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L’accès aux origines, un débat passionné

Par Marie Le Marois, le 30 janvier 2020

Journaliste

À l’heure de l’examen du projet de loi bioéthique par le Sénat, qui votera le 4 février, les personnes amputées de leurs origines précisent leur quête. Ce n’est pas d’une mère ou d’un père dont ils ont besoin, mais d’une histoire. L’association Origines se bat pour la légalisation des tests ADN en France et travaille sur une plateforme de mise en relation anonyme entre enfant et donneur.

 

L’accès aux origines fait débat 2Placée à sa naissance dans une œuvre privée marseillaise, Diane de Monteynard née sous X en 1969 a été adoptée par un couple de Parisiens, décédés quand elle était jeune. Arthur Kermalvezen, lui, est né d’un don de gamète. Leur point commun ? À un moment donné de leur vie, ils ont été tous les deux à la recherche de leurs racines. Pas pour remuer le passé ou réclamer quoi que ce soit. « Je cherchais mon histoire, d’où je viens aussi, pourquoi on m’a abandonnée (Mère trop jeune ? Famille archi classique ?…), mes antécédents, à qui je ressemble…  » Diane de Monteynard, maman deux enfants et auteure du livre bouleversant ‘’L’affaire Madeleine Vincente’’ (paru en 2017), a saisi le CNAOP (bonus). Quelques temps après, les services l’ont contactée lui annonçant qu’ils pensaient avoir trouvé sa mère, pour finalement une semaine plus tard dire que ce n’était pas elle.

 

Ne pas mourir sous X

Arthur Kermalvezen a retrouvé la trace de son géniteur grâce à un test ADN. Il est même le premier Français à l’avoir découvert de cette manière. Une histoire incroyable qu’il raconte dans son livre ‘’Le Fils’’. Cette quête a tellement mobilisé son énergie et contribué à tellement de joie que le trublion a monté l’association Origines, pour accueillir, soutenir et accompagner les personnes qui recherchent leurs origines (Quel test ADN ? Vers quelle société se tourner ?…) : « Nous avons environ un tiers de personnes nées par PMA issue d’un don, un tiers nées d’un géniteur anonyme et un tiers nées sous X. La plupart ont vu le jour dans les années 40. C’est une génération taboue, on ne posait pas de question à l’époque. Mais désormais ils veulent savoir ; ils ne veulent pas mourir sous X, être inconnus d’eux-mêmes », explique Arthur qui a cofondé son association avec sa femme, juriste en bioéthique et auteure de  »Mes origines : une affaire d’État ». Elle-même est la première personne conçue par don de gamètes à avoir saisi la Cour européenne des droits de l’homme.

 

10 millions de personnes ont déjà fait des tests d’ADN généalogiques dans le monde

L’accès aux origines fait débat 3
Arthur Kermalvezen, cofondateur de l’association Origines

Les personnes en quête de leurs origines cherchent à rassembler les morceaux de leur histoire, pas un parent. « Elles ne confondent nullement origines et filiation », insiste Irène Théry, sociologue de la famille et de la parenté, Directrice d’études à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) à Paris et Marseille. Arthur Kermalvezen surenchérit : « Moi, par exemple, je suis heureux de savoir que mon donneur travaillait à la RATP, que son père était résistant et qu’ils sont originaires d’une famille de tisseurs. Cette histoire participe à mon identité narrative. Je peux la raconter à mes enfants ». Selon lui, 10 millions de personnes ont fait des tests d’ADN généalogiques dans le monde en 2017, 35 millions en 2019 et l’année prochaine, il en est prévu 100 millions ! En France, un article de Public Sénat évoque plus d’un million d’individus ayant eu recours à des tests ADN généalogiques auprès d’entreprises étrangères. Pour en finir avec cette hypocrisie et parce que c’est une nécessité pour les personnes privées de leurs origines, Arthur Kermalvezen se bat pour que les tests ADN soient légalisés en France. La commission spéciale sur la bioéthique du Sénat avait ajouté un nouvel article (article 10 bis) au projet de loi sur la bioéthique visant à autoriser et encadrer la pratique de ces tests. Mais le 28 janvier, le Sénat a refusé cet encadrement et maintenu l’interdiction, fustigeant les « visées commerciales » et « une dérive eugénique » de ces tests.

 

Une plateforme pour mettre les enfants et les donneurs en lien

Ce qui pourrait accorder tout le monde, ce serait le projet de plateforme informatique de l’association Origines. Nommée ‘’Tindon’’ (en référence à Tinder), elle mettra en lien les personnes en recherche de leurs origines et les donneurs de manière anonyme. L’idée est de leur permettre d’établir un premier contact et d’apprendre à se connaître progressivement. « Libre à chacun d’aller plus loin ensuite, d’être mis en relation avec son donneur et/ou ses demi-sœurs ou frères biologiques », précise Arthur Kermalvezen. Cette solution sur-mesure, qui respecte la vie privée des uns et des autres, pourrait être étendue aux personnes nées sous X pour qu’elles puissent échanger de manière anonyme avec leur parent biologique. Philippe Terriou (bonus), responsable de l’Institut Médical de la Reproduction (IMR) – l’un des trois centres marseillais qui pratiquent l’AMP – soutient cette plateforme « car elle permettra aux personnes d’accéder à leurs origines en contactant leur donneur, en toute discrétion ».

 

Un vide à apprivoiser

Après la sortie de son livre, Diane de Monteynard a retrouvé la trace de la femme contactée par le CNAOP. Et lui a envoyé son livre avec une lettre lui demandant si elle était sa mère ou si elle avait des pistes. « Elle a continué à nier, très gentiment et avec une réponse très détaillée. Mais on ne saura jamais finalement car 90 % des mères de l’ombre sont dans le déni. En tout cas, j’ai respecté sa réponse, même si elle peut être fausse ». Ne pas connaître ses origines est une grande souffrance pour Diane. Un vide, un manque qu’elle a réussi à apprivoiser. ♦

 

Bonus – Que dit la loi de bioéthique après son examen par le Sénat – C’est quoi le CNAOP ? – ITW de Philippe Terriou, médecin biologiste spécialiste de la médecine procréative – ‘’Papa graine’’-

 

  • Que dit la loi de bioéthique après son examen par le Sénat

Le Sénat a adopté le 23 janvier une version modifiée de l’article 3 du projet de loi de bioéthique, relatif à l’accès aux origines d’un enfant issu d’un don de gamètes.

-Le don reste anonyme entre le donneur et le(s) receveur(s), mais les enfants, nés d’un don après l’entrée en vigueur du nouveau régime, pourront à leur majorité accéder, s’ils le demandent, à des données non identifiantes (âge, caractéristiques physiques, situation familiale et professionnelle, pays de naissance, motivation). Ils ne pourront en revanche avoir accès à l’identité du donneur que si celui-ci l’accepte au moment où l’enfant le demande après sa majorité.

– Les sénateurs ont permis aux personnes déjà nées de don d’interroger le CNAOP pour que celui-ci tente de recontacter leur donneur et sollicite son accord pour transmettre ses données non identifiantes et/ou son identité

Les détails de la révision de la loi ici

 

  • C’est quoi le CNAOP ?

Le CNAOP (Conseil national d’accès aux origines Personnelles) est habilité depuis 2002, pour les personnes pupilles de l’État ou adoptées qui ne connaissent pas leurs origines, à localiser, contacter les parents de naissance, s’ils peuvent être identifiés, et à leur demander discrètement d’exprimer leur volonté d’accepter ou de refuser de lever le secret de leur identité. Une femme peut toujours accoucher dans le secret de son identité. Mais la loi a renforcé les possibilités d’information laissées pour l’enfant : identité laissée dans le dossier, sous pli fermé à l’intention de l’enfant (il ne sera ouvert que si l’enfant en fait la demande et la personne pourra être contactée pour exprimer sa volonté) ou renseignements non-identifiants qui permettront de comprendre les circonstances.

Avec la nouvelle loi de Bioéthique, le CNAOP sera également chargé de traiter les demandes d’accès aux données personnelles des donneurs de gamètes.

Liste des correspondants départementaux sur le site.

 

Que pensez vous de la levée de l’anonymat du don ? « J’y suis favorable, pour que les enfants connaissent leurs origines lorsqu’ils sont issus d’un don. Ils n’ont pas besoin d‘un père mais de connaître la pièce manquante du puzzle pour se construire. Connaître la motivation de leur donneur ou son métier, son nom, son prénom, ou ses antécédents familiaux…. Eventuellement le rencontrer mais cette demande n’est pas systématique ».

Les patients ayant besoin d‘un don sont-ils nombreux ? « C’est en réalité très peu, 1 à 2 % des FIV (NDLR : Fécondation In Vitro). On se met en contact avec le CECOS*, la banque de sperme à Marseille. Des dons sont toujours à disposition mais il faut compter un an d’attente ».

La levée de l’anonymat ne risque-t elle pas de diminuer les dons de gamètes ?

« Cette crainte existe en effet mais si on prend l’Angleterre qui a levé l’anonymat depuis quelques années, il y a eu effectivement une diminution des dons  et un changement de profil des donneurs dans un premier temps, puis les dons se sont stabilisés ».

 

  • ‘’Papa graine’’, pour nommer le géniteur

Justine, maman solo d’un garçon de 4 ans issu d’une FIV avec donneur anonyme en Belgique

Cette jeune quadra ne fait pas de la naissance de son fils un secret. Elle lui raconte simplement, sans rien éluder : « j’avais très envie d’avoir un enfant mais je n’avais pas d’amoureux à ce moment là. J’ai demandé à quelqu’un de l’aide et ce quelqu’un a donné sa petite graine. J’ai mis cette petite graine dans le ventre de maman et elle a poussé. Je ne le connais pas mais il est très gentil ». C’est en couchant l’histoire de son fils sur un cahier qu’elle a trouvé les bons mots, les mots justes. Une psychologue lui avait conseillé d’utiliser le terme ‘’père donneur’’ mais la jeune femme a préféré ‘’Papa Graine’’, pour l’instant. Il est arrivé que dans la cour d’école, Max dise à ses amis « et bah moi, je vais le dire à mon papa ». Justine l’a alors repris doucement en lui expliquant qu’il n’avait pas de papa. Et son fils lui a rétorqué : « et bah, je vais appeler papa graine ». Mais comme ce n’est pas possible, il a conclu « bah, je vais appeler mon papy ».

Livre ’’Papa Graine’’ : témoignage à 3 voix d’une petite fille conçue… à 3

Ce récit à trois voix raconte l’histoire d’un couple de femmes – Isabelle et Audrey – qui recherche le donneur idéal, non anonyme – pour que leur futur enfant connaisse ses origines – mais acceptant d’être juste le géniteur. Pas le père. Elles le trouvent en la personne de Guillaume, un copain de jeunesse d’Isabelle. On y suit page par page la conception, la grossesse, la naissance d’Alice et les angoisses. Isabelle redoutait que Guillaume reconnaisse l’enfant avant ses un an, ce qui lui aurait permis d’obtenir l’autorité parentale conjointe. On suit également les tensions, la peur que ‘’le géniteur’’ soit intrusif, la distance puis l’équilibre. C’est Alice qui a trouvé elle-même la place de chacun : maman, Yaya et papa graine. Il est celui qui « a aidé ses mamans à avoir un bébé ».