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Le vivre autrement d’un habitat participatif intergénérationnel

Par Régis Verley, le 15 octobre 2020

Journaliste

À Villeneuve d’Ascq (Nord), les « ToitMoiNous » ont réussi à réunir des logements sociaux, pour une mixité sociale où se côtoient propriétaires et locataires, à égalité de droits et de devoirs. Mais aussi pour une mixité générationnelle, qui fait cohabiter sur les mêmes paliers autant de familles jeunes que de seniors en couple ou isolés.

Sur deux et trois étages, vingt-deux appartements reliés entre eux par des coursives, un bâtiment comme tant d’autres… Mais derrière les murs, ce sont près de cinquante personnes qui découvrent une façon de vivre autrement, celle de l’habitat participatif.

Le vivre autrement d’un habitat participatif intergénérationnel 2Pour les réunir, la résidence s’est complétée d’espaces collectifs, autogérés et ouverts à tous : une grande et belle salle commune équipée d’une cuisine pour l’accueil des familles et des amis, comme pour des réunions, des fêtes et d’innombrables rencontres. Un studio permet à chacun de recevoir les membres de sa famille. Une buanderie et un atelier de bricolage complètent le décor et accroissent les occasions de partager et de collaborer.

 

Retarder les difficultés de la vieillesse

L’histoire des ToitMoiNous n’est pas simple. Dans cette ville qu’on disait « nouvelle » dans les années 80, les familles ont vieilli et un groupe d’études locales a découvert la montée des difficultés et de l’isolement dans des logements conçus pour des familles et des enfants et bien peu adaptés à une population vieillissante. Vivre ensemble, en partageant les services serait, ont pensé les premiers promoteurs, un moyen d’éviter ou au moins de retarder les difficultés de la vieillesse.

Le hasard a voulu que les seniors puissent rencontrer un groupe de jeunes, soucieux de partager l’éducation et une manière de vivre autrement la famille. La rencontre a tout de suite révélé l’intérêt de la mixité générationnelle. Les grands-parents sont présents pour les enfants, pour des gardes imprévues ou des après-midis de jeu. Les adultes savent apporter aux plus âgés un soutien précieux. C’est par exemple ce qui permet à Marie-Hélène, la doyenne de 80 ans dont la vue a baissé, d’abandonner sa voiture pour se faire conduire quand nécessaire.

 

Un Whatsapp pour tous à la faveur du confinement

Le vivre autrement d’un habitat participatif intergénérationnel 3Le confinement a renforcé les liens. Coupés du monde, tenant bien sur leurs distances, les résidents se sont appuyés les uns sur les autres, reliés par le cordon d’un « WhatsApp », pour s’assurer les uns les autres des courses, d’un coucou, voir même d’une rencontre improvisée de terrasse en terrasse pour battre les mains au son de la trompette et de la guitare de JP, père de famille musicien.

L’habitat participatif est déjà présent à Villeneuve d’Ascq. Deux résidences plus anciennes, Anagram et Hagrobi abritent chacune une dizaine de familles. Mais avec les Toitmoinous le projet a pris de l’ampleur. L’appui d’un bailleur social, la société Notre Logis, a facilité le développement du projet. Intégrer des logements sociaux correspondait aux désirs des porteurs du projet. Mais trouver un terrain, adapter la construction au projet des résidents avec l’aide d’un architecte qui accepte de tenir compte des demandes, tout cela a été long et difficile.

La gestion est un casse-tête lorsqu’il faut mixer les logements sociaux et des propriétés privés. Un à un, les responsables ont levé les obstacles pour une inauguration six ans plus tard en juillet 2018.

 

Atelier bricolage et soirées-débats

Depuis, c’est 35 adultes et quinze enfants qui cohabitent (dont le journaliste qui signe cet article – ndlr), mais le chiffre est incertain. Un célibataire a fait entrer une compagne, deux enfants sont arrivés. Ce n’est sans doute pas fini. Car dans cette mini-république, ou disons plutôt ce village participatif, tous ont développé une vie faite d’échanges. Marie-Hélène, confrontée à des difficultés d’autonomie, trouve dans son voisinage une aide qui lui permet de continuer une vie normale. Marie a pu installer à côté de chez elle son fils handicapé, et lui permettre de devenir enfin indépendant et autonome. Au sein de la résidence, chacun est prêt à l’accueillir et le soutenir.

