongeur médite sans le savoir, et l’immersion libère les plongeurs de la sensation de poids. » Le Pr Pierre Michelet poursuit : « La plongée s’accompagne de modifications cardio-vasculaires influant sur le système neurovégétatif, ce qui améliore la cohérence cardiaque. L’élément aquatique décuple les effets des techniques utilisées. »

 

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Vincent Bertin, moniteur breveté Bathysmed, échange avec sa palanquée.

De la réalité virtuelle en soutien

Dans cet essai, les volontaires du groupe bénéficiant des plongées thérapeutiques prolongent l’expérience vécue en mer par des séances avec un masque innovant de réalité virtuelle. Dans un paysage sous-marin, ils respirent dans un détendeur et entendent le bruit des bulles à chacune de leurs respirations.

Premières bulles en mer

Arrivés sur site, les participants s’équipent, et après une dernière vérification du matériel, c’est la mise à l’eau. Le médecin veille au grain depuis le pont du bateau. À la surface, nouvelle séance de sophrologie. Les exercices et visualisations réalisés à terre sont poursuivis. Puis c’est la descente, on quitte le monde aérien pour rejoindre les contrées sous-marines. Chaque groupe s’enfonce lentement, en respectant le rythme de chacun. Les bulles en surface se raréfient, signe que les palanquées ont atteint leur profondeur de croisière. Pour un tel essai, on ne descend pas en dessous de 10 mètres.

Après trente minutes de plongée, les premiers remontent, des sourires flottent sur les visages. « J’avais des problèmes de respiration sur les premières plongées, j’essayais de contrôler ma respiration malgré, voire contre, le détendeur, analyse Sandrine, 44 ans. J’ai réalisé que j’avais d’énormes difficultés à lâcher prise, c’était vraiment difficile pour moi, et aujourd’hui, que du plaisir, j’ai réussi ! » Cette satisfaction d’avoir repoussé ses limites et déjoué des mécanismes de contrôle parfois bien ancrés est en soi une victoire.

 

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C’est le saut dans le grand bleu depuis le bateau pour la première fois.

Des effets rapides et pérennes

Mieux, certains semblent ressentir les premiers effets assez rapidement. « J’avais du stress à l’immersion sur les précédentes plongées, mais aujourd’hui, tout s’est bien passé, nous confie Audrey, gestionnaire financière et administrative dans un laboratoire, 41 ans. Les effets sont visibles, surtout le soir, je m’endors plus facilement, je cogite moins. Et j’utilise au quotidien les techniques enseignées dans l’essai pour me calmer. » Face à elle, Raphaëlle, 42 ans, chef d’entreprise : « Quand je rentre du travail après une journée stressante, je grignote en préparant le repas. C’est un moment vraiment très difficile. Mais depuis 3 jours, j’ai réussi à cuisiner sans grignoter, ça s’est passé comme ça devrait toujours se passer. »

« J’ai ressenti dès le début beaucoup d’effet sur mon stress qui a baissé de manière importante, témoigne Marion, 25 ans, étudiante. Avant de commencer, j’étais très angoissée par tout, à en pleurer. Et là plus rien, je vois une grosse différence ! Dès la première séance en piscine je n’avais plus envie de pleurer. Ensuite, de séance en séance, c’est devenu de mieux en mieux. Ce qui m’a étonnée, c’est la rapidité des effets, et puis qu’ils durent, pas juste quelques jours. »

 

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Le sourire de la victoire… sur soi. Certains élèves n’avaient plongé de leurs vie et ont dépassé leurs appréhensions.

Un stress en baisse

Les premiers résultats semblent confirmer ces ressentis. « Selon l’échelle PSS (Perceived Stress Scale) de Cohen et Williamson, les différences de stress entre les deux groupes sont significatives, souligne Pierre Michelet. Au début de l’étude, les participants des deux groupes présentaient un score très élevé, au-dessus du seuil de 26, ce qui correspond à un niveau de stress pathologique, impactant la santé physique et psychique. À un mois, les participants du groupe avec plongées Bathysmed sont repassés sous ce seuil, ceux du groupe contrôle restant au-dessus. » Et à deux mois, après les séances de reviviscence au masque, les effets se renforcent, le score des premiers poursuivant sa baisse, celui des seconds restant inchangé.

 

Une première dans la recherche

« C’est une première, souligne le professeur. La pérennisation des effets étant le talon d’Achille de la recherche actuelle sur le stress. » Ces premiers résultats encourageants confirment ceux de précédentes études Bathysmed. Grâce à l’utilisation du masque de réalité virtuelle, ils ouvrent sur une possible pérennisation des effets. Ce qui élargit le champ des possibles. À commencer par la prise en charge des personnes en situation d’obésité. Chez ces patients, le stress est à la fois une source et une conséquence. Cette approche, qui prend en compte et agit sur le stress, peut favoriser l’efficacité des prises en charge. Les méthodes centrées uniquement sur une perte de poids de court terme ont en effet prouvé leurs limites.

« La méthode peut permettre aux patients de rééquilibrer leur alimentation émotionnelle de manière très naturelle, suggère Fanny Lannoy, diététicienne ayant accompagné cet essai. Réduire le stress permet de retrouver un équilibre qui favorisera une perte de poids progressive et pérenne, et la baisse des risques physiques et psychiques liés au surpoids. »

 

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Fin de la première phase de l’essai, place au masque de réalité virtuelle pour continuer à mesurer les effets sur le stress.

Une nouvelle voie de recherche

Depuis 2020, la stratégie nationale de sport-santé initiée par le gouvernement vise à promouvoir l’activité physique comme outil thérapeutique. La plongée figure dans la liste des activités accessibles sur prescription médicale. Elle n’est pas encore remboursée par l’assurance-maladie, seulement par certaines mutuelles. Ensuite, en 2022, le législateur a ouvert la prescription d’activité physique adaptée à l’ensemble des médecins. Et élargi le champ d’application (maladies chroniques, facteurs de risque, perte d’autonomie).

« La plongée thérapeutique peut potentiellement apporter des bénéfices dans de nombreuses pathologies, souligne Frédéric Bénéton. Parmi nos projets, nous souhaitons mener des essais cliniques avec des personnes en burnout et auprès d’enfants hospitalisés en onco-pédiatrie. Pour ces petits patients, les séances de réalité virtuelle précéderont les plongées réelles, qui seront proposées en rémission. » En Europe, d’autres équipes de recherche, inspirées par ces travaux pionniers, se lancent dans l’aventure.

 

Pour en savoir plus. Plus d’informations sur ces plongées antistress (accessibles à toute personne munie d’un certificat médical dès l’âge de 8 ans) www.bathysmed.fr