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Feux de forêt, quels dispositifs pour les contrer ?

Par Lorraine Duval, le 1 juin 2023

Journaliste

Arrosage d'une lisière de l'incendie par des APFM (Agents de protection de la forêt méditerranéenne), pour contrôler le feu ©ONF

Sur 17 millions d’hectares que compte la forêt métropolitaine française, 73 000 sont partis en fumée en 2022. Cinq fois plus que l’année précédente ! Comment prévenir les feux, juguler les risques ? Jean-Louis Pestour, responsable national incendies de l’Office National des Forêts (ONF) et directeur de l’agence Défense de la Forêt contre les Incendies (DFCI) de Midi-Méditerranée, nous aide à prendre la mesure de la situation.

 

Marcelle – Les nombreux feux de 2023 ont avivé de fortes inquiétudes. Le réchauffement climatique en est-il la seule raison ?
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Jean-Louis Pestour ©ONF

Jean-Louis Pestour – Les derniers gros incendies remontaient aux années 1970 puis à 2003 dans le massif varois des Maures. Nous avons ensuite connu une certaine accalmie. Mais l’an dernier, un cap a été franchi, avec un pic réel et cette différence notable que ça a moins brûlé en zone Méditerranée pour se concentrer à l’ouest, plus précisément en Gironde. En cela c’est un tournant : tout le territoire est désormais concerné, Bretagne, Alsace, Jura, Maine-et-Loire…

C’est bien sûr lié au réchauffement climatique, avec une sécheresse importante qui sévit et se cumule depuis deux-trois ans. Et allonge aujourd’hui la saison des feux.

 

Pour autant, 90% des feux sont toujours d’origine humaine…

En effet, c’est une constante : involontairement ou intentionnellement, il y a l’homme derrière chaque feu. Or, quand la végétation souffre de sécheresse, elle est d’autant plus inflammable. Le fait que les territoires soient plus enfrichés, moins entretenus qu’il y a 50 ans du fait d’un monde agricole moins présent, ajoute au risque.

 

La France pourrait-elle être confrontée à des méga-feux, comme la Californie ou l’Australie ?

Ici nous préférons les appeler des feux hors normes, quand ils couvrent de grandes surfaces et sur un temps plus long. C’était le cas en Gironde l’été passé. Ce type de feu est à redouter surtout quand il y a des conditions météo complexes et que plusieurs départs se produisent en même temps.

L’état des nappes phréatiques impacte la végétation et sa reprise au printemps. Or de la Provence aux Pyrénées, plusieurs régions ont enregistré très tôt des restrictions d’eau. Ailleurs, le niveau baisse dans certaines retenues comme le lac de Serre-Ponçon (Alpes-de-Haute-Provence) et pourrait compliquer les manœuvres de ravitaillement des Canadairs. Les paramètres se cumulent, tout semble pencher pour un été à risque. Avec, là encore des arbitrages potentiels d’accès à l’eau.

 

 

Les moyens de combattre les incendies sont-ils suffisamment adaptés ?
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Une enveloppe supplémentaire de 150 millions d’euros attendue pour renforcer les moyens humains et matériels ©ONF

En octobre 2022, après de nouveaux incendies en Gironde, Emmanuel Macron a promis une enveloppe supplémentaire de 150 millions d’euros pour renforcer les moyens humains et matériels.

Nos moyens sont importants, aujourd’hui suffisants, mais le principe de précaution prime et des ajustements sont en cours. C’est le cas pour les Canadairs par exemple, qui sont gérés par la Sécurité Civile : de 12, on devrait passer à 16 à l’horizon 2025. Et alors qu’ils sont actuellement tous stationnés à Nîmes, certains pourraient rejoindre Bordeaux. Deux nouveaux hélicoptères lourds devraient également renforcer le parc existant.

 

En quoi consiste aujourd’hui la prévention des incendies ?

Historiquement, on intervient en phase amont. Avec un mot-clé, l’entretien. Entretien des territoires boisés pour commencer : on y aménage des bandes débroussaillées de sécurité large de 50 à 100 mètres. Cela permet de compartimenter les massifs et de ralentir la progression d’un feu. Entretien des voiries également, pour permettre aux pompiers de circuler en sécurité. Enfin, entretien des points d’eau et de leurs abords, notamment les citernes DFCI.

En haute-saison, des patrouilles sont organisées avec du personnel de l’ONF, mais aussi des saisonniers, souvent des étudiants. C’est un travail de veille, d’alerte, d’information, de contrôle des réglementations en vigueur (fermeture exceptionnelle d’un massif ou interdiction des barbecues sauvages). Dans certains massifs, des pompiers peuvent être prépositionnés si les conditions météo sont alarmantes.

L’ONF n’est évidemment pas seul dans ce schéma préventif et s’inscrit dans un écosystème complexe. Les conseils départementaux comptent des équipes de forestiers-sapeurs, il existe des comités communaux feux de forêt… Et chaque département a sa propre organisation, coordonnée par son Préfet, qui s’appuie sur les services de l’État et notamment la DDT, la Direction départementale des territoires.

 

Les nouvelles technologies permettent-elles de décupler la vigilance et la prévention ?

Elles ont effectivement permis des améliorations dans le dispositif. Les caméras infrarouge ou haute définition positionnées sur des points hauts contribuent à la détection des feux. L’Intelligence Artificielle, via des logiciels de simulation, permet de modéliser l’évolution d’un feu en fonction du relief et des paramètres météo. Enfin l’utilisation de drones de surveillance est utile pour détecter des points chauds type « barbecue ».

Mais, quelle que soit l’innovation technologique, l’intervention, l’expertise et l’analyse de l’être humain restent indispensables.

 

La sensibilisation est également un moyen de lutter…

Tout à fait, des campagnes de prévention sont régulièrement mises sur pied par le ministère de l’Environnement et s’amplifient chaque année. Pour communiquer par exemple sur l’obligation légale de débroussailler qui incombe aux particuliers pour la mise en sécurité de leurs biens. Cette obligation concerne aussi les entreprises qui gèrent des infrastructures type voies ferrées ou autoroutes.

 

 

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Un technicien forestier ONF à l’agence territoriale Hérault et Gard contrôle le défrichage d’une propriété privée en zone de danger incendie ©ONF
Certaines essences de nos forêts sont-elles plus vulnérables que d’autres ?

L’objectif d’un forestier est la régénérescence des espèces existantes, mais il est évident que certaines, aujourd’hui fragilisées, résistent mal aux attaques conjointes de la chaleur, des insectes et des champignons. Certaines espèces sont davantage inflammables, à commencer par les résineux. On observe ainsi que la sécheresse fragilise les épicéas dans le nord-est (également attaqués par les scolytes). Ainsi que les sapins dans l’Aude et les Alpes du sud.

Tout dépend aussi de la formation forestière. Sous une cédraie adulte avec un sous-étage peu développé, le feu se propagera moins rapidement qu’en présence d’un peuplement de feuillus clairsemé, mais avec un sous-étage dense.

D’où un double objectif : conserver et diversifier. Certes, la monoculture répond à une logique économique, on le voit avec le pin maritime dans les Landes, mais elle est désormais plus risquée.

 

Faut-il envisager de reboiser autrement ?

Le métier de forestier se complexifie : nous sommes sur du temps long alors que tout s’accélère, y compris le climat, et que les délais pour s’adapter raccourcissent. Il y a bien des espèces à croissance rapide, comme l’eucalyptus, mais il pompe beaucoup d’eau et peut même stériliser un sol. Il vaut donc mieux éviter d’introduire ce type d’essence.

Les espèces méditerranéennes étant mieux adaptées, on recommande, y compris plus au nord, le sapin des zones sud, plus résistant, ou le pin d’Alep, et des feuillus type chêne pubescent et chêne vert. En zone Méditerranée, il faut aujourd’hui regarder vers les régions plus au sud quelles essences semblent adaptées. ♦