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Femmes et vulnérabilité : des lycéennes au colloque de la Fondation de France

Par Les invités de la rédaction, le 8 février 2020

Léa, Stella et Margot, en classe de terminale L au lycée Jean Lurçat de Martigues, restituent les prises de parole de ce séminaire organisé par la Fondation de France, à la Friche Belle-de-Mai, lundi 27 janvier. Deux tables rondes pour faire le point sur les droits des femmes. Merci à elles.

 

« Les tables rondes étaient constituées de plusieurs femmes travaillant dans des domaines différents mais défendant toutes les mêmes droits : être une femme et avoir une place juste dans la société.

  •  Durant la première table ronde, qui avait un aspect plus « intellectuel » sur la question, nous avons pu découvrir le point de vue de toutes les femmes qui y participaient.

Marielle Vallon, la directrice du CIDFF(Centre d’information des femmes et de la famille) accueille plus 3 000 personnes (des femmes en majorité) par an. Elle les soutient dans l’obtention de leurs droits : les droits de la famille, les droits du travail. Elle explique qu’il est important de défendre ces droits car une rémunération décente et l’accès à l’indépendance permet à une femme de faire des choix, bref d’être libre. Elle raconte aussi les problèmes auxquels elle fait face chaque jour dans son travail : l’évolution de la précarité a pour certaines entraîné précarité et violence, notamment des violences sexistes et sexuelles.

Marielle Vallon pointe aussi le positif, une société où les femmes ont moins peur de s’exprimer, du moins celles qui vont à la rencontre des associations à même de les aider.

Ainsi plusieurs remarques d’élèves soulignent le regain du féminisme dans les lycées ou encore les interventions dans les classes sur les stéréotypes, les inégalités, la prise de conscience de tous ces thèmes visant le progrès de notre humanité.

 

Émilie Touchot travaille chez Imaje Santé, une association qui lutte contre les violences institutionnelles, intervient dans les rues pour aider les jeunes en grande difficulté sociale (santé, instruction, insertion). Elle expose une prolifération du nombre de squats sur Marseille avec un manque d’investissement des services publics dans les quartiers défavorisés, laissant les personnes les plus démunies, dans la précarité la plus totale, exposées à un climat de violence permanent. Ce pôle reçoit des femmes seules ou avec leurs enfants, des personnes avec une addiction, des enfants qui subissent des violences, des personnes immigrées en situation irrégulière. La population de femmes accueillie est très jeune (moins de 25 ans, souvent mères).

Océane demande pourquoi il est si compliqué de régulariser ces femmes ?

La réponse est que ces personnes arrivées sur le territoire de manière illégale demandent le statut de réfugié, ne s’expriment pas toujours correctement en français ce qui rajoute des difficultés pour leur insertion et celles de leurs enfants (logement, éducation, santé, travail). Émilie Touchot insiste sur l’importance et l’urgence à loger ces personnes. Il est de plus en plus difficile de trouver un logement par manque de place laissant ces jeunes femmes souvent mères dans la rue et la précarité la plus totale, situation inadmissible de nos jours.

Margot intervient pour témoigner du regain de violence et des propos vulgaires et sexistes des garçons envers les filles dans les établissements scolaires qu’elle a fréquentés, notamment en primaire, dans des milieux dits favorisés de la Côte-Bleue. Quelles solutions ? Éducation, respect des règles et de la personne, égalité des sexes. Être une femme aujourd’hui signifie avoir un énorme poids sur les épaules.

Célia Mistre, directrice de l’Amicale du Nid 13 (association nationale qui mène des actions d’accompagnement et d’insertion des personnes en situation ou en danger de prostitution) évoque la difficulté d’agir. D’entrer directement en contact avec les femmes sous peine d’être repéré et de leur nuire.

Sylvette Barthélémy, de HAS (Habitat alternatif social) énumère les différentes structures d’accueil pour ces femmes en détresse. Elle aussi souligne un public de plus en plus pauvre : « l’allocation parent isolé ne suffit plus ». Certaines Nigérianes mères de bébés filles obtiennent le statut de réfugiée pour leur éviter l’excision dans leur pays.

Valérie Secco, directrice de SOS femmes 13, association qui se bat pour l’accueil, le logement, la lutte contre les violences conjugales et sexuelles montre que beaucoup d’associations œuvrent pour lutter contre ces précarités et violences conjugales et sexuelles qui s’accroissent au vu des mouvements migratoires, des différences culturelles, des difficultés d’intégration dans un pays comme la France et de cette misère grandissante et effrayante.

Marseille est très représentative de l’oubli de ses élus sur ces sujets très sensibles, d’où la présence de ces associations.

Swann intervient pour dire que la femme est instrumentalisée.

Hélène Laulan demande alors : « Est-ce que la « question de la femme » existe en philo ? »

Les hommes et les femmes ne sont pas égaux dans notre société, même si en France, nous avons le droit de nous exprimer et de nous défendre, la société actuelle est de plus en plus violente et il y a un manque de dialogue. Le manque d’éducation et de repaires conduit à cette violence et restreint l’esprit ; la pensée et l’histoire de la pensée ont été faites par des hommes, les grands arbitres sont des hommes. Les institutions et la langue française ont été fondées par des hommes. Cela remonte à la logique aristotélicienne (l’exposé de philo se poursuit à la fin de l’article).

 

  •   La seconde table ronde s’est intéressée à la place de la femme dans la ville.

Delphine Teillard qui porte les programmes « Sport dans la ville » et « L dans la ville » raconte que très peu de filles pratiquent du sport. Son programme contribue à inciter les jeunes filles à la pratique d’un sport ou de tout autre activité culturelle. L’association contribue également à favoriser l’insertion professionnelle, notamment dans les programmes d’entreprenariat pour lesquels il y a beaucoup moins de possibilités d’emploi. Le programme sert à redonner confiance et à ouvrir le champ des possibles mais aussi à essayer de donner davantage d’égalité dans les échanges sociaux.

Fazia Hamiche, élue, cheffe d’entreprise et présidente de l’association CAP qui travaille sur l’éducation, estime que beaucoup d’associations travaillent pour enrayer les inégalités, que les quartiers où ils interviennent sont souvent très enclavés. Les services publics délaissent totalement ces zones. Leurs interventions consistent à organiser les lieux de prise de parole pour les femmes et ainsi à les aider dans leurs difficultés quotidiennes. La journée de la femme n’a jamais lieu au même endroit, et ainsi elles peuvent échanger, se découvrir et faire tomber les barrières, notamment en dansant ; la danse est festive et libératrice. C’est peut-être un modèle à considérer dans la construction d’une belle société.

Twiggy Lejeune-Vazquez, ancienne sportive de haut niveau et universitaire raconte son expérience personnelle, les résultats sportifs meilleurs que ceux des garçons. Elle rappelle que « la pratique du javelot est un sport très masculin, très peu de filles » et que Pierre de Coubertin ne voulait pas de Jeux olympiques pour femmes. Elle a pu se construire parmi les hommes dans son sport, le javelot. Devenue professeure de sport à la fac, pour gagner le respect de ses élèves, elle est toujours obligée de démontrer ses performances dans sa catégorie. Aujourd’hui les activités artistiques et de gymnastique se développent indépendamment des sports dits d’homme mais il faut sortir des clivages.

Arnaud Théval, photographe, intervient pour raconter son travail artistique dans les institutions notamment les prisons. Il expose que l’art peut poser des images non attendues qui viennent réveiller les pensées.

Il nous raconte ainsi son projet intitulé « Un oeil sur le dos » sur la représentation artistique du travail dans le monde pénitencier. Il explique ensuite les différentes questions qu’il s’est posées en s’immergeant dans ce milieu ; par exemple, il y a des personnes faites pour penser la prison mais aussi du personnel présent pour la gestion et la surveillance. Arnaud Theval a choisi de s’intéresser à l’expérience de ces derniers face à l’enfermement. La prison est un milieu d’hommes ainsi il vient à se poser la question : comment une femme surveillante fait-elle ? C’est un enjeu compliqué car c’est un métier dédié aux hommes. Par exemple, à l’arrivée à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP), on remet aux personnels de surveillance un uniforme unisexe et les femmes doivent s’adapter. L’évocation de la transgression apparaît : entrée des femmes dans la prison, violence masculinisée faite par des femmes. Il convoque donc un amphithéâtre composé uniquement de femmes pour réfléchir à ces questions.

