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Remédier à la détresse psychologique des étudiants

Par Marie Le Marois, le 4 décembre 2020

Journaliste

Leur voix est silencieuse mais leur désarroi immense. Touchés de plein fouet par les mesures liées à la pandémie, de plus en plus d’étudiants sans difficultés particulières développent sentiments dépressifs, troubles du sommeil ou de l’alimentation… Un vrai problème de santé publique auquel s’ajoutent décrochage scolaire et précarité. Ni l’entourage ni les pouvoirs publics ne prennent la mesure de leur détresse psychologique. Et peu d’étudiants connaissent les aides qui leur sont dédiées.

 

Plus de 160 témoignages

Clara a écrit le premier message : « [Avec la fermeture des universités], j’ai développé des comportements insomniaques dont j’ai peur de ne jamais me débarrasser. Constater que des milliers de jeunes de mon âge ont le désespoir pour seul horizon me révolte. Je veux que nous retrouvions une voix au milieu d’un chaos sanitaire qui n’en finit pas. »

Zélie, Amine, Sophie et Imane ont 21 ans et le visage encore enfantin. Ces étudiants de l’université Saint-Charles, au cœur de Marseille, sont en Licence 3 MIASH, nom barbare qui signifie ‘’Mathématiques et Informatique Appliquées aux Sciences Humaines’’. Ils sont jeunes et ont toute la vie devant eux. Pas de quoi sombrer, donc. Oui mais voilà, la deuxième vague de la pandémie les a fauchés. Littéralement.

Ils ont presque honte de se plaindre « alors qu’il y a pire comme situation que la nôtre », mais ne parviennent pas à contenir ce flot de « lassitude » qui les submerge et absorbe leur énergie. Cette situation sans fin dont « personne ne voit le bout  ». Les facs seront en effet parmi les derniers établissements à rouvrir, pas avant février. Et encore, il n’est pas certain que les cours seront alors à 100% en présentiel. « En fait, cela fera quasi un an qu’on suit les cours à distance, on n’en peut plus », lâche Sophie dont la dernière publication sur Facebook la montre rayonnante, collée-serrée avec des amies déguisées. C’était le 31 décembre dernier, un gouffre avec sa vie d’aujourd’hui.

 

[lire aussi : « la souffrance étudiante se manifeste »]

 

Des journées déstructurées
Amine dans la cour de sa résidence universitaire.

Alors oui, les cours à distance, c’est mieux que rien. Mais ces étudiants, livrés à eux-mêmes, sont épuisés. « Ce trimestre, nous avions 30 heures de cours par semaine, la plus grosse journée était de 9h à 18h 5 avec une pause d’une heure trente pour déjeuner », détaille Zélie.

Des heures derrière un écran d’ordinateur à tenter de comprendre les profs et à résoudre des exos. Des journées entières « à rester sur une chaise, suivre les cours et manger sur le bureau », égrène Imane qui ressent de plein fouet la solitude dans son 20m2. « Je me lève le matin, pourquoi au fond ? Les journées n’ont plus trop de sens ». Parfois cette Corse culpabilise de ne pas y parvenir, « mais je réalise que tenir un rythme dans ces conditions est vraiment difficile ». Amine, jeune homme au sourire jovial assis dans l’entrée de sa résidence étudiante, surenchérit : « On perd un peu la notion du temps ».

 

« Le contexte actuel crée beaucoup d’incertitudes, les cours en distanciel provoquent des situations d’isolement, le virus reste anxiogène, sans compter le flottement sur la tenue en présentiel ou distanciel des examens et la précarité pour ceux qui ont perdu leur petit boulot… Cette situation prégnante fait que nous avons beaucoup de demandes en ce moment pour des consultations psychologiques et des profils que nous ne voyions pas auparavant ». Pr. Laurent Bensoussan, vice-président  délégué santé et handicap de l’AMU, et directeur du SIUMPPS.

