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À Marseille, une Maison de l’Infirmière engagée sur tous les fronts

Par Nathania Cahen, le 5 avril 2022

Journaliste

On a beaucoup parlé de leur métier lors de la pandémie. Trois années d’études minimum, des horaires à rallonge, des journées physiquement et psychologiquement denses pour un salaire médiocre. Dans les quartiers nord de Marseille, un collectif caritatif d’infirmières et infirmiers libéraux s’est créé pour partager les revendications et aider les publics qui galèrent : la Maison de l’Infirmière.

 

Deux vendredis par mois se tient « le café des idels ». Idels pour infirmières diplômées d’état libérales. Un joyeux pique-nique composé de ce qu’apportent les uns et les autres : pizzas, cakes, croissants… La salle de la Maison des Familles et des Associations du 14e se remplit peu à peu, une vingtaine d’infirmières et infirmiers (une poignée quand même). Les voitures à caducée s’alignent à l’extérieur.

 

Ça discute ramadan, primes imposables et chirurgie esthétique

La Maison de l’Infirmière, sur tous les fronts sensibles de Marseille 5
Café des idels et démonstration d’une nouvelle application © Marcelle

Bavardages, interpellations sous les néons. Les conversations vont bon train, les sujets sont multiples : le ramadan (qui démarre le lendemain), les primes imposables, l’installation à Marseille d’une médecin excellente chirurgienne esthétique, la collecte de médicaments pour une mission aux Comores…

Des interventions programmées aussi : le représentant d’une tablette-logiciel pro fait sa démonstration. Une salariée de Handi Santé 13 détaille les missions de la structure et les ressources utiles aux soignants libéraux.

La Maison de l’Infirmière compte aujourd’hui 230 membres. Dont 185 assidus au groupe WhatsApp associé. Pestant contre son téléphone qui sonne trop, Handa Douafflia passe d’un groupe à l’autre, accueille les nouvelles adhérentes, accorde une oreille bienveillante à droite et à gauche. « Ce moment permet de se relâcher, de parler boulot mais surtout d’autres choses. Le Covid a fait beaucoup de dégâts dans la profession : des burn-out, des divorces, des arrêts maladie, des reconversions… » Présidente de la Maison de l’Infirmière, elle s’est impliquée dans les actions de ce collectif depuis ses débuts, en 2019.

 

Mouvements sociaux, réforme des retraites

La Maison de l’Infirmière, sur tous les fronts sensibles de Marseille
En 2019, les soignants manifestent contre le Ségur de la santé, contre le plan retraite © DR

En septembre 2019, rappelez-vous, les mouvements sociaux et manifestations se multiplient. Entre gilets jaunes et réforme des retraites, la contestation est parfois vive dans certaines branches professionnelles. Chez les infirmiers libéraux notamment. « On ne se bat pas seulement pour la retraite mais aussi pour la revalorisation des tarifs et une meilleure considération de notre profession », rappelle Handa Douafflia, 52 ans, infirmière depuis 25 ans.

À cette occasion, un collectif militant et professionnel d’infirmières libérales du 13 se crée. Pour donner plus de poids aux revendications. Pour solliciter des entretiens auprès des ERFPS (Espace régional de formation des professions de santé), la CPAM, l’ARS, l’Ordre National des Infirmiers

 

 

La pandémie et l’art de la débrouille

La Maison de l’Infirmière, sur tous les fronts sensibles de Marseille 1
Distribution de kits de protection durant le premier confinement @ Maison de l’Infirmière

Le confinement dès mars 2020 infléchit l’action du collectif. « L’urgence est alors au manque de matériel de protection, réquisitionné par les hôpitaux. Aux collègues désemparés », rappelle Handa. Elle se saisit alors de son téléphone pour contacter les entreprises privées du nord de Marseille, son secteur. Haribo, Panzani, La Sucrière… Fermées en raison de la pandémie, toutes répondent positivement et cèdent blouses, surchausses, masques et gants. Entreposés dans le jardin de l’infirmière. La distribution s’organise bien vite : distribution de kits tous les vendredis matin, devant la station de lavage voisine de l’hôpital Édouard Toulouse. En mode drive. La première semaine, 50 voitures défilent. Les suivantes verront jusqu’à 350 véhicules faire la queue jusqu’à Septèmes-les-Vallons. Des infirmières, mais aussi des médecins en panne de matériel.

