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La Madeleine Proust, humoriste et ethnologue de nos campagnes

Par Frédérique Hermine, le 14 février 2023

Journaliste

Laurence Sémonin, dite Lola et alias la Madeleine Proust, manie depuis plus de trois décennies l’humour, l’ironie, la philosophie et la poésie pour rendre hommage au monde rural. Parfois à la limite du surréalisme avec un doigt d’absurde et de sarcasme. Hors scène, elle pratique son art d’ethnologue de campagne dans ses livres.

 

Comme le dit si bien le comédien François Morel, président de l’académie Alphonse Allais qui l’a intronisée en 2014, « Laurence et puis Lola ont fait rire avec Madeleine car on ne rit pas de Madeleine et jamais contre elle. Au-delà des modes, l’authenticité, la vérité, la sincérité finissent toujours par avoir le dernier mot ». Lola Sémonin a d’abord installé sa cuisine en Formica et sa mobilferme aux odeurs de soupe dans tous les villages de Bourgogne et de Franche-Comté, avant de remplir les salles de théâtre parisien – Présent, Dejazet, Le Gymnase, Les Bouffes Parisiens, La Gaité Montparnasse, et même l’Olympia pour boucler sa carrière de comédienne en 2018. Elle est devenue l’ambassadrice du monde rural sur scène et désormais, au fil des pages.

 

De la Franche-Comté aux Molières

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Percée vin jaune 2023 ©F.Hermine

Née les pieds devant, « ce qui fera dire à l’accoucheuse qu’elle ira loin » comme elle aime le rappeler, Laurence a grandi dans le Haut-Doubs. D’abord institutrice dans un hameau de montagne, elle a fait moisson d’anecdotes et d’expressions auprès des paysans qui l’entouraient avant de devenir ce qu’elle avait toujours eu envie d’être, une artiste… doublée d’une talentueuse sociolinguistique et d’une véritable anthropologue. Elle a offert pendant 30 ans un regard d’une autre époque dans un soliloque, en perpétuelle recherche du temps perdu. « En jouant la Madeleine Proust, j’ai redonné aux gens ce qu’ils m’avaient offert de leur mémoire, de leur vie ».

 

De la scène à l’écriture

Depuis 2018, elle a rangé sa tapette à mouches et son tablier en jersey pour prolonger l’aventure dans l’écriture, d‘abord en racontant l’histoire imaginée de la Madeleine mais pas que. Désormais, après trois décennies de vie parisienne et trois nominations aux Molières, elle a rejoint à plus de 70 ans sa ferme du Haut-Doubs. Pour écrire devant une grande baie vitrée, face à la nature. Nous l’avons rencontrée dans le Jura où elle était la marraine de la Percée du Vin jaune 2023 avec toujours cet humour décapant et attachant qui a fait souffler un vent de fraîcheur sur l’événement incontournable du vignoble franc-comtois.

 

♦ L’interview de Lola Sémonin ♦

Comment l’idée de créer le personnage de la Madeleine Proust vous est-elle venue ?

Ma mère m’avait obligée à faire instit’ pour avoir un métier et être indépendante. J’ai rencontré la pédagogie Freinet qui place l’élève au cœur du projet éducatif, dont j’étais une fervente adepte. Et j’ai demandé un poste dans un village. C’est là que j’ai rencontré le milieu des paysans et le parler régional, souvent très riche et réinventé tout le temps, comme dans les cités. Quand ils discutaient entre eux, je notais leurs expressions, juste pour faire rire les copains, même si j’avais envie d’être artiste depuis que j’étais enfant.

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« Un miroir drôle et émouvant des campagnes » © Facebook

Plus tard, c’est mon compagnon Gérard Bôle de Chaumont, musicien et compositeur, qui m’a poussé au conservatoire de Besançon. Lui avait l’oreille musicale et imitait les accents paysans. Lorsque j’ai cherché un personnage, j’ai essayé une bourgeoise, une clocharde, une prolo… Tout à coup, j’ai eu le déclic le jour où j’ai rencontré une paysanne étonnée que je m’intéresse à elle et qui m’a émue. Elle ne me faisait pas seulement rire mais elle me bouleversait. Ainsi est a été créée la Madeleine Proust née en 1925, que j’ai nourrie avec ce que les gens me racontait, notamment quand je les faisais venir en classe pour qu’ils partagent leur savoir et leur souvenirs avec les enfants. Car un paysan ne porte pas seulement un savoir-faire mais de nombreux métiers, il est maçon, charpentier, menuisier, agriculteur, vétérinaire…

J’étais comme missionnée pour parler d’eux, pour réhabiliter le monde paysan. On porte toujours quelque chose de plus fort que soi.

 

Vous ne venez pas de ce monde paysan, comment vous êtes-vous glissée dans la peau de la Madeleine ?

