Fermer

Du béton 100% naturel contre l’érosion du littoral

Par Agathe Perrier, le 27 août 2019

Journaliste

Les falaises de Bonifacio en Corse, soumises à l'érosion depuis toujours.

L’entreprise marseillaise Géocorail a mis au point un nouveau procédé de fabrication de béton naturel, à base d’eau de mer et d’électricité. Ce matériau, actuellement utilisé comme outil anti-érosion, pourrait servir à dépolluer les eaux dans le futur.

 

Il y a quelques années, j’ai été particulièrement marquée par un reportage d’Envoyé Spécial sur le sujet de l’érosion (voir bonus). Et sur le sort de ces habitations, aussi bien des maisons individuelles que des résidences, menacées ou évacuées de force. Mon désarroi était total : « Que pouvons-nous contre Dame nature ? ». Quand j’ai découvert Géocorail, spécialisée dans la lutte contre l’érosion du littoral, je n’ai pas résisté à l’envie d’en savoir plus quant à sa solution.

C’est Sébastien Bigaré, responsable commercial de cette entreprise marseillaise fondée en 2012, qui m’en explique les contours. « Notre procédé est simple : on met en place une grille métallique au fond de l’eau et on l’alimente faiblement en électricité. Cela crée un phénomène d’électrolyse (ndlr : décomposition chimique obtenue par le passage d’un courant électrique) que l’on régule à l’aide d’un générateur situé sur terre. Grâce à cette régulation, le magnésium et le calcium de l’eau de mer vont se fixer sur la grille et donner naissance à une sorte de ciment. Le sable, les cailloux, les coquillages et tous les éléments présents viennent ensuite s’y coller et forment du béton naturel ». On obtient alors une sorte de rocher qui grossit petit à petit. Placé au pied d’une falaise, il vient la renforcer et éviter ainsi sa dégradation. Il faut évidemment lui laisser le temps de se développer pour avoir un morceau d’une certaine épaisseur : 5 cm en six mois, 10 cm en un an.

Du béton 100% naturel contre l’érosion du littoral 3
Schéma explicatif de la création du Géocorail.

Renforcer les quais et les digues

On comprend vite toutefois qu’avec une telle croissance, Géocorail ne peut pas agir seul sur de gros espaces. « On n’a pas vocation à remplacer les ouvrages maritimes actuels qui agissent déjà contre l’érosion, comme les digues, les quais ou les protections de plage. On vient en complément pour réduire leurs coûts de maintenance avec des techniques naturelles », précise Sébastien Bigaré. Car les ouvrages existants sont efficaces, mais se dégradent rapidement. Il faut par exemple intervenir sur une digue cinq ans après sa construction, car l’action de la houle aura commencé à faire chuter les blocs rocheux. « Pour éviter cela, on vient poser une grille au pied de la digue. Le béton s’y développe et ensuite le bas ne bouge plus ».

D’après Géocorail, il faut laisser le béton se développer entre 12 et 18 mois. Pendant ce temps, l’érosion continue de grignoter des centimètres de littoral, mais se voit vite stoppée. « Le béton se forme plus vite que l’action de l’érosion », souligne Sébastien Bigaré. Une fois la taille souhaitée atteinte, il suffit d’arrêter l’alimentation électrique de la grille. Cette dernière aura d’ailleurs totalement disparu, recouverte par le matériau.

Du béton 100% naturel contre l’érosion du littoral
Échantillons de Géocorail obtenus au bout de trois semaines (1), deux mois (2) et un an (3) © AP

Une fois posé, ça ne bouge plus !

Géocorail a mené un test il y a trois ans, en Charentes, en plaçant une grille au pied d’une digue, seulement sur l’un de ses deux côtés. Les vérifications alors menées ont montré que là où se trouve le béton, rien n’a changé. Par contre, des blocs rocheux sont tombés de la partie qui en est dépourvue. Preuve que ça marche et qu’il faudrait conforter les digues de Géocorail pour les rendre pérennes. « Cela représente un surcoût à la création de l’ouvrage maritime, généralement de 200 000 euros sur une digue. Mais derrière, les frais de maintenance sont minimes, alors qu’ils représentent d’ordinaire entre 3% et 8% du coût de construction par an ! ». Quand on sait que la construction d’un ouvrage se chiffre en dizaines de millions d’euros, le calcul est rapide. « Sur un projet à 10 millions d’euros, qui n’est pas un très gros chantier dans ce domaine, le surcoût lié à Géocorail est rentabilisé en un an », pointe Sébastien Bigaré.

