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La data au secours de la biodiversité

Par Nathania Cahen, le 9 septembre 2019

Journaliste

Natural Solutions conçoit et développe des outils informatiques innovants et utiles à l’environnement et, surtout, à sa préservation : des capteurs, des bases de données ou des cartographies qui donnent la mesure des urgences.

 

La data au secours de la biodiversité 9Olivier Rovellotti m’accueille dans son bureau, au-dessus du Vieux-Port, loin des viviers high-tech marseillais. Des cartes colorées sont punaisées au mur. Un album avec des gravures d’outardes d’outardes houbara (un échassier menacé dont on peut notamment croiser des cousins dans la Crau) traîne à côté de son ordinateur. Le PDG de Natural Solutions se désole que la taxonomie recèle encore tant d’inconnues – la taxonomie (bonus) est la branche de la biologie qui a pour objet de décrire, nommer et classer les organismes vivants : « Au Brésil, la forêt amazonienne part en fumée alors que beaucoup des livres de cette grand bibliothèque du vivant n’ont jamais étaient lus, qu’il a fallût des milliers d’années pour les écrire, et que nous n’en connaissons même pas les titres ».

 

Pièges photo, bioacoustique, ultrasons, capteurs embarqués…

Pour faire simple, Natural Solutions est une agence du numérique créée à Marseille voilà dix ans. Ses missions : collecter des données en prenant leur mesure sur le terrain. Gérer cette data et la rendre exploitable. Puis l’analyser et la valoriser avec des enseignements et des conclusions.

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Astragalus tragacantha

« L’idée est de travailler sur trois temps : éviter, s’il n’est pas trop tard. À défaut, réduire, autant que faire se peut. Au pire, compenser, quand c’est encore possible », explicite Olivier Rovellotti. Outre les relevés effectués par des professionnels, des capteurs électroniques sont également disséminés – pièges photo, bioacoustique, ultrasons, capteurs embarqués sur des animaux, et même de vieux iPhones pour enregistrer les paysages sonores… L’agrégation de toutes ces données alimente les organismes spécialisés, mais aussi un big data de la planète qui permet par exemple de prioriser les sites et espèces (bonus) à protéger. « Car quand la biodiversité disparaît, c’est irrévocable, et il faut compter des milliers d’années pour que de nouvelles espèces apparaissent ».

D’où l’importance de gérer de façon optimale ce capital naturel très précieux : ne pas le dilapider, entourer d’un cordon de sécurité virtuel les espèces les plus menacées (populations estimées à moins de 250 individus adultes). La région PACA par exemple est dotée d’une biodiversité remarquable. Mais ce « hot spot » comme on dit dans le jargon, est soumis à de fortes pressions immobilières qu’il s’agit de contenir.

 

Ecobalade encourage les sciences participatives

La data au secours de la biodiversité 3L’idée futée est d’incorporer à cette data en évolution permanente des données observées et collectées par les citoyens. En quelque sorte, encourager les sciences « participatives » et démultiplier les sources d’information. À l’image de l’application Sauvages de ma rue (bonus), Natural Solutions a imaginé Ecobalade. Grâce à des capteurs professionnels (naturalistes, biologistes, écologistes…) une cartographie a été établie en partenariat avec l’Inventaire national du patrimoine naturel national (INPN). Armés d’une grille de lecture listant les caractéristiques, les promeneurs peuvent identifier toutes les espèces, apprendre à décrire et reconnaître les plantes, repérer les signes de la présence ou du passage des animaux mais aussi notifier et partager les découvertes qui dans le cadre de l’open data pourront servir les réseaux naturalistes professionnels.

Cette solution innovante s’adresse aux gestionnaires d’espaces naturels, aux responsables de collectivités territoriales, aux offices de tourisme… désireux de promouvoir l’écotourisme sur leur territoire. Le site Ecobalade.fr constitue un bon point d’entrée pour la découverte d’une centaine de sentiers d’interprétation. Sur le site, le visiteur peut sélectionner et préparer une balade en effectuant un tri par type, difficulté, distance à parcourir ou localisation géographique. Il a également accès à l’ensemble des fiches espèces (plus de 1 500). Il peut aussi poster des commentaires ou des photos de leurs sentiers découvertes. L’application enregistre déjà 50 000 téléchargements et 300 000 visiteurs uniques.

