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Léa Mosconi, architecte : « La question écologique ne se réduit pas à celle de l’énergie »

Par Nathania Cahen, le 19 septembre 2022

Journaliste

À Boulogne, l'école imaginée par l'agence Chartier Dalix intègre la faune et flore dans le bâtiment ©ChartierDalix

L’écologie, le climat sont des questions brûlantes. Comment intégrer leurs enjeux dans les bâtiments existants et à venir ? De quelles ressources disposent ceux qui transforment ou construisent ? J’ai questionné Léa Mosconi, architecte, cofondatrice de l’Atelier Bony Mosconi, maîtresse de conférences à l’Ensa Nantes, chercheuse au Centre de Recherche Nantais Architectures Urbanités (Crenau) et présidente de la Maison de l’architecture Île-de-France. 

 

 

D’où vous vient cet intérêt pour les problématiques écologiques ?
Léa Mosconi, architecte : "La question écologique ne se réduit pas à celle de l'énergie"
Léa Mosconi ©DR

C’est indubitablement la lecture de Bruno Latour, quand j’étais étudiante, notamment « Nous n’avons jamais été modernes ». L’ouvrage aborde la possibilité pour l’écologie d’être le socle d’un nouveau langage structurant pour l’architecte après l’effondrement de ce que l’on appelle les « grands récits ».

 

À quand remonte la prise de conscience du rôle majeur de l’écologie dans l’architecture ? Ses grandes étapes ?

Elle se fait en plusieurs temps. Dans les années 1960-70, une étape importante se joue dans le Colorado, dans les milieux alternatifs. Des jeunes gens, souvent en contestation avec le système, se regroupent en communautés autonomes, en lien avec la nature et l’environnement. « Drop City » en est un exemple particulièrement intéressant, tant dans sa genèse que dans son architecture.

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Drop City ©DR

Dans les années 1980, les sommets consacrés à la terre et l’environnement se multiplient – COP, GIRC, Rio etc. Sous cette impulsion va émerger une architecture durable, qui va intégrer des problématiques comme la performance énergétique, la régulation thermique…

À partir des années 2010, différents courants se superposent. Attachés à la question du vivant pour les uns, au réemploi des matériaux pour les autres, à un nouvel usage de certains matériaux telles la paille ou la pierre… Des collectifs d’architectes s’engagent au sein d’agences plus militantes comme SOA (Architecture et urbanisme agricole) ou Encore Heureux (« Pensons plus pour consommer moins »).

Certaines expositions au Pavillon de l’Arsenal sont à ce titre édifiantes. Autour du projet de Frédéric Chartier et Pascale Dalix (2019) pour une école de Boulogne : une paroi du bâtiment est à même d’accueillir le vivant, le nourrir et l’isoler. Deux ans plus tôt, l’agence Joly-Loiret s’était, elle, intéressée aux « terres de Paris » – comment transformer en matériau la matière que représentent quelque 20 millions de tonnes de terre extraites chaque année ? Une réflexion qui se concrétise avec la fabrique Cycle Terre de Sevran – une filière qui développe de nouveaux matériaux pour fabriquer la ville bas carbone et retisser du lien avec la nature.

 

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Gîte en pierres sèches dans le Parc naturel régional des Causses du Quercy. Agence Encore Heureux-2020 ©Encore Heureux
Dans les actes, comment cela se manifeste-t-il ? Est-il possible de corriger les excès ?

Il y a différentes façons d’agir : au travers de projets-manifestes, de conférences, formations. Par exemple, le laboratoire CRAterre est né en 1979 pour défendre l’utilisation de toutes les ressources de la terre crue. L’action passe par les projets et la transmission des savoirs.

Quand j’étais étudiante, on parlait peu d’intervenir sur l’existant, sauf si cela relevait du « patrimoine ». Aujourd’hui, intervenir sur l’existant fait partie de la palette. Un bel exemple en est le projet de réhabilitation de l’agence Druot-Lacaton-Vassal pour la Tour Bois Le Prêtre (Paris 17e) qui lui a valu l’Équerre d’argent en 2011. À rebours de la frénésie de construction, sans démolir, les appartements existants ont été agrandis et des balcons et jardins d’hiver ont été créés.

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Réhabilitation de la tour Bois Le Prêtre à Paris, par le trio Druot-Lacaton-Vassal ©LacatonVassal
Ce qu’il ne faut surtout pas faire ?

Réduire la question de l’écologie à une question énergétique. Comme le souligne Bruno Latour dans « Nous n’avons jamais été modernes », et comme le montrent très bien les historiens de l’environnement Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz dans L’Évènement anthropocène (lire bonus), cette crise écologique est aussi une crise des valeurs et de l’idéologie moderne. C’est une crise du progrès qui peine à incarner l’émancipation promise. Une crise des croyances en une technologie salvatrice. Une crise du monde industriel. Réduire la question écologique à l’énergie et à un déploiement de techniques industrielles revient donc appréhender cette crise avec les outils d’un monde moderne qui suffoque.

 

♦ (re)lire : La série « habiter autrement » – maison en paille, tiny house…

 

Des architectes porte-étendards de cette conscience ?

Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, bien sûr, très attachés à prendre en considération le milieu sur lequel ils interviennent. En1997, ils ont par exemple construit au Cap Ferret une maison au milieu et autour des pins, qui repose sur des micropieux pour impacter le moins possible la nature. Ils considèrent que l’architecte doit s’adapter au site et non l’inverse.

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Le chai de Vauvert (Gard), en pierre massive type Pont du Gard ©Perraudinarchitecture

Il y a également Patrick Bouchain qui a imaginé pour Nantes le Lieu Unique, la réhabilitation et la conversation de l’ancienne usine Lu en un vaste centre culturel ouvert en 1999. Tout en respectant l’identité industrielle du site. Gilles Perraudin qui a remis au goût du jour l’emploi de la pierre massive en démontrant l’intérêt aujourd’hui de ce matériau, grâce à différents projets dont le chai viticole de Vauvert.

Les différents architectes cités sont pionniers sur ces sujets, ils ont porté ces questions qui ont ensuite imprégné l’enseignement et plus largement le milieu de l’architecture. Dans les écoles d’architecture, leurs projets et leurs idées ont largement étaient relayés et aujourd’hui, la plus grande partie des étudiants en architecture sont au fait de ces questions.

 

Des exemples, des réalisations modèles ou emblématiques ?

Dans les projets récents, il en est un notamment qui me semble original et intéressant, c’est le MAD de Bruxelles, Musée des arts décoratifs réalisé par les agences V+ et Rotor. Leur proposition est assez forte : au lieu de démolir l’existant pour réaliser le musée d’art et de design, ils s’emparent des trois bâtiments présents sur le site. Ces trois bâtiments assez ordinaires, de trois époques différentes, ils les fédèrent en un bâtiment unique qui deviendra le musée. C’est une proposition à la fois très humble et très ambitieuse. Le travail sur des nuances de blancs pour unir les trois édifices, l’attention aux détails et à la lumière rendent ce projet architecturalement très riche. Aussi, il évite des démolitions lourdes et inutiles.

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À Montpellier, l’immeuble « qui pousse » avec sa façade végétale à irrigation automatique © Maison Édouard François
Comment procéder avec « l’ancien » ?

Il faut le conserver et l’adapter aux usages et besoins de ceux qui l’habitent. Ne pas considérer seulement les questions énergétiques et écologiques. Une réponse adaptée aux besoins permettra de conserver plus longtemps le bâtiment.

 

♦ (re)lire : Comment l’urbanisme relève le défi de la chaleur
Végétaliser les villes est un autre geste vertueux ?

Cela relève davantage de l’urbanisme que de l’architecture. Mais que ce soit à l’échelle du bâtiment ou d’une ville, oui, cela permet entre autres choses de freiner l’effondrement de la biodiversité. À Paris, on conçoit aujourd’hui des cours d’école oasis. On diminue l’usage des pesticides dans les cimetières. On aménage les toits. Et on sait désormais qu’il vaut mieux plusieurs petites mares qu’un grand lac ! ♦

 

Bonus
  • La performance énergétique. « C’est la capacité d’un bâtiment à utiliser peu d’énergie pour fonctionner. Grâce à différents dispositifs de rafraîchissement ou de ventilation par exemple. Grâce à une bonne isolation, grâce à des panneaux solaires par exemple. La performance énergétique a souvent été la critique unique pour appréhender la question écologique en architecture. Mais elle efface d’autres dimensions liées au vivant, au milieu, au climat, à la matière ou à son réemploi« , explique Léa Mosconi.

 

  • Le bilan carbone d’un bâtiment. Pour le calculer, il faut distinguer plusieurs types d’émissions : directes et indirectes. Les premières sont celles liées aux consommations énergétiques lors de la phase d’usage du bâtiment. Elles représentent, selon l’ADEME, 26% des émissions nationales. Par rapport à ce type d’émissions, les bâtiments (tertiaires et résidentiels) représentent 45% de la consommation énergétique nationale, ce qui en fait le premier consommateur d’énergie du pays. Dans cette consommation, la part d’énergie fossile est de 50% pour le tertiaire, 40% pour le résidentiel. Les émissions indirectes avoisinent 30 MtCO2e et représentent 7% des émissions nationales.

À ce jour, il est estimé que la phase de construction représente près de 60% de l’empreinte carbone d’un bâtiment neuf. Sur le sujet, lire l’article de Greenly.

 

♦ (re)lire : Aider le bâtiment à organiser sa transition écologique

 

  • « Chantier Zér0 Carbone ». Ce label a été créé en septembre 2015 et présenté dans la “Galerie des solutions” pendant la COP 21, pour sa capacité unique à réduire les émissions de GES sur les chantiers de rénovation. La première application concrète a été déployée avec le groupe ADP, pour le chantier de rénovation des 5 hangars sur le site de l’aéroport Paris-Le Bourget. L’accompagnement est assuré par l’association RQE (Recherche Qualité Environnementale).

 

  • L’anthropocène. Cette nouvelle époque géologique se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre. Surpassant les forces géophysiques.