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[forêt #4] Plante-t-on trop d’arbres ?

Par Paul Molga, le 4 août 2022

Journaliste

@ Valiphotos de Pixabay

Série d’été // Quel est l’impact réel des campagnes de reforestation ? Souvent conduites sans discernement, elles pourraient être contre-productives, nuire à la biodiversité et renforcer l’effet de serre, selon plusieurs chercheurs. Marcelle a mené l’enquête.

[publication initiale le 01/02/2021]

Écouter cet article en podcast – 8 minutes

 

En ce mois de novembre, la forêt varoise accueille un ballet inhabituel. À l’appel du fabricant de bouchons Diam Liège, des dizaines de bénévoles arpentent, pelles en main, les collines dominant Hyères, Ramatuelle et La Londe Les Maures. Objectif de la journée : planter dans cette zone 3350 chênes-lièges. De quoi repeupler les anciennes suberaies (forêts de chênes-lièges – NDLR) délaissées au profit des sols portugais après guerre. Sur 56 000 hectares potentiellement exploitables dans le département, la moitié seulement est recouverte de cette espèce utile, particulièrement adaptée au climat méditerranéen. « Notre ambition est de redynamiser la filière tricolore du liège », explique le responsable des achats de l’entreprise, Fabien Nguyen.

 

Un arbre pour cinq habitants en Région Sud

L’opération a été rendue possible grâce au concours financier du plan « 1 million d’arbres », initié par la Région Sud (lire en bonus) pour enrichir son patrimoine forestier. « En permettant de stocker potentiellement la moitié des émissions régionales de gaz à effet de serre, la forêt est au cœur du processus d’adaptation et d’atténuation du changement climatique », argumente son président Renaud Muselier. Une fois ce programme achevé fin 2021, la région sera dotée d’un arbre pour cinq habitants.

Forêts #2 : plante-t-on trop d’arbres ?
En 2020, presque 30 arbres ont été plantés chaque seconde.

Partout, la même frénésie écologique gagne du terrain sous l’effet des mesures de compensation carbone. Au rythme d’une trentaine de plantations chaque seconde, presque un milliard d’arbres auraient ainsi pris racine rien que l’an passé dans le monde. Et ça n’est qu’un début, car plusieurs pays se sont lancé des défis de reboisement massif très ambitieux.

C’est par exemple 100 millions d’hectares visés d’ici 2030 par les 20 pays de l’African Forest Landscape Restoration Initiative. Ou encore 350 millions à la même échéance pour le Bonn Challenge, 95 millions en Inde…

 

Un allié contre le changement climatique

Sur le papier, ces initiatives ont du sens : les arbres retiennent l’humidité pour limiter les effets de la sécheresse. Et ce sont de formidables puits de carbone qui piègent dans l’atmosphère le CO2 nécessaire à leur croissance. Chaque essence n’en absorbe pas la même quantité, mais il est estimé qu’un arbre nouvellement planté en stocke en moyenne 20 à 30 kg par an. « Les forêts sont notre principal allié contre le changement climatique », expliquent les écologistes Jean-François Bastin et Tom Crowther de l’École Polytechnique Fédérale de Zurich.

Dans une étude relayée l’an passé par la revue Science, ils ont calculé que notre planète compte 3 000 milliards d’arbres. Mais pourrait en accueillir 1 200 milliards de plus sur une surface équivalente à la taille des États-Unis (0,9 milliard d’hectares). À l’âge adulte, ces nouvelles forêts pourraient séquestrer 205 gigatonnes de carbone. Soit environ cinq fois la quantité mondiale de CO2 émise en 2018 et les deux tiers de tout ce que l’Homme a généré depuis la révolution industrielle. « Si nous plantions ces arbres aujourd’hui, le niveau de CO2 dans l’atmosphère pourrait être réduit d’un quart », assuraient les auteurs au lendemain de la publication de leur étude.

 

Au détriment de la biodiversité ?

Forêts #2 : plante-t-on trop d’arbres ? 1
La biodiversité pourrait être impactée.

Depuis, d’autres voix sont venues pointer les effets potentiellement pervers des politiques de reboisement. Même si ces chiffres sont en ligne avec le dernier rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Cet été, des chercheurs de l’université de Californie ont notamment examiné les résultats de la stratégie de subventionnement de la reforestation conduite au Chili entre 1986 et 2011.

« Les plantations réalisées ont souvent remplacé des couvertures terrestres plus riches », constate Robert Heilmayr. Le principal auteur de l’étude publiée par Nature cite en exemple des forêts primaires, défrichées pour planter des arbres plus rentables. « Cette politique a probablement réduit la biodiversité sans augmenter le carbone total stocké dans la biomasse aérienne », dénonce le chercheur.

