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« Les entreprises s’engagent, c’est un levier pour le recrutement »

Par Philippe Lesaffre, le 2 mars 2022

Journaliste

Le numérique, responsable de 2% à 4% des émissions de gaz à effet de serre sur la planète @ Unsplash

La prise de conscience à propos du changement climatique progresse, y compris chez les acteurs économiques. Des organisations entament leur transition, se dotent de raison d’être, se trouvent des objectifs à visée environnementale ou sociétale, dans le but de se métamorphoser en sociétés à mission, voire en permaentreprises. C’est la voie qu’emprunte le cabinet de conseil Nuageo.

 

Depuis 2019 et la loi Pacte, les entreprises volontaires peuvent formuler une raison d’être visant à formaliser leur contribution à la société. Que ce soit en matière sociale, sociétale ou environnementale. Selon l’Observatoire des sociétés à mission, il y en a à ce jour 510. Elles ne sont encore qu’une infime minorité dans le paysage. Seulement, le chiffre semble en constante évolution, à mesure que la prise de conscience de l’urgence écologique progresse du côté des citoyens. La société Nuageo, un cabinet de conseil en transformation numérique, lancée en 2014 pour des entreprises de toute taille (hors secteur public), vient tout juste d’être reconnue comme telle. « C’est une reconnaissance des efforts fournis ces derniers temps », nous explique Antoine Jacquier, l’un des cofondateurs de l’entreprise en pleine transformation.

« Les entreprises s'engagent, c'est un levier pour le recrutement » 2
Antoine Jacquier, cofondateur de Nuageo @DR

Il nous raconte d’où vient son désir d’engagement. « Depuis plusieurs années, j’ai une conscience écologique et je m’interroge sur le rôle des entreprises ». En particulier dans le domaine du numérique, qui est responsable de 2% à 4% des émissions de gaz à effet de serre sur la planète. Soit davantage que… le transport aérien, selon différentes études. « À un moment, je me suis même demandé s’il n’était pas préférable de changer de secteur, tant celui-ci est source de pollutions », glisse-t-il. Au final, Antoine Jacquier n’a pas changé de voie. En revanche, il a tâché de « rassembler, comme il dit, (ses) convictions au service du métier et (de) trouver du sens dans (son) activité ».

 

Prendre soin de la planète et des humains

Une fois que la loi Pacte a été mise en œuvre, sa société s’est demandé comment elle pouvait « progresser avec humilité, c’est-à-dire en gardant à l’esprit l’impact important du numérique dans le changement climatique ». Sensible à la philosophie de la permaculture, le fondateur de Nuageo, membre du Centre des jeunes dirigeants, est tombé sur le livre de Sylvain Breuzard, La permaentreprise. « Le message et la méthode qu’il porte ont résonné en moi », dit-il. Le fondateur de la société Norsys explique dans son ouvrage comment une organisation peut appliquer les préceptes de la permaculture au monde de l’entreprise. Comment au final elle peut préserver la planète, se fixer des limites et redistribuer les surplus, sans oublier de prendre soin des humains. En d’autres termes, explique Antoine Jacquier, faire en sorte que « les collaborateurs se sentent bien dans leurs baskets ».

Toutes et tous, dans ce cabinet de conseil, passent beaucoup de temps sur le terrain, chez les clients. Alors, ils ont choisi de se retrouver chaque vendredi au bureau pour échanger. « On essaie d’être attentifs au-bien-être de chacun », dit-il.

 

 

Formuler la raison d’être de l’entreprise

Au cours des dernières semaines, ces entrevues ont permis à l’équipe de réfléchir à la formulation de sa raison d’être ou de son « ikigaï », comme il dit. L’objectif, pour l’entreprise, est double. D’abord, réduire ses propres impacts. Par exemple, en réduisant les achats de produits neufs comme les ordinateurs, souvent remplacés alors qu’ils marchent encore ou pourraient être – parfois – réparés. On lui pose la question. Il sourit : « Le mien a dix ans, et cela me suffit amplement. » En moyenne, les ordinateurs des collaborateurs ont cinq ans, soit plus que ce qui est observé sur le marché.