Kits de protection contre denrées alimentaires

Presque en douce, la deuxième mission du collectif se met en place. « De nombreuses infirmières voulaient nous payer les kits. C’était hors de question, explique Handa. Mais chez certains de nos patients, nous avions pu constater qu’avec le Covid, les frigos et les placards s’étaient vidés. Plus de petits boulots pour certains. Plus de cantine pour les enfants. Alors on leur a proposé de donner des denrées alimentaires en échange des kits ». Et tout le monde a joué le jeu ! Les sacs de nourriture (l’équivalent de dix voitures pleines) ont d’abord été confiés à des associations des quartiers concernés. Puis à l’Après-M, assortis de listes avec les noms des familles en difficulté.

 

* Lire aussi : Les hôpitaux de Marseille ont leur Maison des Femmes

Des clés de compréhension sur le Covid

La Maison de l’Infirmière, sur tous les fronts sensibles de Marseille 4
Handa Douafflia a initié la Maison de l’Infirmière © Marcelle

Les temps troubles du Covid durent. De collectif, La Maison de l’Infirmière est devenue une association. D’autres failles se font jour, comme la prévention. « Les risques, la propagation, les gestes barrière… Certains n’en savaient rien. Alors on a pensé aux enfants, rapporte Handa. Parce qu’on sait que l’info revient aux parents ». Dès le mois de septembre 2020, des interventions ont lieu dans des écoles et des centres sociaux des quartiers de La Viste, Félix Pyat, Belle de Mai… Le projet est baptisé « Les minots masqués » et passe par la distribution de kits adaptés avec masques lavables, gel, pochette à masques usagés, notice ludique… « On s’est efforcé d’expliquer simplement et clairement la transmission, la contagion ».

 

Au chevet des étudiants

La Maison de l’Infirmière, sur tous les fronts sensibles de Marseille 3
Distribution de denrées alimentaires sur les campus © DR

Dans la foulée, l’association est contactée par la fédération de secouristes La Croix Blanche. Missionnée pour faire passer des tests anti-covid dans les cités U de Marseille, l’association de secouristes juge utile la présence d’infirmières pour communiquer les résultats, pour pousser plus loin les questionnaires. « Nous y avons découvert des étudiants qui souffraient de solitude, d’angoisse, de faim… » La Maison de l’Infirmière prend alors modèle sur la Banque Alimentaire et installe des stands dans les supermarchés pour recueillir des dons des clients.

Toutes les deux semaines, deux cités universitaires ont ainsi pu être visitées avec l’assentiment du CROUS. Pour discuter, distribuer, aiguiller. « On a pu trouver un logement pour un jeune qui dormait dans des escaliers ».

 

 

La fatigue en embuscade

Des journées bien-être ont été organisées entre février 2021 et janvier 2022, avec la participation bénévole d’infirmiers, de sophrologues, d’ostéopathes, naturopathes, kinés… La Fondation de France a fourni une aide financière pour le matériel nécessaire – tables de massage, crèmes, rouleaux de papier, café, goûters…

« On s’est interrompu en janvier, à cause de la fatigue. C’est très prenant, avoue Handa. Mais on reprendra après le ramadan ».

Car, rançon du succès, les sollicitations se multiplient. À la requête de la mairie du 15-16, des stands sont déployés lors de certaines manifestations pour faire de la prévention en direction d’un public féminin – endométriose, précarité menstruelle, mammographie… Et le mois prochain, six infirmières de l’association s’envoleront pour les Comores pour une mission de prévention autour du diabète.

 

Mais un prix en récompense

De beaux moments, de belles rencontres et des partenariats qui compensent l’investissement. Comme ce repas pour 150 étudiants offert par la confrérie des Escoffiers, qui sera organisé en mai.

Surtout, il y a eu ce prix « Elles ! Les audacieuses » qui a récompensé les actions bénévoles de la Maison des Infirmières et une générosité qui semble inépuisable. L’équipe caresse aujourd’hui un rêve, disposer d’un vrai lieu, où se retrouver pour échanger, se ressourcer, organiser des sessions de formation et de prévention. ♦

 

*Tempo One, parrain de la rubrique « Solidarité », partage avec vous la lecture de cet article dans son intégralité *