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Le jean revient dans l’ADN de Nîmes

Par Agathe Beaudouin, le 4 juillet 2022

Journaliste

De 3000 pantalons/an fabriqués aujourd'hui, Atelier de Nîmes pourrait rapidement passer à 20 000 ©ADN

En 2016, un jeune diplômé décide de créer dans sa ville natale un atelier de fabrication de toile denim afin de ressusciter un savoir-faire oublié : ADN, pour Ateliers de Nîmes, voit alors le jour. Aujourd’hui, les premiers modèles fabriqués exclusivement en toile de Nîmes arrivent en rayons.

 

Dans l’ancienne usine de chaussures où Guillaume Sagot a installé sa petite entreprise, il faut parler fort pour se faire entendre ! Ce jour-là, le métier à tisser est en action. Sur un cylindre, 700 mètres de fil en coton attendent de passer à travers le mécanisme de cette machine d’un autre temps, capable de créer une épaisse toile denim. Celle qui donnera vie au pantalon le plus porté à travers le monde, le jean. Ticatac, ticatac, ticatac, la fabuleuse locomotive en action date du siècle précédent. À ses côtés, un ancien ouvrier du textile, qui a décidé de rejoindre l’aventure de Guillaume Sagot par pure passion, veille au grain : « À l’oreille, je suis capable de dire si tout va bien, ou pas », commente en souriant Lucien Vialic.

 

Nîmes, ancienne cité industrielle textile

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Guillaume Sagot, le fondateur des Ateliers de Nîmes ©ADN

Nous voici donc dans un entrepôt près du centre-ville de Nîmes. Depuis 2016, un enfant du pays, avec un master en affaires européennes puis un diplôme de communication numérique en poche, et qui un temps, fut tenté par le journalisme, s’est mis en tête de revenir vivre à Nîmes. « Je me suis dit pourquoi pas essayer de relancer le patrimoine industriel textile, c’est une histoire qui a impact au niveau international. »

Pour mieux comprendre, retour quelques siècles en arrière. Au XVIe, les tisserands sont nombreux dans cette ville du sud. Ils exploitent notamment la soie et la laine produites dans les Cévennes voisines pour fabriquer une toile épaisse, destinée aux paysans du coin. Elle a pour particularité d’avoir un « fil de chaine bleu indigo et un fil de trame écru », explique Alain Boix, directeur de l’école de mode Esmod à Lyon. « La ville avait son industrie textile, à base notamment de sergé (une méthode de tissage, NDLR) et un Nîmois aurait un jour eu l’idée d’envoyer des rouleaux de cette toile à Gênes, grande puissance textile à l’époque et importatrice de la couleur indigo. C’est en fait de cette ville-là que viendrait le mot jean, qui correspond à « Gênes » dans une prononciation à l’anglaise… »

 

♦ Lire aussi : Laine française, des initiatives locales raniment la filière

 

Tendance circuit court et fabrication locale

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Dans les ateliers où est fabriquée la toile ©ADN

À Nîmes, au fil du temps, cette industrie textile s’est perdue, et son souvenir n’a pas vraiment été cultivé… Du moins jusque dans les années 2010, quand des habitants remettent au goût du jour cette histoire, notamment à travers une association, les Gens Denîm. Cela correspond aussi au début de la tendance circuit-court et du « fabriquer local » qui émerge un peu partout dans le pays, et qui sème l’idée dans l’esprit de Guillaume Sagot. « C’est vrai qu’au début, je n’y connaissais rien. Je trouvais l’histoire belle et intéressante, mais c’est un pari fou, compliqué, qui demande beaucoup d’énergie et c’est stressant », explique le Gardois de 36 ans. « La partie théorique et l’apprentissage ont pris beaucoup de temps », reconnaît-il modestement.

Au début du projet, Ateliers de Nîmes (ADN) achète la toile de jean produite en Italie, puis fabrique les jeans, pour réveiller les mentalités. « Tout ce qu’on gagnait, je le réinvestissais pour avoir de quoi acheter un métier et pour tisser la toile à Nîmes. » C’est désormais chose faite depuis presque un an. La toile est conçue dans les ADN, puis envoyée au Portugal pour la découpe et la fabrication des pantalons. « Les premiers modèles réalisés exclusivement en toile de Nîmes véritable seront, début juillet, mis en vente. » Un sacré pas de franchi pour Guillaume Sagot dont on retrouve les jeans (trois modèles hommes, trois modèles femmes) dans une quinzaine de points de vente en France. Dont Paris, à La Samaritaine et au Printemps Haussmann.

 

La mode, cette industrie polluante

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C’est à partir d’un ancien métier à tisser acheté dans la Loire que les Ateliers façonnent artisanalement la toile denim ©ADN

Mais pour Guillaume Sagot, le défi n’est pas « seulement » de refabriquer la toile denim. Sa démarche, il la veut la moins nocive possible pour l’environnement, et souhaite l’inscrire dans un processus raisonné. Oui, mais quand on parle de mode, cela représente un sacré challenge ! ADN voit les obstacles se multiplier. « C’est vraiment difficile, cela impose une organisation très spécifique, quand on sait que l’industrie de la mode est une des plus polluantes. » Dans le processus, la marque ne veut pas « encoller » la toile, comme elle n’utilise pas de « solvant, limite l’usage de l’eau, et renonce au polyester ». La marque souhaite sensibiliser le public et l’inciter à laver le moins possible leur jean, la meilleure façon de le conserver pour des années.

À l’automne, un nouveau métier à tisser ultra-moderne arrivera du Japon pour permettre à la société de quasiment multiplier par dix sa production. Avec actuellement moins de 3000 pantalons fabriqués par an, Guillaume Sagot espère atteindre rapidement 20 000 exemplaires, très certainement grâce à une levée de fonds prévue pour la fin de l’année.

« Parti de zéro » comme l’affirme Guillaume Sagot, ADN atteint un chiffre d’affaires de 200 000 euros, a ouvert une boutique en centre-ville et emploie quatre personnes. « Nous avons reconstruit un savoir-faire, une image de marque, une communication. » À Nîmes, dans la foulée, l’équipe municipale travaille à un projet de musée dédié à cette histoire du jean, enfin plutôt de denim ! ♦

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*RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité *