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Févier d’Or cultive le cacao et la différence

Par Raphaëlle Duchemin, le 7 avril 2023

Journaliste

Les retardataires ont encore quelques heures pour choisir le sujet qu’ils vont acheter pour Pâques. Si le prix – qui a grimpé de 10% sous le coup de l’inflation – est un critère de sélection, il n’est plus le seul : aujourd’hui le consommateur veut acheter équitable. Nadine Abondo l’a compris. En 2018, elle a ouvert Févier d’Or, à Saint-Ouen-l’Aumône. Une chocolaterie atypique à plus d‘un titre.

 

Il y a des évidences qui mettent du temps à se révéler. Elles attendent juste le bon moment. C’est ce qui est arrivé à Nadine Abondo. Petite, le chocolat faisait partie de son univers. Elle n’en mangeait pas, mais juste derrière la maison de ses parents, à Sangmelima dans le département de Dja et Lobo au sud du Cameroun, il y avait une plantation de cacao. C’est là qu’elle allait jouer tous les jours. Ces souvenirs, Nadine les avait presque oubliés, mais en 2013 le chocolat refait de manière inattendue irruption dans sa vie.

 

Des travailleurs comme les autres

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Le Cameroun, 4e pays producteur de cacao au monde ©Pixabay

Entre-temps, Nadine a quitté son pays natal. La jeune étudiante de 23 ans est venue s‘établir en France et, diplôme d’ingénierie sociale en poche, elle entre sur le marché du travail. De poste en poste, la voilà à la tête d’un ESAT dans le Val-d’Oise. Entre deux voyages humanitaires dans lesquels elle embarque des médecins français pour opérer des enfants dans le pays qui l’a vu enaître, Nadine gamberge. Ce qui la contrarie ? Voir les adultes en situation de handicap, ceux qu’elle côtoie tous les jours dans l’établissement qu’elle dirige, être cantonnés à des tâches de manutention.

Elle se creuse alors les méninges, afin d’imaginer pour eux de nouvelles activités, moins répétitives et plus valorisantes. « C’est à ce moment-là que je me rappelle que je suis née dans le 4e pays producteur de cacao », lance-t-elle en riant. Elle commence à se documenter, à prendre des contacts sur place, mais ses ardeurs sont vite douchées par sa hiérarchie. « Mon DG n’a pas vu l’intérêt et torpillé l’idée, fulmine-t-elle avant d’ajouter : Je pense qu’il avait peur ». Nadine elle n’a pas peur, et comme la prospection est engagée, elle poursuit le montage de son projet. Car dans son esprit, il ne s’agit pas de seulement de fabriquer du chocolat.

« En ESAT, les travailleurs en situation de handicap ont des fiches de paie, mais pas le statut de salarié. Moi je voulais changer ça. Cela me permettait de concilier mon histoire et de continuer à être dans l’accompagnement de personnes en situation de handicap. »

 

Solidaire sur les deux continents

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Le séchage des fèves ©Pixabay

Être vertueux en France, c’est le pari de Nadine. Mais pas question de faire différemment au Cameroun, où elle va sourcer sa matière première. Alors elle multiplie les allers-retours pour identifier les petits producteurs. Elle emmène même dans ses bagages des agronomes de Cergy pour sourcer les plantations.

« La réalité là-bas, c’est qu’on ne mange pas de chocolat. Or moi j’avais besoin de les sensibiliser au fait que le cacao qu’ils allaient produire devait avoir une vraie valeur gustative. Donc il fallait un suivi des plantations ». Très vite elle organise la filière. Pour pouvoir maîtriser la qualité, elle décide de créer un centre de fermentation et de séchage des fèves à Sangmelima. Mais le plus dur reste à venir et ça, Nadine ne l’a pas anticipé.

 

Cherche financements désespérément

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Nadine Abondo ©DR

« Au retour en France, dit-elle, il fallait chercher les financements pour créer Févier d’or. Là le chemin de croix commence. » Elle tape aux portes de toutes les banques ; pas une ne veut lui prêter les 200 000 euros dont elle a besoin. « C’était circulez il n’y a rien à voir », se souvient-elle. Pourtant son business plan est au cordeau, avec une activité donnée bénéficiaire dès la première année.

Elle est à deux doigts de se décourager quand elle devient lauréate du programme Les Audacieuses de La Ruche Factory (bonus). Alors elle ose et va même, lors d’une soirée de pitchs, interpeller le patron de la MAIF en personne pour le convaincre d’investir dans son projet. Son culot paie : il est séduit. Les premiers deniers arrivent et avec eux, les petites victoires s’enchaînent. Reste à trouver le local.

« Comme j’emploie des personnes en situation de handicap, je ne pouvais pas m’installer n’importe où. Il me fallait de l’espace. J’avais sillonné tout le Val-d’Oise. Personne ne voulait me louer. Et un jour en 2018, un bailleur m’appelle et me dit : je vous fais confiance. »

Nadine accélère, part en formation en Italie avec son mari pour maîtriser le concept du « bean to bar » (de la fève à la tablette – Ndlr). Elle recrute aussi et se lance. Mais le premier Noël est loupé, car les machines arrivent en retard… Puis les coups durs s’enchaînent : gilets jaunes et covid… Nadine tient bon : « Aujourd’hui on est toujours là. Non seulement je n’ai pas licencié, mais on a même créé des emplois, 17 au total dont 15 pour personnes en situation de handicap ».

 

♦ Lire aussi : La Compagnie Fruitière cultive aussi le social

 

Le prix juste

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100 producteurs d’Afrique travaillent avec Févier d’Or ©DR

Cette dimension sociale, Nadine l’applique aussi en Afrique : là-bas, ce sont 100 producteurs qui travaillent avec elle, et 25 salariés qui s’activent au sein de la coopérative. Nadine achète beaucoup mais pas question de tordre le bras aux agriculteurs.

« Ils n’arrivent pas à vivre au prix où on leur achète le cacao. Du coup, nous sommes aujourd’hui les meilleurs offrants », confie-t-elle pudiquement, sans vouloir révéler ce qu’elle reverse. Mais sa mission ne s’arrête pas là : Nadine veut aussi les faire progresser sur le produit. Dans l’intérêt de Févier d’Or, mais aussi dans celui des cultivateurs. « Ce sont uniquement des plantations familiales. Ils ne sont pas dans l’intensif, mais plutôt dans l’agroforesterie et ça, c’est bon pour les arômes de notre chocolat, bon aussi pour leurs revenus et pour l’impact environnemental. »

La quête de sens va même au-delà et Nadine s’implique au côté des femmes : « On fait aussi un travail auprès d’elles. Quand vous avez l’homme qui flambe l’argent de la récolte… C’est une réalité là-bas. Les enfants ne peuvent pas aller à l’école car monsieur a pris une deuxième femme et a tout dépensé. »

 

Retrouver goût au travail

Heureusement certains ont compris qu’il fallait lui emboîter le pas, à l’image d’Arsel Franck Obah, alias Pitou. À 31 ans, le jeune homme n’avait pas vraiment prévu de prendre la suite de ses parents sur l’exploitation, mais l’arrivée de Nadine a changé la donne. « Avec elle, les jeunes n’ont plus la même vision. Ils ont retrouvé le goût du travail. Vous vous rendez compte, madame Nadine a même envoyé des jeunes pour nous former. »

Sur ses 11 hectares, Pitou travaille d’arrache-pied : il sait ce qu’il doit au projet Févier d’Or et ne veut pas risquer de décevoir. « Elle nous paie le double du prix. Avant je n’avais pas de maison, aujourd’hui j’en ai une et j’envoie mes enfants à l’école, ma famille vit bien » raconte-t-il fièrement.

Comme les autres producteurs engagés à ses côtés dans la coopérative, il caresse de grands espoirs : « On voudrait pouvoir implanter ici même une usine de cacao, pour qu’on puisse nous aussi en consommer. On voudrait pouvoir être les premiers à goûter nos propres produits, car acheter une barrette de chocolat ici c’est énorme », explique-t-il.

Et ce n’est peut-être pas un vœu pieux, car lors du voyage d’Emmanuel Macron en Afrique, Nadine a fait partie des douze porteurs de projets sélectionnés par l’Élysée (programme Meet Africa. « Je crée de la valeur ici, décrypte-t-elle. L’idée serait que je fasse la même chose là où je suis née. »

 

♦ Relire l’article : Justine, chasseuse de cacao durable

 

Févier d’Or au pluriel

En attendant de pouvoir le faire, Nadine a ouvert un magasin éphémère : une aubaine qui la sort de la zone industrielle où elle a son atelier pour être au contact du grand public. « Cela nous permet d’être accessibles, de vendre aux particuliers. On travaillait déjà avec les entreprises, mais on veut atteindre tout le monde. D’ailleurs dit-elle en espérant être entendue, ce serait bien de pouvoir y rester. »

Evidemment ce n’est qu’une étape, car madame Févier d’Or voit grand et loin. Maintenant il faut essaimer notre modèle équitable, en circuit court. Je voudrais avoir dans chaque département une maison Févier. Je ne sais pas en combien de temps je vais réaliser cela, mais voilà où je veux aller.

 

Cultiver le cacao et la différence

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Hippopotames de Pâques © Févier d’Or

Et Pâques dans tout ça ? Sur le sujet aussi Nadine est intarissable. « Je suis une enfant de la forêt, alors chaque année on fait entrer de nouveaux animaux dans notre ménagerie. On va sortir la famille girafe, mais on a la famille hippo, qui est célèbre chez nous. Notre message, c’est soyez comme vous êtes. »

Nos clients nous acceptent comme on est et on sensibilise le consommateur : le chocolat doit être très bon, mais le chocolat est fait par des personnes qui sont différentes et c’est eux qui tiennent la boutique.

À ce moment précis, nous sommes interrompues par John. Il doit s’en aller et peu importe que Nadine soit en grande conversation. « Il est autiste, glisse-t-elle. Quand il est arrivé, il ne voulait pas aller au contact du public. Aujourd’hui, c’est lui qui tient la boutique. On les accompagne vers l’autonomie… notre pari est déjà gagné ! » ♦

*en vente à la chocolaterie, avenue du Fief, Saint-Ouen-l’Aumône (95) et à la boutique éphémère des « 3 Fontaines » à Cergy (95)

 

♦ Le République, restaurant pour tous, parraine la rubrique SOLIDARITÉ et vous offre la lecture de cet article ♦

 

Bonus

[pour les abonnés] Engagée, la chocolaterie Les Copains de Bastien – Le programme Audacieuses de La Ruche Factory – Les chiffres-clé du chocolat –

Et aussi Les Copains de Bastien.  Une chocolaterie dont la vocation est d’accompagner les personnes éloignées de l’emploi dans leur parcours d’insertion par le travail autour des métiers de la gourmandise. Les fèves de cacao sont sélectionnées pour leurs qualités, mais surtout avec l’assurance d’une production éthique, équitable et respectueuse des fermiers qui travaillent et récoltent le cacao. 90, rue Maubeuge. Paris 10e

 

Les Audacieuses de La Ruche Factory. Ce programme 100% pris en charge accompagne partout en France (14 sites d’accompagnement disséminés dans tout l’hexagone), les femmes qui souhaitent créer une entreprise pour répondre à une problématique de société.

Depuis sa création en 2008, La Ruche s’est donné pour mission d’accompagner des profils sous-représentés dans l’entrepreneuriat, dont les femmes. Avec le lancement en 2014 du programme «Les Audacieuses», ce sont 169 porteuses de projet qui ont été accompagnées par le réseau, à l’instar d’Hortense Harang, co-fondatrice des Fleurs d’ici, livraison de fleurs locales. Tiphaine Guerond, fondatrice de Koovee, couverts comestibles, en Île-de-France. Marianne Rittaud et Maylis Grau, co-fondatrices de Circouleur, peinture recyclée en Nouvelle Aquitaine. Charlotte Billot et Eléonore Rothley d’Uptrade, le bureau d’achat des tissus à upcycler. Léna Crolot, co-fondatrice de Billiv, solution 100% digitale permettant de recevoir et classer les tickets de caisse automatiquement ou encore Delphine Veillard, fondatrice de myGreenMatch, une solution de matching entre shopping et produits éco-responsables.

Forte de 28 lauréates, la 8e promotion (prochain recrutement en octobre) est actuellement sur les rails. Cinq prix bonus seront décernés par les grands partenaires du programme. Un an d’hébergement au WAI Paris (We Are Innovation), lieu d’accélération et d’hébergement de start-ups créé par la banque de détail BNP Paribas. Une mission de prospection au Québec offerte par l’Office Franco-Québécois pour la Jeunesse. Une étude de marché B2C (OpinionWay). Trois mois de coworking au sein de la Ruche Paris. Un prix « Coup de cœur Fondation KPMG » de 5000 euros.

 

♦  Lire aussi : Un voilier-cargo pour transporter café et chocolat sans polluer

 

  • Les chiffres du cacao, en 2020. Source Cirad.
  • 5 millions de producteurs au Sud produisent 4,5 millions de tonnes de cacao.
  • Les cacaoyères couvrent plus de 8 millions d’hectares.
  • Les rendements varient de 150 à 2 500 kg/ha/an.
  • La consommation aura augmenté de 20% en 2020-2025.
  • La Côte d’Ivoire produit 43% du cacao mondial.
  • 4 pays africains en fournissent plus de 70% des fèves de cacao (Côte d’Ivoire, Ghana, Nigéria et Cameroun)