Hélène Laulan intervient à son tour et explique qu’elle a grandi dans un milieu sportif qui n’était pas pour les filles. Elle est devenue prof de planche à voile puis elle est partie s’installer en Guyane. Là-bas on lui a dit que les jeunes femmes ne pouvaient pas sortir dehors après 19h sans le risque de se faire violer. Elle a découvert le kite-surf puis a participé aux championnats de France.

Twiggy Lejeune-Vazquez conclut en avançant que choisir son sport c’est choisir son corps, le choix de l’activité n’est pas anodin. Les sportives peuvent choisir un corps social différent de celui qu’on leur attribue.

 

  • Suite de l’exposé d’Hélène Laulan sur la place des femmes dans l’histoire de la philosophie.

La moitié des hommes sont des femmes. Pourtant le masculin l’emporte sur le féminin. Les noms féminins des professions ont été retirés du vocabulaire. Exemple : auteur/autrice. Le mot « femme » serait contenu dans homme (H) = Humain.

Hannah Arendt introduit l’expression « human being » ; en Anglais, la femme « wo.man » est un homme qui engendre l’humanité. La femme est un homme dont la fonction est d’engendrer l’humanité.

Pour Hippocrate, il existe une domination de la semence : la femme est un homme stérile par la froideur de sa nature. L’homme est l’esprit et la femme est la matière, l’homme domine la femme car l’esprit contrôle le Corps.

Pour Aristote, elle est le résultat d’un avatar de non fini, d’une imperfection.

Pour Platon, le pire qu’il puisse arriver à un homme c’est d’être réincarné en femme : « parmi ceux qui sont les mâles, ceux qui ont été lâches et injustes deviennent femelles à la seconde naissance. »

La puissance des femmes fait peur aux hommes qui craignent l’impuissance. Aussi pour les dominer, il faut les exproprier de leurs connaissances et les maintenir dans l’ignorance.

Au Moyen-Âge, les femmes des milieux populaires étaient beaucoup plus libres ; les inégalités ont augmenté avec les règles établies par les dominants. « Si tous les hommes naissent libres pourquoi les femmes naissent esclaves ? » écrit la révolutionnaire Mary Astell au début du XVIIIe siècle.

Foucault montre qu’au XXe les inégalités sont augmentées dans les classes bourgeoises.

L’éco-féminisme dévoile les liens entre tous les types de dominations, le sexisme, le capitalisme, le spécisme ; la pensée féminine peut sembler tellement différente qu’elle est rejetée par la philosophie.

Au moment de la Révolution est rédigée la Déclaration des droits « de l’homme et du citoyen », mais si tous les hommes sont égaux, les femmes imparfaites ne sont pas des citoyennes. C’est Olympe de Gouges qui publie en 1791 une revendication des droits de la femme et de la citoyenne, aidée d’un écrivain, car elle n’a pas eu accès à l’apprentissage de l’écriture.

Comment une jeune fille peut construire sa pensée intellectuelle dans une société où les seuls représentants de la pensée sont des hommes ? Ce sont les femmes qui mettent au monde les nouveaux hommes mais seuls les hommes ont droit au savoir.

Le père de Simone de Beauvoir lui disait qu’elle n’était pas comme les autres, qu’elle avait le cerveau d’un homme.  « On ne nait pas femme, on le devient », écrit-elle, c’est-à-dire que c’est la société qui impose un modèle à la femelle humaine. Les femmes doivent se réapproprier les savoirs qu’on leur a confisqués, se valoriser, créer, éliminer la compétition dont la valeur est la force. La vérité, c’est que nous sommes toutes différent.es, nous ne naissons pas égaux mais nous devons le devenir, tout en cultivant nos différences. Hannah Arendt nous demande de « toujours penser ce que nous faisons » ; ne pas penser, c’est ne pas sentir. Pour penser, il faut d’abord sentir et cultiver la sensibilité.

Aujourd’hui, beaucoup de femmes prennent la parole et font entendre de nouvelles voix et voies.

Isabelle Stengers et Vinciane Despret ont écrit ensemble « Les faiseuses d’histoires ». Le féminisme est appelé à devenir décolonialiste, c’est-à-dire à abandonner l’ambition de vouloir imposer un modèle. »♦