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Les bons gestes à adopter envers les dauphins et les cétacés

Par Agathe Perrier, le 16 août 2023

Journaliste

Il est aujourd'hui interdit d'approcher un dauphin ou un cétacé à moins de 100 mètres, par mesure de sécurité mais aussi de protection pour les animaux © Laurène Trudelle - Miraceti

[mer] L’activité d’observation des dauphins et des cétacés – whale-watching dans le jargon – est aujourd’hui courante, y compris en Méditerranée. Mal pratiquée, elle peut avoir des conséquences néfastes sur ces géants des mers. C’est pourquoi différents acteurs ont créé un label pour certifier les opérateurs engagés dans des balades respectueuses de cette faune aquatique. Et profiter de ces sorties pour sensibiliser le grand public à leur protection et à celle de l’ensemble du milieu marin. 

 

D’ici quelques semaines, les vidéos montrant des dauphins en Méditerranée inonderont probablement les réseaux sociaux. Si les filmer de loin ne pose pas de problème, tenter de les approcher de près, oui. C’est d’ailleurs interdit en France, par un arrêté ministériel du 3 septembre 2020, entré en vigueur le 1er janvier 2021. « La perturbation intentionnelle incluant l’approche des animaux à une distance de moins de 100 mètres dans les aires marines protégées » est ainsi prohibée. En Méditerranée, un arrêté préfectoral de juillet 2021 a même étendu la mesure à toutes les eaux françaises.

De telles précautions en étonneront peut-être certains, elles sont pourtant de mise. Pour la propre sécurité des badauds : les dauphins, comme l’ensemble des cétacés, restent des animaux sauvages. Et pour le bien-être de ces mammifères marins : des observations mal pratiquées peuvent gravement les perturber.

Les bons gestes à adopter envers les dauphins et les cétacés
Le whale-watching consiste à observer les baleines et les dauphins – et plus globalement les cétacés – dans leur milieu naturel depuis la terre ou à bord d’un bateau © DR – Cédric Danilo, l’Atlantide

Des dérangements aux conséquences graves

Depuis les années 1990, l’activité de whale-watching se développe dans le monde, et notamment en Méditerranée. Elle consiste à observer les baleines et les dauphins – et plus globalement les cétacés – dans leur milieu naturel depuis la terre ou à bord d’un bateau. « En 2005, l’association varoise Souffleurs d’écume a mené une étude pour savoir comment elle était pratiquée. Il en est ressorti que les règles d’approche étaient peu ou pas respectées voir non connues », raconte Laurène Trudelle, chargée de mission du programme whale-watching chez Miraceti, association dédiée à la connaissance et à la conservation des cétacés – née de la fusion entre Souffleurs d’écume et deux autres structures (bonus).

Or, de mauvaises approches entraînent des conséquences à court et long terme sur les animaux. Face aux dérangements occasionnés, ils peuvent se déplacer vers des sites qui ne répondent plus à leurs besoins en matière d’alimentation, de reproduction ou de repos. Et le stress induit peut provoquer des ruptures dans leurs comportements vitaux ou des modifications dans les routes de migration. La combinaison de tous ces phénomènes peut engendrer une diminution des taux de reproduction, une augmentation anormale des dépenses énergétiques ou encore une plus grande sensibilité aux épidémies.

 

 

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Laurène Trudelle est chargée de mission du programme whale-watching chez Miraceti © Maria Sostres – Miraceti

Un code de bonne conduite

Conscients de l’urgence, différents acteurs se sont alors réunis afin d’agir. « Les ONG, les signataires des accords internationaux et certains opérateurs ont réfléchi à créer un outil pour combler le vide juridique autour de l’activité de whale-watching. Ce qui a donné naissance au label « High Quality Whale-Watching® » en 2014 », indique l’experte. Et c’est Miraceti qui est chargée d’animer le label dans l’Hexagone.

Concrètement, les opérateurs qui l’obtiennent – après avoir suivi une formation – s’engagent à respecter le « Code de bonne conduite pour l’observation des cétacés en Méditerranée » édité par les accords Pelagos et ACCOBAMS (bonus). À savoir maintenir une distance d’au moins 100 mètres avec l’animal, ne pas se baigner avec ni le nourrir, limiter à 30 minutes la durée d’observation… « Le cahier des charges peut être rendu plus strict par les pays qui le souhaitent. Par exemple, les détections aériennes pour repérer la présence d’animaux ne sont pas recommandées dans le règlement d’usage. Nous, nous les avons clairement interdites », expose Laurène Trudelle.

 

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Outre les cétacés, la biodiversité méditerranéenne est riche de nombreuses autres espèces, notamment d’oiseaux © DR – Cédric Danilo, l’Atlantide

Les cétacés pour sensibiliser au monde marin

Le label ne s’arrête toutefois pas à cette charte d’attitude respectueuse. « Le but est aussi de tenir à nos clients un discours de sensibilisation. Aux cétacés bien sûr, ainsi qu’à l’ensemble du milieu marin », précise Jérôme Lan, gérant de BeFree2Dive, centre d’activité subaquatique basé à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes). La structure ne propose pas du whale-watching au sens strict du terme, mais une échappée en mer à la découverte de la biodiversité locale. « On va dans les zones où il est possible d’observer les cétacés, sans garantie qu’ils y seront. On n’en voit pas tout le temps d’ailleurs. Par contre, on croise de nombreux autres animaux comme des poissons pélagiques (ndlr : qui vivent proches de la surface de l’eau) ou des oiseaux, par exemple ». Ou encore des « diables de mer », une espèce méditerranéenne de raie, et même parfois des requins.

Même sans les géants des mers, la balade vaut donc le détour tant la biodiversité méditerranéenne est riche. L’Atlantide, l’un des quatre opérateurs de la baie de Bandol (Var), ne promet pas non plus à ses clients qui optent pour la balade « dauphins et baleines » qu’ils en verront. C’est pourtant bien la raison principale de leur venue. « Il faut accepter qu’ils puissent ne pas se montrer », indique Cédric Danilo, à la tête de l’activité whale-watching. La magie opère par contre à chaque rencontre. « Lorsque les gens voient un cétacé, ils sont ensuite beaucoup plus réceptifs au discours de sensibilisation car ils s’en sentent plus proches. Ce qui nous permet derrière d’aborder l’importance de la protection de toutes les espèces ».

 

 

Contrôles surprises

17 opérateurs détiennent actuellement le label, répartis sur toute la façade méditerranéenne. En revanche, ils sont une dizaine à avoir boudé la démarche. « Je pense que c’est plutôt par choix que par méconnaissance. Peut-être que c’est trop contraignant pour eux », estime Laurène Trudelle. Le but de Miraceti est désormais de faire connaître le label au grand public pour qu’il choisisse délibérément des opérateurs certifiés, et donc des sorties respectueuses des animaux.

Afin de garantir le label, l’association contrôle les professionnels de façon inopinée. « On ne les prévient pas en amont de notre venue, mais on se présente toujours avant de monter à bord. Notre but n’est pas de faire la police, mais de constater qu’ils ne commettent pas d’infraction. Et, auquel cas, les aider à améliorer leur pratique », glisse l’experte. Les sanctions vont du simple avertissement à la suspension temporaire du label, voire le retrait. Cette dernière option ne s’est pour le moment jamais concrétisée. Faute de moyens, Miraceti ne peut contrôler les structures de façon annuelle. Toutes le seront néanmoins a minima une fois tous les trois ans.

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Le but de Miraceti est désormais de faire connaître le label au grand public pour qu’il choisisse délibérément des opérateurs certifiés, et donc des sorties respectueuses des animaux © Claire Brofiga – Miraceti

 

Interdire, pour mieux protéger ?

Une dernière question se pose : pour protéger les cétacés, le meilleur moyen ne serait-il pas finalement d’interdire totalement l’activité de whale-watching ? Une mesure que n’approuve pas Jérôme Lan, pas seulement du point de vue économique. « Si l’on veut que ces animaux soient respectés et protégés, il faut qu’ils soient connus et reconnus. C’est ce à quoi on participe lors des sorties. Mais interdire nous priverait d’un moyen de sensibilisation. Le problème ne serait d’ailleurs pas résolu à moins de mettre en place beaucoup de contrôles pour s’assurer que les plaisanciers lambda ne s’y adonnent pas à leur manière. Et comment justifier ou verbaliser la présence d’une embarcation proche d’un cétacé puisque d’eux-mêmes parfois ils s’en approchent ». Une vision partagée par Cédric Danilo. Selon lui, il est également préférable de mieux encadrer l’activité. « Il faut rester dans une démarche d’observation et ne pas provoquer l’interaction avec l’animal », considère-t-il.

Du côté de Miraceti, l’interdiction totale n’est pas non plus plébiscitée. « Elle limiterait certains problèmes, mais ne réglerait pas tout. Car les cétacés subissent de nombreuses pressions, outre le dérangement », pointe Laurène Trudelle. Notamment l’augmentation du trafic maritime et du bruit sous-marin, la pêche, la pollution des eaux… Dans l’immédiat, l’urgence est donc de mettre le paquet sur la sensibilisation et la communication. Afin que tous, particuliers et professionnels, s’emparent des bonnes pratiques et les appliquent. En espérant que la législation prenne ensuite la relève et les généralise. Dans l’intérêt de tous, êtres humains comme marins. ♦

*article publié le 10 mars 2023

 

Bonus

[pour les abonnés] – À l’origine de Miraceti, la fusion de trois associations – Deux accords intergouvernementaux pour protéger les cétacés – Des opérateurs condamnés pour avoir proposé de nager avec les dauphins –

  • À l’origine de Miraceti, la fusion de trois associations – En juin 2020, trois acteurs historiques de la conservation des cétacés ont uni leurs forces pour renforcer et développer leurs moyens d’action et leur impact : le GECEM (groupe d’étude des cétacés de Méditerranée), le GIS3M (groupement d’intérêt scientifique pour les mammifères marins de méditerranée et leur environnement) et Souffleurs d’écume.
  • Deux accords intergouvernementaux pour protéger les cétacés – Le premier a été signé en novembre 1996 et est entré en vigueur en juin 2001. L’Accord sur la Conservation des Cétacés de la Mer Noire, de la Méditerranée et de la zone atlantique adjacente (ACCOBAMS) est un outil juridique de conservation de la biodiversité basé sur la coopération. Son objectif est de réduire les menaces sur les cétacés, en améliorant notamment l’état des connaissances sur ces animaux. Le second, l’accord Pelagos a permis de créer le sanctuaire du même nom. Signé en novembre 1999 entre la France, l’Italie et la Principauté de Monaco, il est en vigueur depuis février 2002. Il vise à protéger les mammifères marins qui le fréquentent.
  • Des opérateurs condamnés pour avoir proposé de nager avec les dauphins – Pour la première fois en France, deux sociétés et un entrepreneur étaient poursuivis. En janvier 2023, le tribunal correctionnel de Grasse les a reconnus coupables de « pratique commerciale trompeuse » et « perturbation volontaire d’espèce animale non domestiquée protégée ». Ils ont chacun été condamnés à une amende, de 4500 à 13 500 euros.