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Pour les jeunes souffrant de troubles psychiques, une Maison Perchée  

Par Marie Le Marois, le 30 mars 2022

Journaliste

Les fondateurs de La Maison Perchée : Lucille, Maxime, Victoria et Caroline @La Maison Perchée

Être bipolaire ou schizophrène est une souffrance d’autant plus grande que ces troubles psychiques sont stigmatisants. Pour lutter contre l’isolement des patients et briser les tabous, La Maison Perchée a été bâtie en 2020 par et pour des jeunes touchés. Cette communauté d’entraide non médicalisée, fondée sur l’écoute et la parole, est une première en France. Principalement en ligne, elle s’ancre prochainement à Paris.

 

L’appartement parisien a des allures de start-up. Bénévoles et salariés, oreillettes vissées, bossent en open-space, chacun sur un coin de table. Effervescence et efficacité. Maxime Perez Zitvogel, bipolaire et maître des lieux, est cofondateur de la Maison Perchée. Esprit vif et sourire accrocheur, il nous bombarde d’infos.

Il faut dire que l’aventure est extraordinaire. Elle débute par des rencontres. Celles de Maxime, Lucille et Victoria qui tous souffrent de troubles psychiques. Leur chemin s’est croisé un jour, par différents biais. Chacun avait déjà fait l’expérience de crises – point culminant de la maladie – et des hospitalisations qui en découlent. Hospitalisations qui s’achèvent toujours de la même manière : avec une liste de médicaments au nom compliqué pour seule compagnie.

  • Samedi 2 Avril, La Maison Perchée organise une journée d’échange et de partage à la Maison de la Conversation dans le 18e à Paris. Inscriptions ici

 

Aider à trouver sa place

start-up
La Maison Perchée est une association qui fonctionne comme une start-up @La Maison Perchée

Si l’hôpital est « le bon endroit » en situation de crise, qu’en est-il après ? Lorsqu’ils sont de retour chez eux, les patients doivent faire face à leurs troubles, au quotidien. Pire que la maladie, ils subissent l’isolement et la solitude. « Ils s’excluent eux-mêmes quand ce n’est pas les autres qui le font », décrypte Caroline Matte, trentenaire marseillaise et quatrième pièce du puzzle (genèse de La Maison Perchée dans les bonus).

Pour aider la personne à se rétablir, « trouver sa place » dans la société et accepter sa maladie, le quatuor imagine pendant le premier confinement une maison pour les esprits singuliers, La Maison Perchée. Cet accompagnement communautaire, brique manquante dans le parcours de soin, est dédié aux jeunes bipolaires et schizophrènes de 18 à 40 ans, et l’entourage. Ici, pas de soins, l’approche est non médicalisée. Et l’adhésion, 10 euros.

 

  • Selon l’OMS, la schizophrénie touche 206 269 personnes en France et la bipolarité, 663 121 personnes. In Global Burden of Disease Study 2019. Il existe autant de formes que de patients – surtout pour la schizophrénie (il n’y a pas nécessairement de voix ou de dédoublement), ce qui rend difficile le diagnostic (10 ans environ). La majorité des troubles débutent avant 25 ans avec une phase aigüe entre 15 et 20 ans.

 

La démarche doit venir du malade

pair-aidants
Brainstorming avec Hana, psychologue en charge des pair-aidants. Une quarantaine ont déjà été formées. @La Maison Perchée

Les personnes faisant appel à la Maison Perchée ne doivent pas être en crise, état qui nécessite des soins. Il est préférable, par ailleurs, qu’elles soient à l’initiative de la démarche. Qu’elles ressentent l’envie « d’aller de l’avant, de rencontrer une communauté de pairs et d’en connaître davantage sur la maladie », résume Maxime.

Il nous présente Hana, « la première salariée de l’association » à l’exception des fondateurs (voir bonus). Cette psychologue, elle-même bipolaire, mène à l’instant un entretien téléphonique avec un trentenaire diagnostiqué « schizo » dix ans auparavant. Il n’appelle pas pour être aidé mais pour intégrer le groupe des ‘’aidants’’. À savoir des personnes passées par la maladie, suffisamment stabilisées pour accompagner à leur tour celles en demande. Elles remplissent avant l’entretien un questionnaire d’évaluation psychologique et bénéficient, par la psychologue, d’une formation à la ‘’pair-aidance’’ – entraide entre pairs appelée ‘’Pair’ché’’.