Le béton naturel a montré son efficacité ailleurs. À Toulon et au Pradet, deux communes du Var, il a été utilisé pour consolider des quais qui perdaient de la roche. Un phénomène appartenant désormais au passé. « Dès qu’on a passé les 12 mois d’installation, on se rend compte que les désagrément initiaux disparaissent ». L’entreprise est intervenue à Cannes (06), en mars dernier, pour renforcer un système de géotubes endommagé. Il est encore trop tôt toutefois pour avoir les résultats. Elle mène aussi un chantier au Brésil et d’autres bientôt aux Maldives et à Tahiti.

Demain, des solutions de mouillage écolo et de dépollution ?

Géocorail continue en parallèle ses recherches d’innovation sur deux fronts principaux. L’un consiste à rendre son procédé actuel totalement autonome en électricité et supprimer ainsi le générateur à terre. Elle a développé pour cela une pile autosuffisante et propre d’une durée de vie de deux ans, détenant toute la technologie de la centrale terrestre. Idéal pour créer du Géocorail dans des endroits éloignés du littoral, comme des ancrages écologiques en mer. Et permettre aux bateaux de s’amarrer sans avoir besoin de jeter l’ancre et d’abîmer les fonds marins.

Autre caractéristique du procédé qui fait l’objet de travaux de R&D : son côté dépolluant. « On a fait des tests, notamment dans les eaux du port de La Rochelle. On a réussi à neutraliser des éléments souvent présents dans ces zones, comme l’arsenic, le zinc, le mercure ou encore le cadmium et à en faire quelque chose de neutre », explique Sébastien Bigaré. Une avancée qui nécessite encore de la recherche, mais qui ouvre de nouvelles perspectives à la société marseillaise.

Du béton 100% naturel contre l’érosion du littoral 1

Encore des freins à lever

Reste néanmoins des obstacles technologiques à faire tomber. Le procédé ne fonctionne pas dans une eau de mer dont la température annuelle est inférieure à 10°C. Dans de l’eau douce non plus – il faut qu’elle soit composée au minimum de 15% d’eau salée. Enfin, arrive un moment où le béton ne grossit plus, faute de trouver suffisamment de minéraux une fois qu’il a absorbé tous ceux présents autour de lui.

Le travail ne manque donc pas pour la petite équipe composée de huit salariés. Elle devrait d’ailleurs être renforcée dans les mois à venir, puisqu’une levée de fonds est prévue pour fin 2019-début 2020. Géocorail a déjà réalisé 150 000 euros de chiffre d’affaires au premier trimestre – contre 100 000 sur toute l’année 2018. Elle vise les 500 000 euros pour 2019 et l’équilibre en 2020. ♦

* Nos soutiens 9 parraine la rubrique « Environnement » et vous offre la lecture de cet article dans son intégralité *

 

Bonus – pour les abonnés

  • L’histoire de la création du Géocorail, c’est un peu celle de la « tarte tatin du béton ». Ses fondateurs travaillaient comme ingénieurs pour Gaz de France lorsqu’ils ont créé par erreur ce béton naturel, au début des années 2000. Amusés par leur découverte, ils ont planché dessus en parallèle de leur job pour en étudier les usages. En 2012, ils montent leur boîte et s’y impliquent pleinement. Cette même année, le fonds d’investissement Truffle Capital décide de les suivre, certain du potentiel de ce procédé. En cinq ans, il aura injecté plus de deux millions d’euros dans l’entreprise.
  • Quelle fin de vie pour le Géocorail ? Chose importante, le béton ne se dégrade que très peu. S’il doit être enlevé, il pourra être démonté, comme tout ouvrage maritime. L’avantage étant que, composé de matières naturelles, il devient un déchet propre. Il peut être concassé et resservir comme matériau de construction ou comme remblais.
  • Le reportage d’Envoyé Spécial sur l’érosion est à retrouver ici. Il pose la question : « Peut-on encore vivre en bord de mer, contre vents et marées ? » et s’est penché sur le sort de la côte Aquitaine. Là où se trouve le « Signal », un bâtiment construit dans les années 1960 à 300 mètres du rivage et qui a presque les pieds dans l’eau aujourd’hui. L’érosion touche toutefois l’ensemble du littoral français. Un autre reportage sur le sujet est à visionner ici.