 

Précarité

Amine n’est pas stressé par la Covid – contrairement au printemps où il désinfectait minutieusement chacune de ses courses. « J’ai plein de potes qui l’ont eue et franchement, ça va ». En revanche, son compte en banque débiteur de 300 euros lui rajoute du stress. Cet étudiant étranger doit débourser 520 euros pour son loyer avec les charges. Et n’a le droit ni à une bourse, ni au repas Restau U à un euro.

Il avait un super job dans la restauration rapide qui lui laissait le temps de bosser ses cours tout en gagnant 650 euros par mois. Oui mais voilà, mis au chômage technique lors du premier confinement, l’entreprise a préféré licencier une partie de son personnel en septembre, en prévision d’une deuxième vague. Amine cherche depuis un job tous azimuts, « même du baby-sitting, du nettoyage de bureau », mais sans succès. « Normalement en un mois, je trouve ».

Ses parents – l’un médecin, l’autre dans les Télécom – sont aimants et soutiens financiers – « ce qui n’est pas le cas de tous mes copains ». Mais pour décembre, il doit se débrouiller. La Croix-Rouge ? Non, il ne se permettrait pas, « il y a des gens qui ont en plus besoin que moi… mais c’est peut-être dans ma tête ».

 

Pas si facile que ça d’être en famille

Amine, Sophie, Imane auraient pu rentrer dans leurs familles mais des partiels en présentiel la semaine prochaine les ont obligés à rester à Marseille. Et puis, retourner chez ses parents quand on a 20 ans n’est pas forcément évident. « Le rythme n’est pas le même, je suis végétarienne, pas eux, et en plus, j’ai deux soeurs au collège », soupire Sophie. Cette Nantaise, en coloc’ avec trois étudiants, n’a pas de souci financier grâce à l’aide de sa mère et un legs laissé par son père décédé.

Zélie, elle, n’a pas le choix : elle vit avec sa famille. Cette grande liane brune subit le même décor depuis mars : « ma chambre, ma maison, mes parents ». Elle ressent une grande solitude, accentuée par son changement de cursus en septembre : « Je n’ai pas eu le temps de m’intégrer et j’ai des difficultés à rattraper le niveau ». Ce qui lui manque surtout, c’est les sorties après les cours avec ses amis, « rien que le fait de savoir que c’est possible était une soupape ».

 

Absence de soupape
La détresse psychologique des étudiants 3
@AMU

Les pots au bar du coin, les soirées « à se caler sur le rocher à boire des coups », les nuits à danser jusqu’à ce que le corps flanche, les fêtes d’étudiants où l’on se mélange et se lie. À l’âge où la sociabilité est importante, voire même fondatrice, il n’y a plus rien. Même plus la pause à l’intercours où on pouvait s’épancher vite fait sur ses problèmes.

On pourrait se dire que cette génération manie suffisamment bien les réseaux sociaux pour rester en lien mais il manque juste un détail : le contact physique. Les accolades, les embrassades, les checks. « L’intérêt de la fac, c’est justement la rencontre avec l’autre », souligne le Dr Sophie Campredon, psychiatre au Relais Lycéens et Étudiants Paris de la Fondation Santé des Etudiants de France. Amine, lui, avoue ne pas s’être privé d’aller voir des amis. « Sans ça, j’aurais été encore plus mal ».

 

Troubles du sommeil et décrochage scolaire

Le premier effet de ces journées vidées de leur rythme concerne le sommeil. « On ne fait pas grand-chose, du coup on ne ressent pas de fatigue », observe Imane qui habituellement a hâte de retrouver son lit le soir. Il y a ceux qui n’arrivent pas à s’endormir « avant une heure du mat’ » et ceux qui se réveillent au milieu de la nuit avec « le petit vélo dans la tête ». « Du coup, lâche Amine, je suis décalqué ». Pour le premier cours de la journée, il allume son PC et se rendort. Ou parfois ne se réveille pas du tout. Zélie « craque souvent » devant ses cours. Ce « trop plein » déclenche des crises de panique suivies de crises de larmes. Sophie, dont la motivation est « ras des pâquerettes », confie : « au niveau du travail, c’est le néant ». Elle a complètement décroché mais se force à rendre les travaux.

 

Troubles de l’alimentation et addiction aux jeux vidéo
La détresse psychologique des étudiants 1
Photo xdr

Aux problèmes de sommeil et de scolarité se rajoutent, pour cette jeune fille pétillante, des épisodes d’anorexie et de boulimie. Au point qu’elle est actuellement sous antidépresseurs. Imane, l’étudiante corse ne sait pas si c’est dû au stress mais elle grignote dès qu’elle a faim. « Parfois même, c’est par pulsion. Pas pour me nourrir ». Très anxieuse, elle enchaîne les crises d’angoisse et remet en question ses études. Chez Amine, son anxiété se reporte sur son addiction aux jeux vidéo qu’il avait réussi à supplanter par la guitare et le rap – « je suis retombé dans mes travers d’avant ».

Les troubles de l’alimentation dont souffrent généralement les filles et l’addiction aux jeux vidéo pour les garçons sont les symptômes d’un état dépressif. En témoigne notre reportage à l’Espace Barbara à Nantes.

 

La dernière étude CoviPrev, menée entre le 4 et le 6 novembre, met en évidence un accroissement significatif des troubles dépressifs au sein des 18-24 ans (bonus). Parallèlement, la demande des étudiants pour une consultation psychologique a fortement augmenté, au point que les équipes sur les campus universitaires sont débordées et ne parviennent plus à faire face.

 

Soutien psychologique et alimentaire

repas-d-hiver

Face à ces symptômes qui les paralysent et dans lesquels ils ne se reconnaissent plus, nos étudiants de Saint-Charles ont réagi pour ne pas se laisser couler. Zélie a appris à mieux s’organiser, à moins stresser : « si mes devoirs ne sont pas parfaits, mes notes ne sont pas top, ce n’est pas grave. Du coup, ça va mieux, au final ». Imane, elle, a filé deux semaines à Valence bosser ses cours chez une amie, plus motivant car « on est dans la même galère ». Quand on leur parle des psys du SIUMPPS, service qu’elles ne connaissaient pas, leur réponse ne se fait pas attendre : « Génial, je vais les contacter ! »

Sophie se régénère avec sa psy – payante mais essentielle. Et sa coloc’ qui « se passe plutôt bien ». Les tours de cuisine, les repas pris ensemble « m’aident à garder un rythme et quand j’ai des crises, je ne suis pas seule ». Amine a, lui, pour la première fois cette semaine, rencontré une assistante sociale qui lui a parlé de l’ADAP, aide ponctuelle de l’État pour étudiant en difficulté. C’est elle aussi qui lui a parlé d’AGORAé qui distribue des colis alimentaires aux étudiants (bonus). Dès la semaine prochaine, il pourra en bénéficier.

 

Le Dr Sophie Campredon, psychiatre au Relais Lycéen et étudiants de la Fondation Santé des Étudiants de France, note surtout des troubles anxieux et estime que ces symptômes sont probablement réactionnels à cette situation inédite. « On peut espérer que lorsqu’elle prendra fin, les symptômes cesseront », souligne cette spécialiste de l’adolescence, tout en ajoutant un bémol : « mais nous n’avons pas assez de recul pour en avoir la certitude ».

 

L’entraide… à distance

Les quatre étudiants soulignent l’importance du groupe sur leur moral. Avec leurs camarades de promo, ils échangent « quasi » tous les jours sur Messenger ou via le salon virtuel de Discord, « des trucs drôles », mais aussi tout ce qui concerne « le boulot ». Comme ils sont tous « un peu perdus », chacun rassemble ce qu’il a compris du cours ou de l’exercice. L’entraide dans la promo est telle que Zélie a noué de solides amitiés. Elle respecte la distanciation physique, oui. Mais pas sociale. Une nuance primordiale quand on a 20 ans. ♦

* L’AP-HM parraine la rubrique santé et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus –
  • Les services Interuniversitaires de Médecine Préventive et de Promotion de la Santé (SIUMPPS) s’adressent à tous les étudiants inscrits à l’université et proposent des consultations gratuites avec des psychologues formés à l’approche des étudiants, « c’est vraiment le cœur de leur métier », insiste le Pr. Laurent Bensoussan, directeur du SIUMPPS  d’Aix-Marseille Université. Les consultations sont proposées actuellement par téléphone. Ce procédé permet parfois aux étudiants de plus facilement consulter et davantage se confier.

