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C’est quoi l’Économie Sociale et Solidaire ?

Par Nathania Cahen, le 14 mars 2019

Journaliste

Qu’ont donc en commun La Croix Rouge, Acta Vista, Share-Wood, Avencod, le Crédit Mutuel, ou encore Emmaüs ? Ce sont quelques-uns des 17 000 établissements employeurs de l’ESS de la région PACA. L’ESS ? L’économie sociale et solidaire, dont relèvent 10% des emplois de la région. Nous avons demandé à Denis Philippe, président depuis 2015 de la CRESS Paca, la chambre régionale de l’ESS, ce qui se cachait derrière ces trois mots…

 

L’économie sociale et solidaire par le petit bout de la lorgnette 4
Denis Philippe

Quelles sont les particularités de cette branche de l’économie ?

L’économie sociale et solidaire met en avant l’utilité sociale, une manière différente d’entreprendre. Quand une entreprise se crée dans cette veine, c’est parce qu’elle a repéré un besoin social et souhaite y apporter une réponse. Parce qu’elle veut générer des excédents plutôt que des bénéfices et considère l’argent comme un outil et non une finalité. Parce qu’il y a du militant dans ceux qui portent le projet, et des bénévoles pour diriger les différentes structures. Du reste, la gouvernance en est démocratique.

La dimension solidaire s’inspire aujourd’hui encore du modèle des gantiers de Grenoble : en 1803, avec la Mutuelle d’entraide et d’assistance aux ouvriers gantiers, ils ont créé la première société de secours mutuelle de France, le premier pot commun.

 

L’ESS est issue de cette initiative ?

Elle procède en effet des caisses d’entraide qui ont vu le jour au 18e siècle face à la montée en puissance de l’industrialisation et du système capitaliste. Différent, ce modèle économique s’appuyait sur la solidarité. Plus tard, à l’aube de la 2e guerre mondiale, alors que le fascisme rampait, des instituteurs ont créé la MAIF (ndlr, MAAIF à l’origine pour Mutuelle d’Assurance Automobile des Instituteurs de France), parce que la principale compagnie d’assurance fricotait avec des groupuscules d’extrême droite. Il y a le principe, constant, de défendre des valeurs, de se liguer contre l’adversité.

 

Quelles sont les principales « familles » de l’ESS ?

L’économie sociale et solidaire par le petit bout de la lorgnette 2Il y a d’abord les banques coopératives : Caisse d’Epargne, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Crédit Coopératif et Banque Populaire. Et quelque 200 mutuelles, nationales comme la MGEN, ou locales comme les Mutuelles du Soleil. Environ 1 735 coopératives de producteurs ou de consommateurs, telle l’Ôkhra, le conservatoire des ocres, à Roussillon (Vaucluse). Et, surtout, plus de 14 300 associations, du très petit aux gros modèles comme AFP-France Handicap, ADMR -le réseau associatif de services à la personne ou, bien-sûr, la Croix Rouge. Pour finir, nous comptons aussi une soixantaine de fondations, comme celle d’ADREA Mutuelle.

 

Réalisé avec l’institut de sondage OpinionWay, le premier baromètre sur le moral des dirigeantes et dirigeants salariés et élus de l’ESS vient de paraître. Quelles tendances s’en dégagent ?

Les résultats marquent leur attachement à la dimension collective et démocratique du projet de l’entreprise. La concertation qui reste le cœur de la stratégie et de la gouvernance, engage durablement leur motivation. Sur la perception de l’avenir, les avis sont plus divisés : 62% sont confiants sur les perspectives de leurs structures, 63% dans la réalisation de leurs investissements. Mais 55% sont réservés quant à l’avenir du secteur de l’ESS, en décalage par rapport au modèle économique de développement du pays. Ils sont encore plus nombreux à s’estimer peu reconnus ou valorisés par les autorités publiques.

 

Malgré les 17 000 établissements employeurs, vous êtes assez peu visibles. Pourquoi ?

C’est vrai, nous n’avons pas toujours été bons dans notre présentation, dans la valorisation de notre modèle. Avec, involontaire, un côté donneur de leçons qui passait mal. Aujourd’hui, la CRESS s’ efforce de donner envie, de se présenter comme la chambre « des entreprises » sociales et solidaire, et de démontrer qu’il existe une façon différente d’entreprendre, quel que soit l’activité, depuis le cabinet d’avocats à la maison de santé, en passant par la chaîne de boulangeries. Quelle que soit la taille ou le domaine.

 

Le mot entreprise est donc compatible avec l’ESS ?

Bien évidemment ! Il n’y a aucune honte à dire qu’on est une entreprise, à se confronter aux autres acteurs économiques. Au contraire, il faut aller au contact des réalités. Engager des coopérations ne signifie pas renier nos valeurs ! Il reste que, pour une minorité, l’entreprise est un gros mot, un employeur pas comme les autres. Pourtant, en droit du travail, rien ne nous distingue des autres, il faut donc se réapproprier ce langage.

 

Géographiquement, l’importance de l’ESS est équilibrée en région PACA ?

L’économie sociale et solidaire par le petit bout de la lorgnette 3Non. Il y a une plus forte implication, historique, des départements alpins. À l’instar d’une entreprise comme Les jouets du Queyras, qui a vu le jour en 1920 pour faire vivre les paysans désœuvrés l’hiver. En revanche, c’est dans les Bouches-du-Rhône que se concentre le plus grand nombre d’emplois : près de 74 000.

 

Le nombre d’entreprises de l’ESS est-il en augmentation ?

Oui, mais pas forcément parce que nous faisons du prosélytisme. Des entreprises nouvelles relèvent de l’ESS sans le savoir, parce qu’elles privilégient les circuits courts, donnent du sens à leur activité, recherchent un modèle économique différent.

 

La CRESS, qui aime innover, lancera au mois de mai son propre fonds d’investissement. En quoi va-t-il consister ?

Il s’agit d’un fonds d’investissement rémunéré et doté de 10 millions d’euros de dotation, abondé par nos gros adhérents, pour lequel un appel à projets sera lancé.

Cela s’inscrit dans le projet plus général de multiplier les contacts dans notre petit monde, de mettre en contact les grands et moins grands acteurs. Nous avons à cœur d’utiliser les atouts et savoir-faire de nos adhérents et ne voulons pas nous substituer à eux. À Pernes-les-Fontaines (Vaucluse), les Jardins de Solène avaient un palier structurel et financier à franchir en termes de taille : nous avons fait appel aux banques du réseau pour trouver les solutions adéquates.

 

Quelles sont les ressources de la CRESS ?

Notre budget 2018 s’est monté à un million d’euros. La Région nous donne 280 000 euros de subventions pour le développement de nos entreprises, et nous touchons 70 000 euros de l’État. Le reste est abondé par nos partenaires et par les adhésions. Honnêtement, je ne trouve pas sain de dépendre des pouvoirs publics. Je suis favorable à l’autonomie économique et à la liberté de ton. IL y a de l’argent dans l’ESS, il suffit de réveiller certains grands comptes endormis et de jouer collectif…♦

 

Bonus

  • Les chiffres-clé (source CRESS 2019) : 16 818 employeurs (86,6% de leurs sièges dans la région), 162 876 salariés, 141 067 ETP (équivalents temps plein), 13,5% de l’emploi régional privé, 69% de femmes, 4,3 milliards d’euros de salaires bruts distribués.

 

  • L’économie sociale et solidaire occupe une place de plus en plus importante dans le paysage économique français. Elle suscite aussi un engouement croissant auprès des jeunes. Un sondage Ipsos/Boston Consulting Group/Conférence des Grandes Écoles de janvier 2016 révélait que près d’un étudiant sur deux aimerait travailler dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Néanmoins notre région propose encore peu de formations : une licence tourisme et économie solidaire, à Avignon et un master Ressources humaines et management responsable des organisations, à Aix.

 

  • Les prochains rendez-vous :

20 mars : le Forum Emploi-Formation organisé par l’UNAT et le FSPMA et parrainé par la CRESS
2 avril : matinale organisée par la CRESS sur l’accompagnement managérial du/de la dirigeant.e
25 avril : matinale organisée par la CRESS sur le recrutement du dirigeant.e d’entreprise d’ESS
– 17 mai : assemblée générale de la CRESS
– 2nd semestre : ouverture des délégations départementales dans le 04 et 05