Le vivre autrement d’un habitat participatif intergénérationnel 4Dans l’atelier, les bricoleurs travaillent pour eux, mais aussi partagent leurs compétences pour poser une étagère, remplacer un lustre ou aider à un aménagement. Le mercredi parents et grands-parents se donnent rendez-vous dans la salle commune pour l’accueil des enfants. Des soirées spéciales ou des débats s’organisent autour de thématiques communes. La dernière portait sur « les directives anticipées ». Le sujet est austère mais il a permis à chacun et chacune de s’exprimer sur sa vie et ses attentes. Qu’on se rassure, il y aura d’autres discussions et certaines plus légères.

Bien sûr, une place est donnée au festif. Chaque mois une réunion permet à chacun e s’exprimer. Elle est suivie d’un « chantier » où chacun vient donner un coup de main : ici on bèche et aménage le jardin encore largement en friche, là on donne un coup de « tornade blanche » aux locaux et aux espaces communs… les travaux ne manquent pas qui se finissent par un repas collectif, des rires et des chansons.

 

Une charte de vie commune

La volonté de partage est de solidarité est inscrite dans une « Charte de vie commune » signée par tous. Elle se concrétise par la mise en commun de tout ce qui peut l’être : perceuses, échelles, friteuses, vélos, voitures parfois, sont partagées. Et plus que les objets ce sont les idées, les recettes les coups de main, les bonjours qui enrichissent chacun.

Vivre en habitat participatif, chacun chez soi mais en développant chaque jour des occasions d’échange et de partage, c’est vivre autrement dans une société où, justement, la sobriété et le lien social deviennent condition de vie et de survie. Les ToitMoiNous sont inscrits dans le Mouvement national de l’habitat participatif et contribuent au développement de ces nouvelles façons d’habiter. ♦

 

 

Bonus – MasCobado, habitat participatif et bioclimatique à Montpellier-

  • Témoignage de Julie, directrice de crèche, résidente depuis 2016 de MasCobado. Les 23 foyers (49 habitants de 6 à 82 ans) ont conçu chacun leur propre appartement avec les architectes et, ensemble, les espaces collectifs.

Le vivre autrement d’un habitat participatif intergénérationnel 1« Avec les autres foyers, nous partageons une grande terrasse, une salle avec une cuisine, une buanderie avec dix machines, une bibliothèque, un coin enfants, trois chambres d’amis, un potager avec des poules, un composteur et un jardin style place du village. Ces aménagements, nous les avons décidés ensemble lors de notre réunion mensuelle. Chaque voix compte et si un résident refuse une décision, elle est retravaillée par le groupe concerné jusqu’à son adoption. À part le projet d’une box WiFi pour la salle, toutes les propositions ont été actées : répartition du ménage de l’immeuble, format d’utilisation de la salle, montant de la cagnotte mensuelle… Nous choisissons ensemble les plantes, faisons du yoga sur la terrasse, organisons des ateliers  – cuisine, meuble en palettes recyclée…  J’ai rejoint le projet pour sa dimension écologique bien sûr mais aussi pour ses valeurs : partage, bienveillance et authenticité. Il y a une réelle entraide entre nous. Moi qui élève seule mes fils, c’est précieux ! Les mamies gardent les enfants malades pour que les parents puissent travailler, une prof de maths à la retraite donne des cours de soutien, les bricoleurs dépannent et ceux qui ont une voiture la prêtent. Notre groupe WhatsApp est très actif ! Nous soutenons aussi les petits producteurs de la région en organisant des groupements d’achat, légumes bios par exemple ou sac de farine de 25 kg. Il existe bien sûr des points d’accrochage et des ajustements permanents. Mais on en discute, dans un échange sincère et honnête. D’ailleurs, on a prévu un atelier sur la communication bienveillante. Mes fils ? Avant d’emménager, ils m’ont traitée d’utopiste, maintenant ils sont à fond. Mon grand de 22 ans est bien content de partager une pizza le vendredi soir en bas avec ceux qui sont là. Et mon dernier de 15 ans, de pouvoir emprunter une canne à pêche. Certains voisins sont devenus des amis, d’autres partagent juste mes valeurs. Mais tous constituent pour moi un lien de confiance fort ».

[Au fait !] Notre série sur l’habitat participatif a tourné court