 

 

Le pair-aidant, au cœur de la Maison Perchée

Maxime Perez Zitvogel
Maxime Perez Zitvogel, cofondateur de La Maison Perchée @La Maison Perchée

Le pair-aidant est l’essence de la Maison Perchée et diffère en tout point avec la relation patient-médecin. Il parle le même langage que le malade qui se sent alors compris et épaulé. En partageant son vécu, son cheminement et son rétablissement, il peut redonner espoir, devenir source d’information et de modèle d’identification. « On apprend beaucoup de l’expérience », confirme le cofondateur de 29 ans.

Diagnostiqué bipolaire à 22 ans, alors qu’il était étudiant en école de commerce à l’étranger et en plein projet de start-up, ce Parisien est en effet passé « par différentes étapes » – épisode maniaque, rapatriement d’urgence, hospitalisation, descente aux enfers, déni, dépression, enfermement pendant 17 mois, tentative de suicide, arrêt des médicaments, reprise des médicaments, acceptation, proclamation et envol (voir bonus).

Grâce au principe de la pair-aidance, la personne en demande se sent soutenue et l’aidant, utile. Une utilité qui peut impacter positivement sa maladie. « Servir pour guérir », résume Maxime qui affectionne les credo.

 

  • ‘’Nous croyons dans un monde où l’on peut vivre heureux sans cacher sa maladie’’, La Maison Perchée

 

Nid et Perchoir…

Gringe
Caroline, Victoria et Maxime avec Gringe, parrain de la Maison Perchée @La Maison Perchée

Quand un jeune frappe à sa porte, La Maison Perchée propose un échange téléphonique, appelé ‘’Nid’’, avec un pair-aidant. Des conversations bienveillantes et confidentielles de 45 minutes.

Elle organise par ailleurs des ‘’Perchoirs’’, groupes de paroles animés par des pair-aidants et réservés aux malades pour échanger, se soutenir et partager ses expériences.

L’entourage (peu importe l’âge du malade) a également ses ‘’Perchoirs’’, si importants pour un parent, un fils, une épouse. Vivre avec une personne souffrante peut être difficile. Source de tensions, d’incompréhension, de tristesse. De rejet parfois, comme l’a avoué l’artiste Gringe, frère d’un schizophrène et parrain de l’association. Or, l’entourage joue un rôle clé dans le rétablissement.

 

 

…Ateliers de bien-être et piailleries… 

oeuvres
Exposition des œuvres produites dans le cadre de l’espace artistique  »les Pialleries » @La Maison Perchée

La Maison Perchée offre enfin des ateliers de bien-être et d’accompagnement, tels nutrition, danse, art-thérapie, écriture, yoga… Ce peut être du coaching professionnel, « tout ce qui peut aider le malade dans sa vie », résume Maxime. Il y a aussi un espace de « libre création artistique » en ligne, appelé ‘’Les Piailleries’’.

Les troubles psychiques cachent souvent un talent, ce que souligne Caroline, la cofondatrice, « il y a une grande souffrance et en même temps une grande créativité ». Avec les piailleries, ils peuvent exprimer leur hypersensibilité et leur créativité. Poster sur le site poèmes, vidéos, dessins ou simples témoignages. Et parfois exposer ensemble, dans un lieu, comme ce fut le cas lors de tables rondes organisées par l’association.

 

  • « Tout seul on va plus vite mais ensemble on va plus loin », La Maison Perchée

Pour apprivoiser ses troubles psy et s’accepter

Pour les jeunes souffrant de troubles psychiques, une Maison Perchée   4
Une partie des 25 bénévoles de La Maison Perchée en week-end  »team building » @ La Maison Perchée

Avec son système de Nid, Perchoir et Piailleries, La Maison Perchée est un refuge permettant de se poser et reprendre de l’élan. « Un abri pour ceux qui comme moi se sentent parfois isolés ou stigmatisés par la maladie. Le foyer d‘une meilleure compréhension de ces handicaps invisibles qui ne sont pas des fardeaux, mais des richesses », raconte sur le site Victoria, l’une des fondatrices.

Les différentes propositions de La Maison Perchée visent le rétablissement et non la guérison. Car on ne guérit pas de troubles mentaux, « on se stabilise », rectifie Maxime. On apprend à vivre avec. Et c’est énorme. Cohabiter avec ses troubles, plutôt que de lutter contre ou les nier, permet de mener « un projet et une vie amoureuse. Une vie tout court », ajoute Maxime, engagé par ailleurs dans la vie publique, en tant que conseiller parisien des associations.

  • 30% des patients bipolaires sont au chômage quand ils ne souffrent pas de handicap scolaire ou professionnel, in CAMIP. Bon à savoir : ils ont la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).

 

30% des psychiatres connaissent La Maison Perchée

Délégation Ministérielle à la Santé mentale et à la Psychiatrie
Table ronde avec Victoria, cofondatrice de la Maison Perchée entourée à gauche de Rémy, un bénévole. À droite, Jacques Galvani, adjoint à la mairie de Paris en charge de l’accessibilité universelle et des personnes en situation de handicap, Marianne Perreau-Saussine, conseillère auprès du délégué Ministériel à la Santé mentale et à la Psychiatrie. Et l’artiste Gringe @La Maison Perchée

La Maison Perchée agit aussi à l’extérieur pour sensibiliser à la santé mentale (voir bonus). Elle organise des tables rondes ouvertes au public, intervient dans les entreprises et les écoles. Et collabore avec des structures médicales. En un an et demi d’existence et  30% des psychiatres connaissent déjà l’association. Ainsi Thomas, magnifique jeune homme de 25 ans diagnostiqué schizophrène en juin, a été envoyé par son hôpital de jour, le CREHAPS, « pour tisser des liens sociaux », nous confie sa mère. Comme lui, des centaines de personnes, originaires de toute la France et même de l’étranger, y ont déjà trouvé refuge.

L’association est reconnue par la délégation ministérielle à la Santé mentale et à la Psychiatrie. Sa conseillère, Marianne Perreau-Saussine, indique qu’ils la soutiennent « largement », car, même si elle est récente, « elle répond à un besoin important. Elle intervient de façon innovante et adaptée aux jeunes ». Enfin, elle loue son approche de la pair-aidance, « une démarche la plus optimale possible ».

 

  • Les besoins : un lieu et des dons pour le financer (ici), « c’est important et ça sauve des vies », insiste Maxime.

 

Bâtir un abri physique

Maison Perchée bénévoles
Week-end avec la team et es bénévoles en Normandie @La Maison Perchée

Le projet caressé La Maison Perchée est désormais de trouver un lieu à Paris pour encourager la rencontre et briser davantage les tabous. Un lieu où tout le monde, malade et non malade, pourra venir. Où chacun viendra travailler dans un espace de coworking ou prendre un café. Un lieu enfin « où le patient pourra être réorienté, en cas de crise par exemple », précise Maxime en recherche tous azimuts avec l’équipe

Ce fan de Baudelaire et de Van Gogh (tous deux bipolaires*) rêve d’un monde libre où la maladie n’est pas cachée. Finalement, il n’aura pas monté sa start-up dans le business. L’association a davantage de valeur : elle aide des centaines de jeunes à se stabiliser. Lui le premier. « Depuis la création de La Maison perchée, je n’ai plus refait de crise ». ♦

 

  • La Journée mondiale des troubles bipolaires a lieu chaque année le 30 mars, date anniversaire de Vincent Van Gogh, lui-même bipolaire. Elle a pour but d’informer le public sur cette maladie chronique, favoriser la prévention et les diagnostics précoces et combattre la stigmatisation.

 

* Le FRAC Provence accompagne la rubrique société et vous offre la lecture de cet article 

 

Bonus

[pour les abonnés] Genèse de La Maison Perchée. Les clés du rétablissement de Maxime. Le rôle des fondateurs. Financements. Les 25 bénévoles et Clara. Bipol Initiatives. Sensibiliser et mesures pour la santé mentale.

 

  • Genèse de La Maison Perchée : Caroline rêvait depuis longtemps de créer « un espace humain et expérimental qui cherche à améliorer l’état de vie des personnes souffrant de troubles psychiques et à changer le regard de la société ». Alors salariée de Facebook, elle rencontre sur son stand Maxime qui lui parle de sa première association ‘’Bipolaires et Fiers et Fières’’, créée après sa seconde hospitalisation. Leur désir de fonder un lieu les rapproche. Se joint à eux Lucille qui a connu Maxime grâce à un édito de Psychodon puis créé ‘’Schizophrènes et Fiers et Fières’’. Enfin, Victoria, ancienne collègue de Caroline chez Facebook, les rejoint.
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  • Les clés du rétablissement de Maxime. Outre le soutien infaillible de ses parents, Maxime a trouvé assistance auprès d’une « super psy », de sa tante, qui l’a accueilli, et d’experts. Un spécialiste du microbiote lui a ainsi permis de perdre les 25 kilos pris « à cause des médocs ». Pour ce marcheur, ils « devraient représenter uniquement 30% du traitement ». De nombreuses approches complémentaires efficaces existent, telles acupuncture, psychonutrition, art-thérapie, méditation ou activité physique. C’est le genre de recommandations partagées à La Maison Perchée. L’équipe envisage « next step » d’élaborer un annuaire de professionnels pour aiguiller les patients. Enfin, le jeune homme engagé recommande d’aider les autres, « servir pour guérir ».