« Au début, la consultation par téléphone me rebutait, j’avais besoin de réel mais c’est vrai qu’au final je m’y suis faite. Ça me fait beaucoup de bien », souligne Sarah, étudiante en Master 1 Études Européennes et Internationales. Les séances sont réservées d’une semaine à l’autre et durent entre 20 et 30 minutes. Clara, passée de la prépa à la fac en septembre à Aix, consulte chaque semaine depuis septembre, « la psy est vraiment à mon écoute, elle me donne confiance en moi, je me sens moins seule et j’ai moins de pensées négatives »

La demande est telle qu’il faut deux semaines avant d’obtenir un rendez-vous « mais, bien sûr, nous sommes en capacité de répondre aux urgences ou de solliciter des soutiens extérieurs à l’université », précise le Pr. Laurent Bensoussan. Comme d’autres directeurs des SIUMPPS, il réclame dans une tribune parue dans Le Monde un renforcement des équipes pour faire face à l’afflux des demandes.

Pour que le plus grand nombre d’étudiants puissent identifier ce service, l’AMU a mis en place :

  • Un numéro de téléphone unique – pour un soutien psychologique et/ou d’une aide d’un sophrologue : 04 13 94 24 58
  • une équipe d’Etudiants Relais Santé formés et missionnés pour écouter et orienter leurs pairs. Ils sont présents à chaque distribution alimentaire sur les différents campus.
  • Une appli « instamu » avec tous les contacts référencés (aides alimentaires, soutien psychologique, distribution d’ordinateurs…). On peut les retrouver également ici.

Les étudiants inscrits à l’université peuvent aussi bénéficier d’entretiens infirmiers, de consultations médicales et/ou dépistage bucco-dentaire.

 

  • La santé mentale des étudiants d’après CoviPrev (enquête nationale de Santé Publique France qui interroge en ligne des échantillons de personnes à intervalles rapprochés) – En vague 17 (04 au 06 novembre), pour la deuxième fois consécutive, on observe une augmentation significative des états dépressifs (+5 points). La prévalence a doublé entre fin septembre (11% en V15) et début novembre (21% en V17).

Les hausses les plus importantes ont été observées chez les jeunes (+16 points chez les 18-24 ans et +15 points chez les 25-34 ans). Ainsi la proportion des jeunes déclarant un état dépressif est de 29% chez les 18-24 ans et 25% chez les 25-34 ans (vs. respectivement 18,5% et 14% chez les 50-64 ans et les plus de 65 ans).

 

  • AGORAé est une épicerie solidaire dirigée par la FAMI (Fédération Aix-Marseille Info), portée et gérée par des étudiants. Elle a été créée il y a un an à Aix, avec une antenne depuis septembre à Marseille. Retrouvez l’article que nous leur avions dédié en mai dernier ici.

 

  • Nightline France a lancé pendant le confinement le site soutien-etudiant.info, plateforme d’aide aux étudiants. Elle recense les ressources et les aides psychologiques gratuites dédiées aux étudiants disponibles dans toute la France (lignes d’écoute et professionnels des services de santé universitaire). Et met également à disposition des conseils pour mieux vivre psychologiquement ce moment difficile et inédit.

 

  • Annonces du gouvernement en faveur des étudiants :

– 20 000 jobs étudiants créés pour faire face à la « raréfaction des petits boulots », « qui viendront en soutien des étudiants décrocheurs ». Les étudiants tuteurs devront avoir au minimum un niveau équivalent à une troisième année de licence pour aider des étudiants de première ou deuxième année en difficulté.

-Des aides financières d’urgence pour les étudiants précaires. Quelque 45 000 jeunes supplémentaires recevront une aide d’urgence du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires).