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Laine française : des initiatives locales raniment la filière

Par Marie Le Marois, le 16 avril 2021

Journaliste

Pour beaucoup d’éleveurs de moutons, la laine est une charge car sa vente ne couvre pas le coût de la tonte. Une situation qui ne s’arrange pas avec la crise du textile liée à la pandémie : la demande de la Chine, premier marché mondial de la laine, est en effet quasi nulle. Relancer la filière, c’est l’ambition d’une poignée d’acteurs hexagonaux. Dans les Bouches-du-Rhône, La Maison de la Transhumance redonne vie à la laine Mérinos d’Arles avec La Routo, une gamme de vêtements techniques et écoresponsables pour la randonnée.

 

La particularité du Mérinos d’Arles est sa finesse et sa douceur, inégalables en France et même en Europe. Avant d’être une laine, il est un mouton, issu d’un métissage naturel entre le Mérinos espagnol et une race ovine locale.

Il fut introduit il y a plus de deux cents ans dans le pays d’Arles « pour améliorer la finesse de la laine », précise Patrick Fabre, directeur de la Maison de la Transhumance située à Salon-de-Provence. Cette race, devenue majoritaire « à 95% », a fait la fortune du pays d’Arles jusque dans les années 1950. Territoire qui comprenait historiquement, la Camargue et la Plaine de La Crau.

 

Le saviez-vous ? Il existe une cinquantaine de races de moutons différentes en France

 

La laine est devenue un sous-produit

La filière de la laine Mérinos d’Arles a commencé à chuter au début du XXe siècle avec la concurrence de l’hémisphère sud (Australie, Nouvelle-Zélande…) et l’arrivée du synthétique.

Un second souffle pour la laine la plus fine d’Europe
Patrick Fabre, directeur de la Maison de la transhumance, à l’origine du projet La Routo.

Elle est aujourd’hui un sous-produit de l’élevage ovin, axé désormais sur la production de viande d’agneau. Par la force des choses, la filière lainière a quasi disparu (entreprises pour laver, filer, tisser la laine…) et « les éleveurs se sont désintéressés de leur laine », raconte cet ingénieur agricole de formation. En Provence, comme partout en France, on tond ainsi davantage pour le bien-être de l’animal (voir bonus) que pour faire commerce de la laine.

 

 

Vendue principalement en Chine

À la différence de certaines laines françaises, plus grossières, la Mérinos d’Arles est toujours achetée par les négociants qui l’expédient principalement en Chine, premier marché mondial de la laine. Mais la somme est dérisoire. « Il y a encore dix-quinze ans, le prix de vente ne payait même pas le coût de la tonte alors que cette laine est la plus fine d’Europe ! »

Si la situation s’est améliorée dans les années qui ont suivi, l’activité est à l’arrêt depuis la crise de l’industrie textile liée à celle de la Covid. Les importations de l’Empire du Milieu ont en effet quasiment disparu.

 

Le saviez-vous ? Une brebis porte environ 2,5 kilos et demi de laine sur le dos, 5,5 pour le bélier.

 

De nombreuses tentatives de valorisation de la laine
La laine Mérinos d'Arles
@Maison de la transhumance. La laine Mérinos d’Arles est la plus fine d’Europe.

Comment aider les éleveurs de race Mérinos d’Arles à mieux valoriser et vendre leur laine ? L’association Maison de la transhumance (voir bonus), cherche depuis longtemps des solutions. Il y a huit ou neuf ans, un berger salarié d’Aureille souffle à Patrick Fabre une bonne idée. Une marque en laine Mérinos de Nouvelle-Zélande cartonne en France, avec des vêtements techniques pour les sports de montagne. Du type ski de rando, raquette ou tout simplement marche.

 

Vêtements outdoor

‘’Pourquoi pas nous ?’’, lui lance le berger. L’idée des vêtements outdoor grandit dans la tête du directeur de la Maison de la transhumance. Mais peu de gens y croient. À commencer par le président. Les échecs pour valoriser la laine au niveau régional et national ont en effet été si nombreux.

Patrick Fabre détaille, toujours d’une voix calme : « il y a eu des pulls mais sans doute trop artisanaux et trop chers. Et aussi de l’isolation pour le bâtiment, mais ce débouché reste compliqué car il coûte plus cher qu’un isolant classique ».

 

Le saviez-vous ? Environ 90% de la laine mérinos utilisée par l’industrie de la mode vient d’Australie.

 

La laine, une alliée précieuse pour les sportifs
@Maison de la transhumance. Tonte d'un Mérinos d'Arles
@Maison de la transhumance. La chaussette la plus fine d’Europe.

 

 

Cet homme affable, qui porte sur lui un prototype de la marque La Routo, n’en démord pas : le vêtement technique est une belle niche. Le Mérinos est doux, ne gratte pas, régule la température (chaud en hiver, frais l’été). Contrairement au coton, il respire, neutralise les odeurs et sèche plus vite (essentiel quand on transpire à grosses gouttes).

