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L’empathie, comment ça marche ?

Par Paul Molga, le 16 mai 2019

Journaliste

Photo Jean-Pierre Vallorani *

La faculté que nous avons à nous mettre à la place des autres dépend majoritairement de notre éducation et de notre expérience. Mais de récentes études montrent que la bienveillance provient aussi de nos gènes.

 

Nous ne naissons pas tous avec le même capital d’empathie. La capacité humaine à lire les émotions des autres dans leur regard ne dépend pas que de notre éducation et de notre expérience, elle est aussi influencée par nos gènes, suggère une vaste étude franco-britannique parue dans le journal Translational Psychiatry. Ces travaux ont été menés conjointement par l’Institut Pasteur, le CNRS et les universités de Cambridge et de Paris Diderot, sur 46 000 clients de la société d’analyse génétique 23andMe.

Il n’existe pas de mesure objective de l’empathie. Les scientifiques se sont donc basés sur le « quotient d’empathie » que jauge un questionnaire mis au point en 2004 à l’université de Cambridge. Il mesure les deux types d’empathie dont nous sommes pourvus : cognitive pour reconnaître les sentiments des autres, affective pour y apporter une réponse émotionnelle adaptée. Les personnes sollicitées pour l’étude ont toutes complété ce questionnaire en ligne et fourni un échantillon de salive. Le rapprochement des données a montré qu’au moins un dixième de la variation des sentiments de bienveillance, de compassion et de sollicitude dépend de notre ADN. Les chercheurs ont aussi démontré que les femmes sont en moyenne plus empathiques que les hommes, mais ils suspectent là « d’autres facteurs biologiques non génétiques », hormonaux par exemple, ou des facteurs « non biologiques tels que la socialisation ».

 

Les femmes, plus empathiques

Il y a quelques mois, une autre étude menée par l’Université de Cambridge était parvenue aux mêmes conclusions. Les chercheurs avaient analysé les résultats d’un « eyes test » conduit auprès de 89 000 personnes : trente-six images d’yeux leur avaient été présentées et, pour chaque regard, il leur fallait deviner l’émotion exprimée. L’analyse a confirmé une capacité variable à lire « l’esprit derrière les yeux ».

En décortiquant cette expérience, les chercheurs britanniques ont peut être aussi trouvé un des responsables dans la double hélice de l’ADN : le gène LRRN1 (Leucine Rich Neuronal) qui existe en plusieurs variantes dont certaines semblent être corrélées à une meilleure perception des émotions chez les femmes. Cette portion du chromosome 3 est très active dans une partie du cerveau appelée striatum, que l’imagerie a révélé être très impliquée dans la prise de décision et l’empathie cognitive. Or les variations génétiques offrant des scores plus élevés au test des yeux augmenteraient également le volume du striatum.

 

Un lien avec l’autisme ?

Si ces gènes intéressent tant les chercheurs malgré leur faible influence, c’est que l’empathie est au cœur de certains troubles psychiatriques, notamment l’autisme caractérisé par une difficulté à identifier ce que ressent l’autre. Dans leur dernière étude, les scientifiques s’attendaient à trouver chez ces malades un profil génétique moins favorable au développement de l’empathie. « C’est effectivement ce que nous avons identifié », explique le généticien Thomas Bourgeron, co-auteur de ces travaux. Avec son équipe du laboratoire Génétique Humaine et Fonctions Cognitives, qui cherche à comprendre les causes de l’autisme, il a testé une dizaine de gènes suspects, sans en découvrir cependant aucun qui ait une influence significative dans la prédisposition à l’empathie. « Chacun y contribue probablement un petit peu », avance le chercheur.

 

Il n’y a pas UN gêne de l’empathie

À en croire les travaux menés par ailleurs par le neurochirurgien Hugues Duffau, qui a révolutionné sa discipline en opérant de leur tumeur au cerveau des patients éveillés, la mentalisation qui permet d’éprouver de l’empathie suit la même organisation. Selon lui, cette fonction autorisant à percevoir et interpréter les pensées et le comportement des autres, n’est pas contrôlée par une région particulière du cortex mais par des réseaux de neurones diffus connectés entre eux.

Il a fait passer des tests à ses patients, avant et après l’opération, pour en avoir la certitude. « Les résultats montrent qu’ils n’ont aucune séquelle après l’ablation du cortex frontal droit, expliquait-il il y a peu. Tous ont conservé d’excellentes capacités de cognition sociale, aussi développées qu’avant l’intervention. Ces résultats montrent que cette région, bien qu’elle soit activée en cas de mentalisation, n’est pas indispensable à cette fonction. Son action peut tout à fait être compensée par d’autres neurones, ailleurs dans le cerveau ». La mentalisation serait donc contrôlée par plusieurs réseaux répartis dans différentes aires, pouvant se compenser les uns les autres. « Il en résulte une formidable plasticité qui semble sous-tendre de nombreuses fonctions cognitives et émotionnelles », poursuivait-il.

 

Le rôle des neurones miroirs

Une famille de neurones en particulier, les neurones miroirs, est indispensable à la compréhension d’autrui. Dans les années 1990, des chercheurs italiens de l’équipe neuroscientifique de Giacomo Rizzolatti ont fait une découverte stupéfiante en étudiant ce qui se passe dans le cerveau d’un singe qui observe une action : ses neurones moteurs, ceux là même qui commandent le corps, entrent en action, comme pour réaliser le même geste, mais en pensée. Tout se passe comme si en regardant quelqu’un agir, le singe se sentait agir lui même en se voyant à travers l’autre comme dans un miroir.

Depuis les travaux publiés en 2010 par l’équipe de Roy Mukamel, du laboratoire de neurophysiologie cognitive de Los Angeles, on sait que l’homme possède aussi ces neurones miroirs. Pour le démontrer, le chercheur a sélectionné 21 patients souffrant d’épilepsie et leur a présenté des vidéos de mimiques faciales. La plupart des 1 177 neurones observés pour l’expérience se sont activés, soit lors de l’exécution d’une action, soit à la vue de cette action, et une proportion significative de neurones situés à l’avant du cerveau (notamment dans l’aire motrice supplémentaire) et dans le lobe temporal (notamment dans l’hippocampe) a réagi à la fois à l’exécution et à la vue d’actions similaires.

Pour Roy Mukamel, ces résultats suggèrent que certains systèmes du cerveau humain sont dotés de neurones miroirs qui jouent un rôle dans des processus cognitifs comme la compréhension des émotions, ou dans l’apprentissage par imitation. Selon les scientifiques, c’est également dans ces neurones miroirs qu’il faut trouver la source des contagions émotionnelles et des effets de masse. ♦

 

* Le site professionnel de Jean-Pierre Vallorani, c’est ici.