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Le café-librairie Chez Josette : un modèle de solidarité

Par Virginie Menvielle, le 8 novembre 2022

Il y a trois ans, une bande de copains venus des quatre coins de France ouvrait un café-librairie associatif indépendant, à Charleville-Mézières, dans les Ardennes. Aujourd’hui fort de plusieurs milliers d’adhérents, Chez Josette s’est ancré dans le paysage local.

 

Des murs couverts d’affiches aux slogans militants et engagés. Quelques étagères remplies de livres parlant aussi bien du décolonialisme que de la forêt ardennaise, du féminisme et de l’anti-racisme. Des chaises, canapés, et tables bigarrés, chinés ici et là. Un grand comptoir sur lequel trône un petit panier pour les prix libres. Pas de doute, vous êtes bien chez Josette. Depuis son ouverture, en septembre 2019, le café-librairie associatif indépendant ne cesse de faire parler de lui. Localement, et même au niveau national. Après un an d’existence seulement, Chez Josette et son collectif ont en effet remporté le “prix de l’innovation” décerné lors du Grand prix Livres Hebdo des Librairies, présidé par Bernard Pivot.

Le café-librairie Chez Josette : un modèle de solidarité
Des murs couverts de livres et d’affiches ©Facebook

Un truc de bobos direz-vous. Eh bien non. Certes, les intellos, les écolos, les amoureux des livres, les marionnettistes, les journalistes, les féministes, les queers, les antifascistes, les cégétistes, les anarchistes… ont toutes les raisons de venir ici. Mais ils sont loin d’être les seuls à pousser la porte de Chez Josette.

 

Les valeurs : un lieu vraiment ouvert à tous 

« On a toujours eu vocation à accueillir tout le monde, dont les populations hyper précarisées. C’est d’ailleurs pour cela qu’on propose thé, café, chocolat mais aussi des livres à prix libre », explique Margot, l’une des chevilles ouvrières de Josette. Dans les fameux paniers, les clients déposent la somme de leur choix. Cela peut être quelques centimes d’euros, voire rien du tout. D’autres mettent bien davantage, à la fois pour soutenir le lieu et/ou pour payer pour celles et ceux qui n’ont pas les moyens de le faire. Une manière de penser qui fait partie de l’ADN de Josette. Mais qui a vraiment pris une autre ampleur depuis le premier confinement de 2020. « On voyait des gens dans la galère qui crevaient la dalle dehors. Donc, on voulait agir », lâchent Margot, Mégane et Nath, d’une seule voix.

Les autres associations étant pour la plupart fermées, les habitants les plus précaires étaient livrés à eux-mêmes. Impensable pour les Josette. La bande s’est alors retroussé les manches. A installé des tables devant le café-librairie, où trouver pêle-mêle nourriture, vêtements chauds, cafés, livres… « On ne s’attendait pas à ce que cela fonctionne aussi bien », confie Margot.

 

« On demande aux gens de donner un coup de main, mais on ne fait pas la charité »

Tranches de vie au café librairie Chez Josette
Avant d’être un café-librairie, Chez Josette est un véritable lieu de vie qui rassemble aujourd’hui plus de 2000 adhérents. ©Clemographie

L’initiative a tellement plu qu’au déconfinement, les bénévoles se sont mis à organiser des « gratiferias » (brocantes gratuites, Ndlr) les dimanches d’abord, puis tous les mois. Des dates qui sont toujours aussi attendues. Mais attention, n’allez pas croire que les Josette pratiquent la charité, ils détestent cette idée. Eux font de l’entraide, et cela change tout. « On demande aux gens de s’impliquer, de nous donner un coup de main pour déballer, comme pour débarrasser les tables », précise Mégane.

Résultat, des gens qui n’auraient jamais poussé la porte de Chez Josette, par peur de ne pas être à leur place, sont devenus des habitués.

 

Les anonymes ont désormais des prénoms

« On accueille tous les jours des SDF, mais aussi des personnes souffrant de troubles mentaux. Ça a été un peu difficile au début, aucun d’entre nous n’était formé pour gérer ce type de population, mais on s’est appuyé sur d’autres associations, collectifs et on s’est rendu compte qu’on gérait plutôt bien », racontent les bénévoles.

Depuis, ces anonymes sont devenus des prénoms, des gens avec qui le collectif copine, s’engueule, discute. D’autres clients réguliers finissent même par y travailler. C’est le cas de James. Cet ancien client a fini par devenir bénévole au sein du collectif et organisera prochainement son premier événement.

Avant d’être un café-librairie, Chez Josette est un véritable lieu de vie qui rassemble aujourd’hui plus de 2000 adhérents.

 

La clé : le système de gouvernance  

« Si des gens ont envie de s’investir, on prend leurs coordonnées. On en parle ensuite en AG et s’il y a consensus, on intègre la personne », souligne Margot. C’est toute la force de Josette : ici, pas de président aux « super pouvoirs » qui prend les décisions tout seul dans son coin, mais une gouvernance commune. Et la foi en l’intelligence collective. « Il y a un premier cercle, le noyau tendre, d’une dizaine de personnes, qui gère les commandes de livres, de boissons, les démarches administratives, travaux, actions juridiques… », indique Nath.

Le café-librairie Chez Josette : un modèle de solidarité 1
La devanture de Josette © Facebook

S’ajoute un deuxième cercle de bénévoles : entre 20 et 25 personnes qui ont un rôle actif dans l’asso, tiennent des permanences, gèrent la partie librairie, le bar… Ces deux cercles se retrouvent chaque semaine en assemblée générale, à 5 ou 20, pour discuter de la programmation, de l’intégration d’un ou d’une adhérente, de la pose d’une nouvelle étagère… Avec un mot d’ordre : tout le monde doit être d’accord. « S’il n’y a pas de consensus, le projet ne se fait pas. » Il doit alors être repensé et sera à nouveau présenté plus tard, ou pas du tout.

 

« Les tours de parole, ça permet d’apprendre à s’écouter et à ne pas réagir au quart de tour »

On est dans un lieu totalement démocratique où la parole du dernier arrivé a autant de valeur que celle des fondateurs. « C’est comme ça qu’on met six mois à installer des étagères », ironise Nath. Tout le monde se marre, mais l’assure : quand les décisions font l’unanimité, on avance mieux. La parole de tous et toutes est respectée. « Une personne est chargée de noter les tours de parole à chaque AG, de veiller à ce que tous ceux qui le souhaitent puissent s’exprimer, à laisser la parole à celles et ceux qui ne l’ont pas encore prise », soulignent Margot et Mégane. Et ça change tout. « On est obligé de s’écouter et parfois on se rend compte que quelqu’un a déjà dit ce qu’on avait envie de dire. Ça permet d’apprendre à s’écouter et à ne pas réagir au quart de tour », commente Clément.

Résultat, les réunions se passent mieux et une partie des participant.es ne se sent pas exclu.es. C’est d’ailleurs le fer de lance de l’association. Ici, les blagues lourdes, racistes, le validisme ne sont pas tolérés. Les affiches placardées sur les murs mais aussi les thématiques abordées lors des conférences, projections, et autres soirées plus festives ne font que le confirmer.

 

La réussite : un projet qui s’exporte ailleurs

Chez Josette, on parle aussi bien de masculinité toxique que de violences policières, d’écologie ou encore de gastronomie. Pas étonnant que les maisons d’édition indépendantes soient de plus en plus nombreuses à vouloir faire venir leurs auteur.es ici. « Les invités font aussi un geste politique en venant dans un lieu qui ne va pas les rémunérer. C’est une façon de soutenir nos propositions », note Margot.

Grâce aux carnets d’adresses des membres et surtout au bouche-à-oreille, des avocats, auteurs, chercheurs… sont présents tous les mois. Cette programmation que vous pourriez juger élitiste compte des concerts, quizz geek, karaokés, programmations de films… Un joyeux bordel diront certains ! Et un joyeux bordel qui marche. Le projet pourrait bien s’exporter ailleurs. « Il y a un collectif à Reims qui réfléchit à un concept similaire. Si ce qu’on fait peut donner des idées ailleurs, on est ravis », s’enthousiasment les membres. Et d’ajouter : « On n’a rien inventé en réalité. Les paniers à prix libre, c’est un héritage libertaire, ça existe depuis toujours ».

Les Josette insistent, elles ont choisi le café-librairie parce que la bande de départ avait plus d’expérience dans le milieu de l’édition, mais « ça aurait pu être un garage solidaire, une cantine, une épicerie… » Le but est d’essaimer des lieux vraiment ouverts à tous et qui prônent l’autogestion. Et si vous étiez le prochain ? ♦