 

 

  • Le rôle des fondateurs. Sauf Lucille, médiateur de santé-pair à l’hôpital Saint-Anne, « qui fait le lien entre le médecin et le patient », décrypte Maxime. Chacun a un rôle bien défini au sein de la Maison Perchée. Caroline est chargée de la partie ‘’Développement, Financement, Innovation & Partenariats’’. Maxime de la ‘’Communication, Implantation sur le Territoire & Communauté’’ de l’association. Victoria, ‘’Productions de Contenus & Activités’’. Et Lucille, ‘’Pair-Aidance, Psychoéducation & Rétablissement’’.

 

  • Financements. L’association vit des cotisations annuelles des membres de l’association (10 euros), de fonds privés tels que la fondation Sisley-d’Ornano, d’un mécène dont le nom sera dévoilé samedi 2 avril et bientôt d’un financement public. Le Crowdfunding, lancé au lancement de l’association, permettra de payer les loyers de la Maison Perchée. On n’en connaîtra pas le montant, juste qu’il a rapporté « 60% de plus l’objectif initial », confie Maxime, désireux de maîtriser la communication.

 

  • Les 25 bénévoles et Clara. Comme 40% d’entre eux, elle n’est pas ‘’malade’’. Cette étudiante en Master Sciences Po s’investit pour diminuer la souffrance dans la santé mentale. Elle s’engage également pour sa mère, bipolaire. Pour elle, aussi. « Le risque est que je sois touchée aussi, mais le diagnostic met entre huit et dix ans ». La jeune femme de 24 ans prête main forte « pour tout ce qui est opérationnel » : recherche institutionnelle, rédaction du plaidoyer de l’association, organisation des tables rondes, alias les ‘’Grand Perchoirs’’. ‘’La team’’ chouchoute ses bénévoles et les rassemble une fois par mois pour fortifier le groupe. 
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  • Sensibiliser public et professionnel à la santé mentale. Caroline et Maxime invoquent l’urgence de sensibiliser à la santé mentale. Ils interviennent en milieu scolaire et professionnel en adaptant les thématiques. Ils aimeraient des « cours d’éducation psychique » à l’école, pour sensibiliser les jeunes aux troubles. Pour Maxime, si ses « coloc’ » avaient su ce qu’était un épisode maniaque, sans doute auraient-ils alerté plus rapidement ses parents pour le rapatrier de Chine.

Lui-même, s’il avait eu vent de cette maladie, aurait pris au sérieux ces « trucs bizarres » qu’il faisait, ces moments de prise de risque. Il aurait peut-être posé des questions à sa famille pour savoir s’il y avait des cas de bipolarité connus chez ses ascendants, « les non-dits sont fréquents dans les familles ». Dans le cas de la bipolarité, les facteurs génétiques y contribueraient pour 60%, en interaction avec des facteurs psychologiques et environnementaux, estime le Dr Stéphane Jamain, de l’Institut Mondor de recherche biomédicale de Créteil (Inserm). Enfin, Maxime, qui a subi la contention lors de sa « première hospi », souhaiterait davantage d’humanité parmi le personnel médical (« je ne m’y attendais pas, ce fut violent »). Avis partagé par Céleste qui relève plusieurs cas de « violences médicales » à son égard.

 

L’association Bipol Initiatives, fondée par un chef d’entreprise bipolaire, est spécialisée dans la réinsertion professionnelle des personnes atteintes des troubles de l’humeur et accompagne les entreprises.

 

  • Mesures en faveur de la santé mentale. Pour répondre aux besoins psychologiques et psychiatriques des Français, et venir en aide à une discipline en souffrance depuis des années, les experts ont pris plusieurs mesures lors des Assises nationales de la santé mentale et de la psychiatrie en septembre 2021.

Citons les consultations chez le psychologue (sur prescription médicale) remboursées à hauteur de 30 euros par l’Assurance maladie ; une ligne téléphonique, le 31 14, joignable 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 pour venir en aide aux personnes en situation de détresse psychique ou ayant des idées suicidaires. La création de 800 postes dans les centres médico-psychologiques.

 

  • Pour aller plus loin : ‘’Les jardins d’une renaissance’’, de Patrick Dabras qui raconte le cheminement de son fils atteint de schizophrénie (éditions Lebras, mars 2022).