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Les verres plastiques des opticiens dans le viseur

Par Philippe Lesaffre, le 22 mai 2023

Journaliste

Rien n'est prévu pour la fin de vie des verres plastiques de présentation ©Pixabay

Chaque année, après usage unique, les opticiens jettent au moins 80 tonnes de verres de présentation. Une matière en plastique ni recyclée, ni valorisée. Opticienne depuis 2001, Carole Riehl sonne l’alerte. Avec son association RecyclOptics, elle se mobilise pour que le secteur entame sa transition.

 

Peu le savent. Avant qu’elles ne soient vendues, les lunettes de vue proposées en rayons sont dotées de verres temporaires en plastique. Une matière utile que les professionnels utilisent en vue de protéger les montures, après la fabrication et lors du transport jusqu’aux magasins. Cela leur permet d’éviter que les paires ne se déforment avec le temps. Les responsables des boutiques s’en servent également, confie Carole Riehl, opticienne depuis 2001, comme « support transparent », en particulier dans le but d’indiquer aux clients la marque des lunettes. « Je me suis toujours servie de ce faux verre afin de prendre les mesures », ajoute-t-elle.

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Carole Riehl, opticienne et fondatrice de l’asso RecyclOptics©DR

Or, et c’est là que le bât blesse, rien n’est prévu pour leur fin de vie. Sans solution globale sur le territoire, les professionnels, après usage unique, jettent à la poubelle ces verres de présentation. Et ils ne sont pas recyclés alors que le flux n’est pas négligeable.

Considérant que 16 millions de paires de lunettes de vue ont été vendues en 2021, Carole Riehl a ainsi calculé que 32 millions de faux verres avaient été mis à la benne cette année-là. « Cela représente 80 tonnes de plastique. » Peut-être plus, si l’on prend en compte les produits non vendus.

 

Une filière pour recycler les verres en plastique

Selon elle, il faut inverser la tendance, et inviter les acteurs à revaloriser coûte que coûte ce plastique usagé. Afin de faire avancer le schmilblick, Carole Riehl se lance dans l’aventure. Elle crée en 2021 son association, RecyclOptics. Celle-ci regroupe deux ans plus tard une centaine d’adhérents, autant d’opticiens saluant son engagement, appréciant son action et souhaitant réduire leur impact environnemental.

Concrètement, elle propose à ses membres (une centaine de magasins, sur les 12 800 points de vente que compte la France) de lui envoyer régulièrement les verres de présentation en plastique qu’ils jettent. Un gisement qu’elle transmet à l’entreprise de traitement de déchets Reviplast (1).

 

♦ Relire : Les filets de pêche se recyclent aussi 

 

Identifier les « bonnes pratiques »

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Les faux verres sont envoyés à l’entreprise de traitement de déchets Reviplast ©Pixabay

Or, selon elle, il faut aller plus loin. En supprimant les verres de présentation, par exemple ? Carole secoue la tête. « Cela ne peut se décider du jour au lendemain. La mesure serait contre-productive… » Pour autant, il est nécessaire d’accompagner les professionnels dans leur transition, de les aider à « réduire leur consommation de déchets ». Une action de longue haleine qui nécessite de comprendre la position – et les arguments – des uns et des autres. L’asso dont elle est à l’origine vise ainsi à mettre en place prochainement « des groupes de travail » pour identifier des « bonnes pratiques ». Comprendre ce qui peut être effectué, ou pas.

Carole Riehl ne peut encore donner d’idées d’alternatives concrètes, de plans B. Pour autant, les discussions s’engagent, y compris de manière informelle, entre les acteurs. Nous l’interrogeons sur des options envisageables. Est-il possible de présenter les montures sans rien ? « Même si certains, minoritaires, ont sauté le pas, pour des raisons écologiques évidentes, ce n’est pas forcément possible de généraliser à l’ensemble des produits. Et puis, glisse-t-elle, tant les vendeurs que les citoyens sont habitués à ce verre temporaire. Il faut du temps pour faire évoluer les mentalités… » Du carton pour le transport ou du scotch pourraient-ils faire l’affaire, par exemple, à la place du verre en plastique ? « Cela générerait un autre type de déchets », balaye-t-elle, après avoir pris connaissance d’une pétition, sur Change.org, émanant d’une jeune citoyenne, favorable à ce qu’une solution soit trouvée pour que cesse « la surconsommation de plastique ».

 

« Comme une extra-terrestre »

Les déchets plastiques des opticiens dans le viseur 3En tout cas, Carole semble y croire, à la bifurcation du secteur, elle qui s’est rendu compte depuis plusieurs années de l’urgence climatique. En 2014, elle a créé le blog « Les lunettes écologiques », pour valoriser les produits écoresponsables. Même si elle parvient à fédérer certains acteurs à la cause qui lui tient à cœur, elle se sent alors « comme une extra-terrestre ».

Or, la prise de conscience des enjeux finit par s’accélérer. Et, plus tard, pour que ses confrères et ses consœurs se mobilisent davantage, elle crée le label Optic For Good, qui l’emploie aujourd’hui. Une mission qui la pousse à récompenser les acteurs proposant des biens fabriqués « avec conscience ». Tant au niveau de la provenance des montures et des verres que de la gestion de la fin de vie des biens. Sans oublier éthique et gouvernance, en particulier.

 

« Uniformiser la matière »

Pousser le secteur à « progresser », jamais lâcher. Avec son association, Carole Riehl mène actuellement une étude de recyclabilité du verre de présentation. Objectif : y voir plus clair. En somme, savoir s’il est possible de « créer une véritable économie circulaire ». Et donc de transformer le verre de présentation en une matière visant à concevoir, par exemple, des étuis à lunettes… La boucle serait bouclée !

« Pour l’heure, souligne-t-elle néanmoins, nous avons constaté qu’il y avait, sur ces verres, des traitements tels que de l’anti-reflet ou du traitement hydrophobe. Or, analyse-t-elle, cela pourrait nous empêcher de recycler correctement ces verres en vue de créer une nouvelle matière, viable, durable. » Mais alors, que faire ? Pas de doute, il faudra inciter les fabricants à « uniformiser l’élément » afin qu’il soit « exploitable » à terme. Sans quoi « le secteur continuera de polluer » … ♦

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L’idéal serait de transformer le verre de présentation en une matière visant à concevoir, par exemple, des étuis à lunettes ©Pixabay

 

Bonus

Les lunettes cassées et inutilisées. L’association se mobilise également sur cet enjeu. Comme les portables, beaucoup sont abandonnées dans les placards et les tiroirs. RecyclOptics propose à ses adhérents d’en récupérer (sachant que certains acteurs en collectent dans leurs boutiques). Les vieilles paires sont ensuite « dépiautées » par l’Esat des Ateliers de l’Ermitage à Dourdan, en région parisienne. « Pour l’heure, elles sont toutes stockées. Nous attendons d’en avoir plus. Cela nous donnera l’opportunité de nous rendre compte de ce que cela peut représenter réellement et des problématiques qui se dessinent… »