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Jean Viard : « Il faut construire une éducation au voyage »

Par Maëva Danton, le 29 juillet 2022

Journaliste

Et si l’arrêt soudain du tourisme pendant la pandémie de covid-19 avait la vertu de nous faire réfléchir à une nouvelle manière de l’appréhender ? C’est la proposition que porte le court essai « L’an zéro du tourisme »* co-écrit par le spécialiste des médias David Medioni et le sociologue Jean Viard. Ce dernier a accepté de répondre à nos questions.

D’abord l’apanage d’une élite, le tourisme se généralise avec l’avènement des congés payés puis l’essor après-guerre d’un « tourisme social ». Le gaullisme voit alors naître les premiers parcs et réserves. Les restaurants se multiplient, de même que les musées, les festivals… Façonnant autant nos territoires que nos modes de vie. Devenant un pilier économique pesant 10% du PIB mondial. Et 15% des emplois.

Puis, un jour de mars 2020, plus rien. Les avions ne décollent plus. Les hôtels et restaurants sont clos.

L’occasion pour Jean Viard et David Medioni de proposer un temps de réflexion. DAns leur ouvrage « L’an zéro du tourisme », paru aux éditions de l’Aube, ils se proposent de faire le point sur l’importance du tourisme pour l’humanité. Mais aussi sur ses écueils, déjà visibles avant cette crise. Pour repartir de zéro en combinant vertus du voyage et enjeux sociaux comme environnementaux.

 

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Pour Jean Viard, le tourisme participe à la création d’un commun pour l’Humanité. @DR
Marcelle : Dans votre livre, vous partez du postulat que, malgré les nuisances qu’il peut générer, le tourisme est un bien pour l’humanité. Pourquoi ?

Jean Viard : Lorsque le tourisme s’est arrêté à cause de la Grande pandémie, nous nous sommes tous rendu compte de l’importance qu’il a pour soi mais aussi pour les villes, les territoires. Il n’y avait plus rien. Les villes étaient mortes. Avec des conséquences sur l’économie et les emplois, bien  sûr.

Mais le tourisme est aussi culturel puisqu’il contribue, tout comme le cinéma, l’art ou la technologie, à la création d’un commun partagé. Or, dans la période de guerre climatique à laquelle nous faisons face, nous avons besoin de ce commun. En 2019, le tourisme a concerné 1,5 milliard d’humains. Si on en avait 3 milliards ce serait beaucoup mieux. À condition que soit mise en place une vraie politique du tourisme pour gérer les flux de manière qualitative et plus seulement quantitative.

 

Marcelle : Par quels moyens cela est-il possible ?

Jean Viard : « Il faut construire une éducation au voyage » 4Jean Viard : Il existe encore plein d’endroits sans touristes. Il faut construire une éducation au voyage qui fait cruellement défaut. Il faut organiser des modes de transports plus propres. Et aussi utiliser le numérique pour que les touristes planifient tout à l’avance : les visites au musée, l’hôtel, le restaurant… Et qu’en fonction de la fréquentation, on recommande aux gens de décaler un peu leurs vacances.

 

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Marcelle : Mais les dates de vacances sont souvent contraintes par le calendrier scolaire…

Jean Viard – Une vraie politique du tourisme pourrait agir sur cela. En Italie, par exemple, les parents peuvent retirer leurs enfants de l’école une semaine dans l’année pour voyager.

 

Marcelle : Dans votre livre, vous écrivez que les pouvoirs publics considèrent le tourisme à travers un prisme très réduit. Est-ce le cas seulement en France ?

Jean Viard : En France, le tourisme relève d’un sous-ministère qui intègre également le commerce, qui appréhende le tourisme à travers les bars, les hôtels et les restaurants. Il n’y a pas de pensée du tourisme. Ni en France ni ailleurs dans d’autres pays. Mais la France aurait un devoir d’exemplarité car elle est quand même le seul pays qui compte plus de touristes que d’habitants.

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« Il n’y a pas de pensée du tourisme », regrette le sociologue @DR

Il y a en revanche des villes qui agissent. À Barcelone par exemple, la pression touristique a été très bien gérée. Au départ, la Mairie avait été élue contre le tourisme. C’est aujourd’hui elle qui l’organise. Ils ont pour cela commencé par identifier toutes les typologies de touristes, du congressiste à celui qui vient rendre visite à sa famille en passant par celui qui est là pour les musées. Puis ils ont cherché à comprendre les besoins de chacun pour ajuster l’offre et mieux orienter les flux de personnes. Si on n’observe pas le tourisme, on a l’impression d’une foule qui se jette sur la ville. Or les choses sont plus complexes.

Et il faut bien retenir que la mise en désir d’un territoire ne se découpe pas. Le tourisme va de pair avec l’attractivité économique. Lorsque des millions de croisiéristes font escale dans une ville comme Marseille – même s’il faut évidemment lutter contre les pollutions que peuvent générer ces navires – cela crée une rumeur d’attractivité. Qui attirera de nouvelles populations, des jeunes cadres aux retraités, et participera au dynamisme économique de la ville.

 

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Barcelone : un exemple cité par les auteurs pour sa gestion très fine du tourisme. @DR
Marcelle : En France, on estime que 60% des gens partent en vacances. Soit 40% qui n’y auraient pas accès. Comment poursuivre la démocratisation du tourisme que vous appelez de vos vœux ?

Jean Viard : Il y a plusieurs raisons qui expliquent que certaines personnes ne partent pas en vacances. Ce peut-être parce, habitant près de la mer par exemple, on peut très bien profiter des vacances depuis chez soi. Mais il y a des gens qui en sont exclus pour des raisons économiques, parce qu’ils ont un handicap. Il y a aussi beaucoup de mères célibataires qui ne partent pas car elles ne sentent pas en sécurité. Mais globalement, je pense qu’il faut agir sur un frein principal qui est l’éducation au voyage des plus jeunes.

Après la Grande Guerre, on a fait partir les gens par le biais des grandes entreprises, des colonies de vacances, du tourisme social. Cela a permis une initiation aux vacances. De même que les classes vertes qui ont été très importantes pendant un temps.

Aujourd’hui, on ne s’occupe plus du tourisme des jeunes, en particulier de ceux qui vivent en banlieue. Or le voyage fait partie de l’éducation. L’idée que l’éducation pourrait être sédentaire est absurde. Et il n’est pas nécessaire d’aller au bout du monde. Pour un enfant, partir trois jours à dix kilomètres de chez lui, c’est déjà grandiose. ♦

 

* Jean Viard et David Medioni. Éditions de l’Aube et Fondation Jean-Jaurès, paru le 3 juin 2022. 168 pages. 17 euros

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*RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité *

 

Bonus

  • Le voyage à Nantes – Pour rédiger cet ouvrage, les auteurs se sont notamment nourris d’un grand colloque international organisé en septembre 2021 par l’office du tourisme Le Voyage à Nantes. Un acteur qui a œuvré à revoir sa conception du tourisme, lui préférant le terme de voyage. Et s’est attelé à le rendre plus durable. Il n’empêche que de nombreuses questions restent en suspens, obligeant à poursuivre la réflexion. Et à trouver des solutions, comme l’explique Jean Blaise, directeur du Voyage à Nantes, à la toute fin de l’An zéro du tourisme.