 

R&D axée partage de données

La data au secours de la biodiversité 4Natural Solutions a également mis au point l’application EcoRelevé, un outil de cartographie numérique intégré dans un logiciel web et mobile qui permet de saisir, localiser, gérer et partager des données de terrain en flux tendu, même en mode déconnecté. Et surtout compatible avec tous les formats possibles. Grâce à ce logiciel, il est possible de créer ses propres formulaires, saisir des observations géolocalisées sur le terrain et gérer ces données, directement via EcoRelevé ou par transfert sur SIG (systèmes d’informations géographiques).

Les clients de Natural Solutions sont principalement des bureaux d’études spécialisés dans l’environnement et plusieurs parcs nationaux. Ainsi qu’une poignée de clients en Ouzbékistan et au Kazakhstan ! D’autres logiciels, outils et solutions sont en ce moment-même développés par les équipes de Natural Solutions – une quinzaine de salariés et des stagiaires, développeurs, ingénieurs dont la moyenne d’âge est 30 ans « et qui ont envie de mettre du sens dans leur vie professionnelle », glisse Olivier Rovellotti. Ils planchent notamment sur le bon usage de l’intelligence artificielle (pour compenser l’insuffisance de capteurs humains) et les objets connectés. La R&D reste en effet le moteur de cette entreprise, qui a un besoin permanent d’investisseurs. Et nous savons  combien cette cause est bonne ! ♦

La data au secours de la biodiversité 7 Le CEA Cadarache parraine la rubrique « Recherche» et vous offre la lecture de cet article dans son intégralité —

 

Bonus

 

  • Sauvages de ma rue est un un programme initié par le Muséum national d’Histoire naturelle et Tela Botanica, le réseau des botanistes francophones qui donne des infos et en collecte sur les plantes sauvages urbaines.

 

  • La liste rouge mondiale des espèces menacées – constitue l’inventaire mondial le plus complet de l’état de conservation global des espèces végétales et animales. Elle s’appuie sur une série de critères précis pour évaluer le risque d’extinction de milliers d’espèces et de sous-espèces. Ces critères s’appliquent à toutes les espèces et à toutes les parties du monde.

Aujourd’hui, une espèce de mammifères sur quatre, un oiseau sur huit, plus d’un amphibien sur trois et un tiers des espèces de conifères sont menacés d’extinction mondiale. Dans la dernière édition de la Liste rouge mondiale (version 2019.2), sur les 105 732 espèces étudiées, 28 338 sont classées menacées. Parmi ces espèces, 40% des amphibiens, 14% des oiseaux et 25% des mammifères sont menacés d’extinction au niveau mondial. C’est également le cas pour 30% des requins et raies, 33% des coraux constructeurs de récifs et 34% des conifères.

Dans cet état des lieux, la France figure parmi les 10 pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées : au total, 1 353 espèces menacées au niveau mondial sont présentes sur notre territoire, en métropole et en outre-mer.

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  • Le référenciel taxonomique TAXREF– Chaque année, sur le territoire français, des centaines d’espèces nouvelles pour la science sont décrites, des milliers font l’objet de révisions de leur taxonomie ou de leurs statuts biogéographiques. Grâce à une communauté dynamique de taxonomistes et experts naturalistes, professionnels et amateurs, un volume considérable de publications est ainsi produit chaque année. Depuis 12 ans, le Muséum national d’Histoire naturelle porte l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN) dont le volet « espèces » repose sur le référentiel taxonomique national TAXREF, qui organise les noms scientifiques de l’ensemble des êtres vivants continentaux et marins recensés sur le territoire métropolitain et ultra-marin. Le Muséum en conduit l’élaboration, le met en œuvre en partenariat étroit avec de nombreuses institutions et groupes d’experts, et le diffuse.