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Hack4nature creuse les méninges (et les données) au profit de la biodiversité

Par Maëva Danton, le 10 mars 2021

Journaliste

Recueil de données sur des papillons de nuit, détection faciale de mérous, adoption d’arbres… font partie de 11 défis à relever en faveur de la biodiversité. En septembre 2020, l’association Donut Infolab et l’agence digitale Natural Solutions ont lancé Hack4nature. Ce hackathon virtuel est un savant mélange de bonne volonté collective et de technologies de pointe.

 

L’arche de Noé a rarement connu de telles secousses. Depuis plusieurs années, les associations de protection de la biodiversité tirent la sonnette d’alarme.
Sous la pression conjointe de l’artificialisation des territoires, de l’intensification de l’agriculture et du réchauffement climatique, de plus en plus d’espèces végétales et animales disparaissent ou menacent de s’éteindre. D’après l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 17,6% des espèces identifiées en France risquent de disparaître dans les prochaines décennies. Et le danger est encore plus fort en Outre-mer. À Mayotte par exemple, 43% de la flore vasculaire (végétaux à feuilles, tiges et racines) est menacée. 13% des poissons d’eau douce le sont en Guyane.
Il est urgent d’agir, par philosophie, par éthique. Mais aussi pour éviter l’explosion de pandémies qu’une riche biodiversité pourrait neutraliser. Sauf que l’on manque encore d’éléments de compréhension et de certaines données.

 

Hack4nature creuse les méninges (et les données) pour aider la biodiversité 2
@Hack4nature
Rendre la donnée accessible et utile

Les données, c’est justement la spécialité de l’association marseillaise Donut Infolab. Créée en 2017, elle s’inscrit dans le mouvement de l’open data qui consiste à rendre accessibles aux citoyens les informations qui les concernent.
Son dernier fait d’armes notoire, c’est un hackathon baptisé « Balance ton taudis », organisé avec le journal La Marseillaise. L’enjeu était de réunir pendant 48 heures des personnes issues de différents horizons pour trouver des manières de recueillir un maximum de données sur le mal-logement. Données qu’il a ensuite fallu traiter, avant d’en tirer des conclusions et des modes d’action.

 

 

Un événement virtuel, étalé sur un an

En 2020, alors que doit se tenir à Marseille le Congrès mondial de la nature de l’UICN, Donut Infolab veut réitérer l’expérience. Cette fois sur le thème de la biodiversité, en partenariat avec l’agence digitale Natural Solutions.
Sauf que le coronavirus est passé par là et que la tenue d’un hackathon classique est impossible. « On a alors opté pour un événement virtuel. Mais plutôt que d’organiser un événement de 48 heures en visioconférence, on a préféré l’étaler sur un an », explique Oliver Rovellotti, président de Donut Infolab et PDG de Natural Solutions.

Au programme de Hack4nature : 11 challenges mensuels autour de quatre thèmes. À savoir : la nuit, la ville, l’agriculture et la mer. Avec des points d’étape tous les 15 jours.
Chaque défi est porté par un référent, généralement un chercheur ou une personne du monde associatif.

Au total, le projet recense entre 300 et 400 participants. Ensemble, ils doivent trouver des solutions alliant les bonnes volontés et compétences de chacun, tout en s’appuyant sur les dernières technologies de collecte et de traitement de grandes quantités de données. En d’autres termes, un savant mélange « d’intelligences collective et artificielle ».

 

Générer de l’information pour construire un socle de réflexion
Hack4nature creuse les méninges (et les données) pour aider la biodiversité 1
Comprendre l’impact de l’environnement sur les papillons de nuit @entomolo

Parfois, l’enjeu est de générer des données. C’est le cas du tout premier défi de Hack4nature : la conception de pièges lumineux pour capturer des papillons de nuit.
Les participants installent ces pièges et sont chargés de prendre régulièrement des photos des papillons. Les clichés obtenus sont ensuite traités par un algorithme qui fournit des données sur la présence et la densité de différents papillons sur un site.
« Le but est d’avoir un maximum de stations d’observation pour comprendre les facteurs qui agissent sur ces populations de papillons ». Il peut s’agir de mesurer le rôle des pesticides ou de la pollution lumineuse, lorsque les lampadaires détournent les papillons de leurs missions de pollinisation et de reproduction. « On pourrait aussi évaluer l’impact de politiques visant à planter des haies dans les cultures. Ou encore celles en faveur de la nature en ville », complète Olivier Rovellotti.

 

 

Comprendre et interpréter des données obtenues à partir de technologies de pointe

Dans d’autres cas, le défi consiste à travailler à partir d’une base de données déjà existante. « À la fin du hackathon, nous aurons un challenge autour de la reconnaissance faciale de mérous et d’hippocampes », annonce le PDG de Natural Solutions.
Des plongeurs sont chargés de réaliser des photos de spécimens de ces espèces et un algorithme est en mesure de reconnaître un individu présent sur plusieurs photographies. « C’est une technologie utilisée dans le spatial ou l’armée. Elle nous permettra d’en savoir plus sur la longévité et le taux de survie de l’espèce ». La mission des participants de Hack4nature sera de traiter les données ainsi obtenues.

« L’intelligence artificielle est une science difficile, souvent réservée aux informaticiens, dans de grands programmes de recherche. Dans des projets de plus petite envergure, on manque d’outils de ce type. Surtout lorsqu’il s’agit de biodiversité où le budget est bien moindre que celui du spatial ou de la finance ». Tout l’enjeu est de démocratiser ces technologies pour qu’elles participent au bien commun.

Mais parfois, les défis n’impliquent pas d’utiliser des outils aussi sophistiqués. Ils peuvent au contraire ne nécessiter que des moyens très rudimentaires. C’est le cas de l’opération « Adopte un arbre ». « On demande à des écoliers d’adopter un arbre de leur choix dans la rue et de lui donner un prénom ». Prénom qu’ils ont pour mission d’inscrire à la craie sur son tronc.
« Mobiliser le grand public est tout aussi important que d’utiliser de l’intelligence artificielle », pointe Olivier Rovellotti. Car il ne s’agit pas seulement de satisfaire la soif de sciences et de technologies de quelques passionnés. « Une plateforme d’observation citoyenne, c’est bien. Mais cela n’a pas d’impact réel ». Pour être utile, elle doit être combinée à de la sensibilisation et à des actions concrètes.

 

hack4nature-biodiversite-nature-IA
@Hack4nature
Prochain défi : un score de biodiversité pour les aliments

« En avril, nous démarrerons les challenges sur le thème de l’agriculture et l’alimentation. Les participants devront réfléchir à un score de biodiversité pour les aliments. Puis nous appliquerons ce score aux menus des cantines dont les données sont plus ou moins accessibles ». Ce qui devrait permettre d’influer sur les achats alimentaires de ces structures, dans un plus grand respect de la faune et la flore.

Actuellement à mi-parcours, Hack4nature va se poursuivre jusqu’en septembre prochain, date du report du Congrès de la nature. Il doit a priori se tenir en partie en présentiel, en partie à distance. « Nous remettrons un prix au meilleur challenge et nous féliciterons tous ceux qui s’y sont impliqués ».
Les organisateurs prévoient alors de communiquer largement sur l’événement et, éventuellement, de rechercher des financements pour certains projets. « Ce pourrait être au travers d’appels à projets de l’Office français de la biodiversité ou via des fonds européens. On ne sait pas encore ».
Quoiqu’il en soit, pour Olivier Rovellotti, le hackathon est déjà une réussite. « On a permis à des gens de se rencontrer et de faire émerger des idées. Je pense que certaines perdureront et que les porteurs de projets continueront le travail engagé ». ♦

 

* Nos soutiens 9parraine la rubrique « Environnement » et vous offre la lecture de cet article *

Bonus [pour les abonnés] – Kezako hackathon – Les prochains challenges – Les partenaires –

  • Hackathon – Le terme est le résultat de la contraction entre marathon et hacker. L’entreprise spécialiste de l’open data Datactivist le définit ainsi : « un événement pendant lequel des personnes se rassemblent pour résoudre des problèmes, classiquement en développant des outils informatiques mais pas nécessairement. À cette occasion, des données sont mises à disposition et constituent le matériau essentiel du travail des participants. C’est un format de co-création, associant sur un temps court des profils et des compétences diverses au sein d’équipes projet, dans une ambiance de travail conviviale, sous le signe de l’intelligence collective, du partage de compétences et de connaissances. »

 

  • Participer aux prochains challenges – Pour découvrir tous les challenges et y participer, rendez-vous sur le site de Hack4nature. Des réunions ont lieu en visioconférence tous les premiers mardis du mois puis tous les quinze jours. Tout le monde est bienvenu. Pour le prochain thème sur l’agriculture et l’alimentation, les organisateurs sont à la recherche de personnes ayant une expérience dans l’agriculture, qu’elle soit urbaine ou rurale.
    Hack4nature est aussi en quête de naturalistes amateurs qui voudraient donner des photos, observer des mérous ou faire de l’enregistrement sonore d’oiseaux.

 

  • Partenaires de l’événement – Le projet est piloté par l’UMS Patrimoine naturel du Museum d’Histoire naturelle de Paris. La structure concentre toutes les données qui sont ensuite ventilées à l’international.
    Localement, il est soutenu par la Région Provence-Alpes Côte d’Azur et a été construit en partenariat avec le journal La Marseillaise.