La différence avec le synthétique ? La laine est plus agréable à porter, plus aérée, biodégradable et résistante. « Un haut comme celui que je porte se garde à vie », insiste ce quinqua, tout en tirant sur son gilet. Donc oui, il peut plaire aux sportifs adeptes des vêtements naturels, durables, français et d’origine garantie. En effet, qui dit laine locale dit traçabilité de toute la chaîne de production.

 

Le saviez-vous ? L’appellation ‘’mouton’’, dans le monde professionnel, désigne un mâle castré de deux ans. « Lorsque vous voyez des troupeaux, ce sont des brebis, des béliers ou des agneaux. Pas des moutons »

 

Le Mérinos d’Arles, inconnu de l’industrie textile

 

L’occasion de donner vie aux vêtements outdoor en Mérinos d’Arles se présente deux ans plus tard, en 2014, avec le projet du sentier de randonnée La Routo, ‘’route’’ en occitan. Pour faire court, la Maison de la transhumance a créé un itinéraire ralliant Arles et la vallée de la Stura, en Italie, principale voie ancestrale de transhumance des troupeaux du territoire (voir bonus). En conjuguant le projet du GR avec celui des vêtements techniques, elle reçoit des financements européens.

 

Le Mérinos d’Arles, inconnu par l’industrie textile
La laine Mérinos d'Arles
@Maison de la transhumance. Tri de la laine.

L’association peut donc chercher une entreprise pour s’occuper de la chaîne de fabrication. Avec une déficience : « le Mérinos d’Arles est peu connu, voire pas du tout par le milieu textile ». La Maison de la transhumance se rapproche d’une entreprise spécialisée dans le négoce en fibres animales nobles – Dal Grande Naturfasern. Elle connaît déjà la valeur de cette laine, elle produit en effet des pelotes de laine Bergère de France, qui contiennent 60% de Mérinos d’Arles.

 

 

Chaussettes et pull en Mérinos d’Arles

Troisième partenaire, les éleveurs de Mérinos d’Arles eux-mêmes. En 2018, sous l’impulsion de la Maison de la transhumance et de la Maison régionale de l’élevage, treize d’entre eux fondent un Collectif pour la promotion du Mérinos d’Arles (CPMA). Ce chiffre est passé à 25 en 2020 et 100 tonnes de laine ont été collectées pour les vêtements outdoor La Routo.

Trois prototypes retenus : chaussettes, veste et pull techniques. Le quatrième – un vêtement ‘’première couche’’, si prisé par les randonneurs – est abandonné. Pas assez fin et doux par rapport à celui de la marque néo-zélandaise (voir bonus).

Des essais sont en cours pour le fabriquer avec un mixte de Mérinos. Confidentialité oblige, on ne connaîtra pas la provenance des autres laines Mérinos, ni le nom de l’entreprise française qui confectionne les vêtements.

 

Le saviez-vous ? La race Mérinos domine en Provence avec actuellement 130 000 bêtes (300 000 avec la Savoie, la Drôme et l’Ardèche).

 

La marque La Routo, quasi française
@Maison de la transhumance. Tonte d'un Mérinos d'Arles
@Maison de la transhumance. Différents stades du traitement de la laine.

Tout en nous montrant des bocaux qui contiennent la laine aux différents stades de traitement, Patrick Fabre explique qu’elle est triée à Valensole, dans les Alpes de Haute-Provence. Puis lavée, peignée et tissée à Biella dans le Piémont. Les produits La Routo ne seront donc pas 100% français ? « C’est effectivement un reproche qu’on nous adresse mais on fait ce qu’on peut ! »

Il invoque le savoir-faire performant de l’entreprise italienne : « Nous n’avons pas le droit à l’erreur car ces vêtements sont de haute technicité ». Ce choix reste également cohérent à travers le prisme de l’histoire. Les bêtes d’Arles transhumaient autrefois dans cette région – d’où le projet du sentier La Routo. Et de nombreux bergers du Piémont étaient embauchés par les éleveurs arlésiens.

 

Les éleveurs apprennent à mieux valoriser leur laine…

Pour vendre au mieux leur laine, ces hommes et ces femmes doivent apprendre un savoir-faire oublié : procéder à une sélection naturelle de la race la plus fine, ne gardant que les agneaux mâles issus d’un bélier doté d’une belle toison. Et trier la laine la plus fine – les parties les moins nobles sont mises de côté (pattes, ventre et tête) « elles sont destinées généralement à garnir les matelas ».

 

… pour mieux la vendre
Laine Mérinos d'Arles
@Maison de la transhumance. Une partie de la gamme La Routo.

Grâce à cette nouvelle filière de valorisation de la Mérinos d’Arles, les éleveurs vendent plus cher leur toison. Entre 20 à 40 centimes d’euros de plus par kilo, tout dépend s’ils trient la laine, si elle est bio, etc. « Cette augmentation reste modeste mais elle couvre au moins les frais de la tonte », souligne Patrick Fabre.

Surtout, les éleveurs retrouvent « un peu de fierté pour cette laine d’exception ». Depuis janvier, 25 autres éleveurs ont rejoint le collectif. En mai, ils découvriront comme les autres partenaires la gamme La Routo (voir bonus).