 

 

Une riposte efficace à la déforestation ?

Avec le recul, un bon nombre de scientifiques se demande à présent si les campagnes de plantations massives sont une riposte réellement efficace à la déforestation. Plusieurs ont échoué. Pour preuve, l’opération gouvernementale turque « Souffle pour l’avenir » qui avait battu le record de mobilisation des planteurs volontaires ! Mais six mois plus tard, en février 2020, le syndicat des travailleurs du bâtiment et du bois a noirci la photo de famille. Sur le terrain, « seuls 10% des 11 millions d’arbres plantés avaient survécu ». Notamment en cause, le manque d’apport d’eau aux jeunes plants.

La situation serait la même en Éthiopie d’après un groupement d’OGN locales, le Consortium pour la population, la santé et l’environnement. Il estime en effet, sans étude indépendante, que le taux de survie des acacias plantés lors de la campagne de reforestation gouvernementale « Héritage vert » – 84% sur 4 milliards de plans – est « hautement exagéré ».

 

Des sols à saturation

Un autre problème s’ajoute : à cause du réchauffement climatique et de la dégradation des sols, nos forêts fatiguent et sont désormais plus sensibles à la concurrence de nouvelles plantations. Dans un article publié en mars dans Nature, Wannes Hubau de l’Université de Leeds et Lise Zemagho du laboratoire de technologie du bois à l’université de Gand (Belgique) ont montré que les puits de carbone forestiers tropicaux commencent littéralement à saturer. Dans les forêts tropicales amazoniennes, le rythme d’absorption du dioxyde de carbone freine depuis les années 1990. Il y a une décennie, les mêmes signes de ralentissement sont apparus en Afrique, selon leur analyse réalisée dans 244 forêts.

Les chercheurs sont pessimistes. En extrapolant leurs données, ils affirment que ces deux principales pompes à carbone, qui représentaient la moitié du puits de carbone terrestre à plein régime, pourraient bientôt ne plus fonctionner. Leur performance pourrait diminuer de 14% d’ici 2030 en Afrique et s’approcher de zéro en 2035 en Amazonie. « À long terme, elles pourraient même produire plus de carbone qu’elles en captent », avertissent les chercheurs.

 

 

Planter en bonne intelligence

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Planter les bonnes espèces aux bons endroits en fonction des besoins locaux.

« Il faut planter stratégiquement les bonnes espèces aux bons endroits au regard des besoins locaux », milite Jacques Rocher, pionnier de la reforestation. Depuis 2007, la Fondation Yves Rocher qu’il dirige plante inlassablement aux quatre coins du globe. Au total, son réseau Plantons pour la Planète aura bientôt enraciné 100 millions d’arbres dans 35 pays grâce au reversement d’un total de 25 millions d’euros prélevé sur les ventes de l’enseigne. « Mais pas n’importe comment », insiste le fils de l’industriel.

 

Protéger les papillons ou contenir un terrain

Ainsi, au Mexique, plus de 56 000 hectares ont été replantés de cèdre endémique et de noyer maya. Ce dernier est une essence oxalogène qui transforme le CO2 capté en calcaire servant de réservoir nutritif pour les végétaux. L’opération a restauré un territoire stratégique du Monarque, un papillon migrateur indispensable à la pollinisation de la flore locale. Ainsi, 230 emplois ont été créés dans les pépinières de la région, selon le bilan de la fondation.

La même logique a prévalu en Roumanie, où 200 000 chênes ont été plantés pour prévenir les glissements de terrain. Ou au Portugal pour réintroduire de la diversité dans les monocultures intensives d’eucalyptus. « Ce travail est inutile si on ne cesse pas d’urgence de massacrer les forêts », insiste Jacques Rocher. Les efforts de sa fondation n’ont compensé que 20 jours du rythme de déforestation mondial. ♦

 

Bonus

Le plan de la Région Sud « 1 million d’arbres plantés d’ici 2021 » – C’est la deuxième région la plus boisée de France, avec 1,6 million d’hectares. Soit près de 50% d’espaces boisés et 25% d’espaces protégés. Le plan « 1 million d’arbres plantés d’ici 2021 », est une priorité du Plan Climat, une « COP d’avance ». Très diversifiées, les forêts régionales permettent de stocker en effet jusqu’à 52 000 kilos tonnes de CO2 par an. Ce qui représente 35% des émissions régionales.

Dans ce contexte de changement climatique, particulièrement marqué sur les régions méditerranéennes, préserver les forêts est un enjeu vital. La Région Sud entend le défendre en consacrant chaque année 7,5 millions d’euros à la politique forestière. De quoi soutenir les actions de l’ONF (Office National des Forêts), l’Association des Communes Forestières et le Centre Régional de la Propriété Forestière.