Je prenais tout le temps des notes, j’ai lu beaucoup de livres sur le monde paysan, effectué un travail d’ethnonologue. J’allais voir la Marie qui me renvoyait à la Georgette qui me parlait de Colette et de l’une à l’autre, je continuais à noter et à apprendre l’accent et cette musique des ‘montagnons’. Je travaillais avec un magnéto comme on apprend une langue. Je me suis mise alors en disponibilité pour comprendre ce monde et travailler mon personnage. Beaucoup de paysans rencontrés à cette époque, de 20 à 90 ans, sont devenus des amis. Finalement, je notais tout ce qu’on me racontait et j’ai récupéré des perles comme ça.

Dans les années 80, j’ai monté un spectacle hyperréaliste en partant du détail pour aller à l’universel. Ça a suscité un véritable engouement, d’abord à Morteau où j’avais fait une vingtaine de représentations, puis dans les villages de Bourgogne et Franche-Comté. C’était un miroir drôle et émouvant des campagnes et on ne voyait pas de spectacles comme ça à l’époque, ça sentait même la soupe dans la salle – je la faisais sur scène.

 

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Et comment avez-vous gagné vos galons à Paris ?

Un spectateur a servi d’ambassadeur, en appelant Pierre Bonte qui faisait l’émission Bonjour M. Le Maire et en lui vantant le spectacle. Il m’a invitée à la radio. Puis Drucker m’a accueillie à Champs-Elysées en 1983 (en face c’était Dallas) car j’amenais une fraîcheur, de l’humour avec de la tendresse et de la poésie. Puis j’ai joué dans de nombreux théâtres. Ça rappelait à tout Parisien quelqu’un de sa famille, une voisine de vacances, un peu comme des brèves de comptoir quand la Madeleine dit : « Quand on voit ce qu’on voit et qu’on sait ce qu’on sait, on a bien raison de penser ce qu’on pense et de ne rien dire ».

 

La Madeleine a pu vieillir avec son temps ou a-t-elle fini par prendre sa retraite ?
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Personnage de scène, la Madeleine Proust est devenue héroïne de roman © Facebook

J’ai toujours fait évoluer mon spectacle en fonction de l’actualité. Avant de faire mes adieux à la scène en 2018, j’ai eu envie de faire voyager Madeleine, de la sortir de sa ferme pour une autre ouverture d’esprit. À Marseille, lors d’une tournée, j’avais déjà rencontré des petits ‘rebeus’ et échangé avec eux. Ils me racontaient leur histoire et je prenais encore des notes. Un jour, autour d’un baby-foot à Besançon, alors que je les chahutais gentiment, l’un d’entre eux qui devait avoir 10-11 ans, m’apostrophe en me disant « Mais t’es la Madeleine, toi ? ». Et bêtement, je lui réponds « Mais comment tu m’connais ? », une question que je n’aurais sans doute pas posé à un petit blond, alors que dans ma région, tout le monde connaît la Madeleine. Il m’a finalement cloué le bec en me répondant « Mais quand même, t’es nos racines ! ». Finalement, ça m’a donné une leçon qui m’a donné l’idée de faire un spectacle de rencontre entre la Madeleine et le P’tit Kamel ; c’était mon spectacle le plus émouvant .

 

Aujourd’hui, vous êtes passée de l’autre côté de la plume, comme écrivaine. Où est passée la Madeleine?

J’ai en fait transformé le personnage de scène en personnage de roman, en inventant son enfance, la guerre. En me replongeant dans les livres, les documentaires, l’époque qu’avait vécue mes parents. Je forme une jeune comédienne qui reprendra mon personnage en jouant sur les grands écarts entre le temps passé et les nouvelles technologies au temps du confinement. J’écris les textes et la mise en scène. J’ai écrit le roman de la Madeleine dans un style oral, mais écrit, pour que ce soit poétique. Mais maintenant, je vais écrire un roman en reprenant le dialogue avec le p’tit Kamel pour parler des apriori, de l’ignorance des autres, de la misère des campagnes et des cités. ♦

 

Bonus

Recette. Cocotte franc-comtoise de La Madeleine au vin jaune et à la saucisse de Morteau

Mettre dans un plat en terre cuite, 1 kg de pommes de terre coupées en rondelles, un bouquet garni avec thym et laurier, 2 gousses d’ail, 1 oignon, 1 carotte, 1 petit poireau, avec une saucisse de Morteau en rondelles, une tranche de lard. Arroser d’un bon verre de vin jaune et d’un verre d’eau. Saler, poivrer, lutter le plat pour rendre le couvercle hermétique et enfourner à 180° pendant 3h.

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  • Bibliographie de Lola Sémonin

La Madeleine Proust, Une vie4 tomes chez Pygmalion

Les brèves de la Madeleine aux Editions du Sekoya

Le cri du milan aux Editions du Sekoya