Elle sera commercialisée dès cet automne en ligne, en direct par les éleveurs et dans des enseignes spécialisées outdoor. Qui sait, peut-être que cette laine la plus fine d’Europe concurrencera un jour la néo-zélandaise. ♦

 

Bonus

Pourquoi la tonte est obligatoire – Le rôle de La Maison de la transhumance – Le sentier de randonnée La Routo – Le Mérinos de Nouvelle-Zélande – Financements de La Routo – Le prix de la laine Mérinos en détail – La gamme complète – autres projets français avec la laine – Pays producteurs –

  • Laine Mérinos d'Arles Maison de la transhumance
    @Maison de la transhumance. Tonte d’un Mérinos d’Arles. Tonte d’un Mérinos d’Arles

    La tonte est obligatoire pour la santé de l’animal afin de l’alléger et supprimer les parasites qui peuvent se nicher dans sa laine. A contrario, un bélier perdu a été retrouvé avec 35 kilos de laine sur le dos. Il peinait à bouger. La tonte se déroule une fois par an en février/mars. Concernant la polémique autour de la tonte, « s’il est vrai qu’il peut arriver que des éleveurs maltraitent les animaux pendant la tonte dans certains pays, reconnaît Patrick Fabre, cette situation reste très marginale et ne concerne en tout cas pas les éleveurs du pays d’Arles soucieux du bien-être animal ».

 

  • La Maison de la transhumance rassemble les acteurs de l’économie, de l’environnement et du patrimoine liés à la transhumance, pratique d’élevage en Méditerranée : éleveurs, bergers salariés, directeurs de Parcs Régionaux et conservateurs de musée. Dans le pays d’Arles, tous les éleveurs transhument et mettent en alpage leurs troupeaux. Le Domaine du Merle, magnifique domaine où se trouve la Maison de la transhumance, possède un troupeau de 1500 bêtes.
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  • La Routo sentier de randonnée
    @Maisn de la transhumance. Itinéraire de La Routo

    Le sentier de randonnée La Routo, dit aussi le GR® 69®, ralliera Arles à la vallée de la Stura, dans le Piémont, soit 540 kilomètres et 33 étapes. C’était la principale voie de transhumance des troupeaux du pays d’Arles pour aller dans le Piémont.

    Au milieu du XIXe siècle, en effet, les éleveurs n’avaient plus le droit de pâturer certains alpages dans les Alpes-de-Haute-Provence, « pour que les forêts repoussent. L’organisme à l’origine de cette interdiction est devenu l’ONF », raconte Patrick Fabre.

Le lancement de La Routo est reporté à mai 2022.

 

  • Le Mérinos de Nouvelle-Zélande mesure 15 à 16 microns et celle d’Arles, 20 à 21 microns. Pourquoi tant d’écart ? « Le Pays n’a jamais cessé de valoriser leur laine. Ils l’ont ainsi, contrairement à nous, affinée au fil des ans », explique Patrick Fabre.

 

  • Financements. La Routo a d’abord bénéficié des financements européens, puis de la Région et maintenant du Département et de l’agglomération ACCM.

 

  • La laine Mérinos d'Arles
    @Maison de la transhumance. Toison entière.

    Grâce au projet La Routo, les éleveurs peuvent vendre la laine Mérinos d’Arles 20 à 40 centimes plus cher par kilo, tout dépend s’ils sélectionnent les races les plus fines, trient la laine ou produisent de la laine bio.

Concernant le cours de la laine, le kilo était à 3 euros en 2019, à 2 euros en 2020 (soit 5 euros par brebis). Si on enlève le coût de la tonte (1,50 euro par animal), un éleveur gagne donc 3,50 euros. Le prix du kilo s’annonce en 2021 à 1,40 euro. Pourquoi une telle fluctuation ? « La laine est un produit très spéculatif qui dépend essentiellement de la Chine », décrypte Patrick Fabre.

 

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Autres projets avec d’autres laines : oreillers, des bouillottes et des coussins décoration, de sol, de chaise Revolana, marque ardéchoise. Pulls, vestes, robes, oreillers, couettes Laines Paysannes, marque pyrénéenne. Châles, écharpes, bonnet… Les Bergers Cathares, marque ariégeoise.

Web série sur la laine ici

 

  • Pays producteurs : l’Australie, deuxième producteur mondial, en fournit 1/5ème avec 360 000 tonnes par an. Et un chiffre d’affaires de 700 millions de dollars, derrière la Chine. La Nouvelle-Zélande, l’Iran, l’Argentine et le Royaume-Uni ont produit chacun plus de 50 000 tonnes en 2005. La laine de mérinos australienne est très prisée pour sa finesse et son élasticité très appréciées par l’industrie textile. Les États-Unis, pour leur part, ne produisent que 5 000 tonnes de laine.

Les exportations de laine se montent à quelque 800 000 tonnes. La majeure partie de la production est importée par des pays qui la réexportent sous forme de produits manufacturés. Sources : planetoscope.