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HLM : des écogestes reliés au porte-monnaie

Par Nathania Cahen, le 23 octobre 2018

Journaliste

Une fois n’est pas coutume, Marcelle décortique un dispositif qui n’a pas encore fait ses preuves : une monnaie virtuelle et vertueuse qui récompensera chaque écogeste (tri des déchets, économies d’énergie, mode de déplacement doux) des habitants de Frais Vallon, à Marseille. Cette cité va en effet servir de laboratoire urbain à cette application mobile inédite.

 

Parlez-vous « nudge » ? Non ? Je vous rassure moi non plus. J’ai dû solliciter Qwant, mon moteur de recherche. Pour y découvrir que « to nudge » signifiait pousser du coude. Et que les « nudges » désignaient des incitations psychologiques douces, basées sur l’économie comportementale. C’est à Frais Vallon, une cité des quartiers Nord de Marseille comptant 1 500 logements répartis dans 14 barres et tours, que Sirius, un dispositif inédit à base de nudges, va être expérimenté. Imaginé et mis en place par HMP (Habitat Marseille Provence-Aix Marseille HLM : des écogestes reliés au porte-monnaie 1Métropole) dans le double cadre du Programme d’investissement d’avenir (PIA) « ville durable et solidaire », et du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), sur lequel nous reviendrons plus loin. Cette monnaie électronique va servir d’outil incitatif, pour convaincre les habitants d’adopter des comportements plus écologiques, au bénéfice de l’environnement… mais aussi de leur porte-monnaie !

« Instiller du jeu et de la légèreté »

« Nous travaillons d’ores et déjà sur le gaming, indique Didier Raffo, chargé de mission Renouveau Urbain pour HMP. Avec le laboratoire de psychosociologie d’AMU notamment. Pour instiller du jeu et de la légèreté, en relayant par exemple des phrases culte comme le fameux slogan de Pirelli : Sans maîtrise, la puissance n’est rien ». Car il faut arriver à « convaincre sans contraindre ». Et d’évoquer des campagnes qui ont porté leurs fruits : qu’il s’agisse du point noir à viser dans les urinoirs de l’aéroport d’Amsterdam ou de radiateurs avec un thermostat orné d’un smiley dont le sourire se crispe de plus en plus quand on dépasse le 3 pour aller vers le 5. « Toutes ces petits choses qui inconsciemment influencent les comportements ». Or l’avantage des incitations comportementales est triple, car elles sont peu chères, efficaces et reproductibles.

Récompenser les citoyens investis

C’est d’autant plus jouable qu’il y a un intéressement à la clé. Par exemple, quand le Ministère des Finances a initié la déclaration fiscale en ligne en 2001, c’était assorti d’avantages : trois semaines de délai supplémentaires et dix euros à défalquer.

Via une application mobile dédiée, chaque éco geste (tri des déchets, économies d’énergie, choix de mode de déplacement doux ou collectif…) sera récompensé et permettra par exemple des réductions sur les factures d’énergie ou l’achat de produits et services de l’économie locale. Mais pas n’importe où : dans des commerces de proximité labellisés – tel coiffeur s’il utilise des produits non toxiques ou tel primeur qui vend des légumes de la région. Il y aura, évidemment un système intelligent de capteurs qui validera et prendra la mesure des actions ou gestes effectués.

Diverses initiatives viendront en appui de Sirius, comme la signature d’une charte par les habitants de Frais Vallon, ou encore un challenge « nudge » organisé dans les écoles en partenariat avec le Technopôle de Château-Gombert. Le tout dans le cadre d’un « ensemblier » déployé autour de cette nouvelle monnaie électronique dont la forme pourrait être celle d’une carte de crédit.

« Un pari sur la fibre écologique »

Gains d’argent, amélioration du reste à vivre et cercle vertueux : je m’applique/m’implique, j’économise, je réinjecte dans l’économie locale. Didier Raffo estime à environ 20 euros par mois le gain réalisé par une famille HLM : des écogestes reliés au porte-monnaie 2mais se dit conscient des limites du système. « L’environnement n’est pas la priorité des populations les plus fragilisées, davantage préoccupées par remplir le frigidaire et gérer la scolarité des enfants. C’est un pari sur la fibre écologique ». Il évoque une posture de passeur, « en lien avec les associations locales qui relayent nos infos ».

Aujourd’hui l’étude sur Sirius touche à son terme et l’étape de la preuve du concept (POC) a été cochée. En 2019, le dispositif devrait être mis en place sur le plan juridique et économique pour une phase test fin 2019 début 2020.

Autoproduction et autoconsommation d’énergie solaire

Les nudges constituent la partie innovation d’un programme bien plus vaste qui repose en partie sur une centrale solaire composée de 6 000m² de panneaux photovoltaïques installés sur les façades et toits des bâtiments. Ce qui est en fait la plus grande d’Europe, à même de couvrir 30 % des besoins des quelque 5 000 riverains de la cité. Une partie de cette énergie verte et locale pourrait même être vendue à des partenaires comme la RTM, si le reliquat de production n’est pas autoconsommé.

Genèse du projet Sirius

Toi qui abhorres les acronymes, passe ton chemin. Le Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) porté par l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) sous la tutelle du Commissariat général à l’égalité des territoires a été initié en 2014 dans le cadre de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. L’effort porte surtout sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) qui présentent les dysfonctionnements urbains les plus importants, soit un tiers de ces QPV (216 quartiers d’intérêt national et 250 d’intérêt régional). C’est à destination de ces derniers qu’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) piloté par l’ANRU a été lancé pour des projets conciliant excellence et innovation. Et, en 2016, le projet Sirius (Système d’innovation par les réseaux d’intelligence urbaine et de services) -Frais Vallon a été sélectionné parmi 200 autres dossiers. Vous connaissez la suite… ♦

 

Bonus

  • « Un mercredi à Frais Vallon », petit film qui montre les vertus de cet argent vert
  • Finaliste des Trophées de l’innovation HLM 2018, qui récompensent les initiatives innovantes en faveur du logement social, et jouant à domicile, Sirius n’a pourtant pas été primé. Le prix de l’innovation technique, a été remis à Gironde Habitat pour un projet d’autoconsommation collective via la réutilisation de l’électricité produite en circuit-court au bénéfice des locataires. Toulouse Métropole Habitat a remporté le prix de l’innovation sociale pour son modèle de gestion des espaces verts grâce à l’agriculture urbaine. Le prix de l’innovation locale et économique est revenu à la coopération interbailleurs « COOP’I.B » (Languedoc-Roussillon). Le prix de l’innovation architecturale a récompensé les Pavillons modulaires du bailleur Vilogia à Villeneuve d’Ascq pour la construction de logements sociaux flexibles à moins de 1 000 €/m². Le prix « coup de cœur » est revenu à Néolia (région Grand Est) pour son projet de big data contre l’isolement des seniors.