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Quand des commerçants tendent la main aux gens de la rue…

Par Nathania Cahen, le 11 octobre 2018

Journaliste

Des autocollants et petits pictogrammes collés sur les vitrines de plusieurs commerces de Marseille ont attiré mon attention. Ils indiquent que ce café, ce restaurant, ou ce magasin propose certains services à toute personne dans le besoin. Au-delà de ces relais pratiques, l’association La Cloche bataille pour créer du lien social, changer le regard sur soi et sur les autres.

La directrice de la Cloche Sud, Sarah Gorog, nous a fixé rendez-vous dans un café « carillonneur », le Champ de Mars, entre le Cours Julien et la Plaine. Sur la porte vitrée, je compte sept petits pictogrammes, qui indiquent qu’ici on peut notamment accéder aux toilettes, trouver du wifi, boire un verre d’eau. Et même entreposer un bagage, même si ça n’est pas spécifié. Sarah n’est pas une travailleuse sociale, son univers jusqu’alors a été celui de l’événementiel et des bars – elle a régné sur le Polikarpov, puis sur un lieu de culture convivial, Les Demoiselles du Cinq, avant de s’absorber dans ce projet solidaire.

La Cloche est présente aujourd’hui dans huit villes en France (Toulouse est la dernière en date), émanation d’une association apolitique et aconfessionnelle qui travaille sur l’inclusion du monde de la rue. Le programme repose sur trois missions phares : tresser des liens bienveillants entre les trois pôles que sont les commerçants, les sans domicile et les habitants alentours. Permettre à ceux qui vivent dehors d’accéder à des services simples et de première nécessité qui, au-delà de faciliter leur quotidien, peuvent créer du lien. Changer le regard des uns (sur les gens de la rue) et des autres (sur des lieux auxquels ils estiment ne pas avoir accès).

En 16 mois d’existence, 75 commerces ont fait leur entrée dans le petit guide édité par La Cloche. Il devrait y en avoir cent à la fin de l’année. Des bars, des restaurants, des pharmacies, des boulangeries, des épiceries et même un disquaire… essentiellement dans le centre de Marseille. Le dernier en date est la Marmite Joyeuse, une cantine engagée du bd National. « La preuve qu’il faut cultiver l’optimisme. Que la solidarité existe. Mais pour gagner en efficacité, elle doit être valorisée, catalysée, et organisée ». Sarah et son équipe progressent par quartier, élaborent une trame qui incorpore les besoins essentiels, qui emprunte le parcours de ceux qui font la manche ou dorment dehors. Un gros boulot, qui demande du suivi, de la vigilance, de la rigueur. « Nous sommes attendus à la Belle-de-Mai, explique Sarah. Mais s’il n’y a qu’un seul commerce, c’est insuffisant, il sera débordé. D’où la nécessité de bien quadriller le terrain, de démarcher utilement ». Et de bien répartir les 17 pictogrammes – des choses très pratiques uniquement, comme la possibilité d’échanger la très petite monnaie contre des grosses pièces ou des petits billets. D’autres sont à la réflexion comme les croquettes pour chien, la possibilité de changer son bébé, ou de l’allaiter.

Le Carillon jette un pont entre les gens de la rue et les autres

 

Sullymane Sy, le patron du Champ de Mars, a été des premiers « carillonneurs ». Cela n’a pas vraiment constitué une révolution pour lui qui pratiquait déjà la politique du verre d’eau, de l’accès aux toilettes et du brin de discussion : des choses « normales ». « N’importe lequel d’entre nous peut se retrouver à la rue. J’accueille avec le sourire, mais je tiens un bar, pas une église, précise-t-il. Je suis vigilant pour le respect et la propreté des lieux. Mais il n’y a pas de problème avec ceux qui sont envoyés par Le Carillon, ils connaissent les règles ». Il voit passer chaque jour de deux à cinq visiteurs de la rue, souvent les mêmes que la veille car des habitudes se créent. En face, le Melting Pot arbore lui aussi l’autocollant aux trois petites cloches. Tant mieux si la solidarité est contagieuse.

L’implication de tous, commerçants, clients et voisins

Ce qu’il faut aussi préciser, c’est que les commerçants ne sont pas les seuls impliqués. Les riverains et leurs clients le sont également, invités à régler des cafés suspendus ou des « produits en attente », différents selon les commerces, et proposés à un prix solidaire. C’est par exemple des tapas au Café Conception, que l’on va payer 2 euros et qui se transforment en un bon, épinglé dans la boutique ou distribué dehors. C’est aussi un sandwich à 7,50 euros l’épicerie L’Idéal, à Noailles.

Mat s’est attablé avec nous devant le Champ de Mars. Mat, originaire de Pologne, a vécu dehors un certain temps avant de trouver une place en foyer. Il fait partie des « ambassadeurs » de la Cloche, huit hommes et femmes issus de la rue, qui relaient les infos et les bons plans services auprès des sans-abris de leur quartier. Il est un héraut de cette association, qui représente à ses yeux « la bienveillance » et fait du « beau boulot ». Mat participe à sa manière. Dans la préparation des Apé’rues notamment, des apéros qui impliquent un quartier, depuis l’élaboration de petits plats à partir des invendus des commerces jusqu’au moment convivial de trinquer ensemble, sans considération sociale d’aucune sorte.

La Cloche ne fend pas les flots en solitaire et étend peu à peu son réseau de partenaires, économiques (Fondation de France, Carrefour ou encore Macif au niveau national, AG2R la Mondiale localement) et surtout sociaux (la Croix Rouge, Les Nomades Célestes, La Bagagerie, On se gèle dehors…). Des collaborations sont aussi nouées ponctuellement. A l’Hôtel Intercontinental par exemple, trois plats de la carte sont assortis d’une mention précisant qu’un euro sera reversé à l’association. De son côté, l’agence parisienne TBWA va parrainer gracieusement une campagne de comm’ qui inondera les panneaux à affichage digital de Marseille, à partir du 22 octobre. Avec un numéro vert et un message invitant les sans domicile à pousser la porte des commerces relais. Une démarche jusque là inédite auprès de ce public. N.C.

 

Bonus

  • Les besoins de la Cloche : Des jeunes en service civique et en quête de sens, pour épauler l’association / Des lieux « carillonneurs » du côté de Castellane / Des partenariats financiers de tous ordres
  • Un Apé’rue tous les trimestres avec les commerçants d’un quartier