 

Un numérique plus soutenable

« Les entreprises s'engagent, c'est un levier pour le recrutement » 3
Nuageo aide régulièrement des personnes âgées ou isolées à utiliser le numérique dans leurs démarches administratives @DR

Mais cela va plus loin pour l’entreprise, car il y a cette volonté, d’après la raison d’être*, de « promouvoir un numérique plus soutenable », par ailleurs. « Nuageo accompagne les entreprises dans leur utilisation des services numériques et les projets de transformation de numérique responsable. L’aide au choix de fournisseurs qui ont une démarche responsable en limitant leur impact écologique fait partie de nos prestations. »

Pour Antoine Jacquier, chacun, à son niveau, peut participer à un projet de réduction de l’impact écologique du numérique. Tant les collaborateurs via leur usage que la direction des systèmes d’information, ou l’équipe marketing et sa volonté de digitaliser tel ou tel produit…  Lui le remarque : « Les personnes ont besoin d’informations pour qu’il y ait une véritable prise de conscience. Certains ne s’interrogent même pas sur comment ont été conçus les ordinateurs… » Et d’illustrer son propos en mentionnant ce groupe que sa société a accompagné : « Il avait eu comme volonté de réduire son empreinte dans ses usines. Mais il avait… oublié le volet numérique ! »

 

Des collaborateurs fresqueurs

Dans leur temps de travail, les collaborateurs, toujours dans cette quête d’incarner la « mission » de Nuageo, organisent – gratuitement – des fresques du numérique (liées aux fresques du climat)*. À cette occasion, ils invitent souvent des clients, pour sensibiliser, échanger sur le sujet. « On est souvent chez les clients, et ils voient qu’on sort par exemple des gourdes pour s’hydrater. C’est un petit geste, mais, de là, peuvent naître des discussions au sujet des initiatives entreprises ici ou là. Parfois, certains nous disent que rien n’est fait » dans les entreprises.

 

 

En guerre contre l’illectronisme

Pourtant, elles ont tout intérêt à s’y mettre. Il l’admet, le mouvement est enclenché : « Les entreprises bougent, et c’est un levier pour le recrutement, car les gens veulent que les employeurs s’engagent vraiment et qu’il y ait du sens. Depuis la pandémie, les personnes se posent de nombreuses questions. »

Au-delà de la sensibilisation, Nuageo vise à défendre des causes, comme la lutte contre l’illectronisme, soit l’inhabilité numérique. Mais comment une compagnie peut-elle faire face à la fracture numérique et – même – à « la marginalisation d’une frange de la population, qui n’a pas accès la connaissance ou à une connexion de qualité, puisque située en zone blanche » ?

 

Des conseils comme des cafés suspendus

Le cabinet de conseil a trouvé la voie, et des actions sont menées régulièrement (dans la mesure du possible en raison de la pandémie). En particulier pour aider des personnes âgées ou isolées à utiliser le numérique dans leurs démarches administratives. Il est également question d’accompagner des associations via un mécénat de compétence. Mais aussi des entreprises qui n’ont pas forcément les moyens de mener à bien leur transformation digitale. « Ce sont des conseils fonctionnant sur le principe du café suspendu… », soutient Antoine.

La raison d’être de l’organisation* rappelle justement sa volonté de… « contribuer à une société libre et inclusive » … ♦

 

Bonus
  • Entreprises à mission. Depuis la loi Pacte, une société à mission peut se donner un objectif, une raison d’être désignant un engagement environnemental, social, sociétal. Un observatoire est chargé de les référencer.

 

  • La raison d’être de Nuageo. « Guider les êtres humains vers des usages numériques soutenables à impacts positifs, pour contribuer à une société libre et inclusive. »

 

  • La Fresque du numérique; Le jeu reprend la pédagogie de la Fresque du climat, c’est un atelier ludique et collaboratif pour former les participants aux enjeux environnementaux du numérique.