Fermer

Mangez des fleurs !

Par Marie Le Marois, le 8 septembre 2020

Journaliste

Loin d’être les potiches de l’assiette, les fleurs comestibles contiennent d’innombrables qualités gustatives et nutritives dans leurs pétales. Avec leur cueillette sauvage dans les collines, Caroline et Camille de Bigoud’ ont converti les chefs marseillais !

 

À peine rentrées de leur cueillette à Aubagne, Caroline et Camille m’ouvrent leurs boîtes à trésor. Des centaines de fleurs et herbes sauvages jaunes, orangées, violettes, rangées par variétés. Elles m’invitent à déguster la Criste Marine, plante croquante et agréablement iodée ; l’Oxalis, appelée aussi ‘’petite oseille sauvage’’, délicieusement acidulée ; le bégonia aux notes de groseille et la bourrache, de concombre.

Cueillies en bord de mer, en pleine ville ou dans la cambrousse, ces belles ont l’énorme qualité d’être un concentré nutritif (minéraux, vitamines…), bien plus que nos fruits et légumes en culture traditionnelle. Ces plantes, qui poussent sans aide de l’homme, puisent dans la terre les nutriments dont elles ont besoin. Ce qui augmente leurs vertus et leur puissance. Variées – les Bigoud’ en cueillent plus de 300 différentes -, elles offrent un large éventail de saveurs.

 

D’innombrables terrains de jeux
Les fleurs sauvages de Bigoud’ 3
Caroline et Camille de retour de cueillette

Les fleurs sont ramassées à Aubagne, Hyères ou au Rove, trois lieux intéressants pour leur relief, terrain et climat différents. « Les plantes sont plus coriaces au Rove, plus tendres dans le Var », détaille Caroline qui explique qu’au printemps, elles cueillent à Aubagne et au Rove avant que les fleurs ne grillent.

L’été, les baroudeuses remontent la fraîcheur de l’Huveaune, entre Roquevaire et Saint-Zacharie, pour trouver sureau, muflier, alliaire, fleurs d’ail. Et en septembre, elles filent à Hyères, plus vert qu’à Marseille.

Rien ne leur échappe, ni creux, ni monticule. « Le nombril de Vénus, par exemple, grossit sur les murets, orientés Nord ». Camille abonde : « avec l’expérience, on a une autre lecture du paysage : le talus moche va s’avérer super intéressant ». Même les terrains en friche, pleins de gravats, sont riches.

Bien sûr, les deux trentenaires perçoivent ce que nous ne voyons pas : d’innombrables plantes aux qualités gustatives qui pullulent sous nos yeux, tels mûrier-platane, roquette et fleur de fenouil. « Il y a tellement de choix de plantes comestibles dans la nature, c’est extraordinaire », lâche Caroline, toujours aussi émerveillée après quatre ans de Bigoud’.

 

Fille de la mer et fille de la campagne

Caroline a découvert les bienfaits de la nature à 19 ans en créant et entretenant un jardin potager autonome, lors d’un service civique chez Emmaüs, en Ariège, « j’ai aimé cette expérience, créatrice de lien ». Cette fille de la mer, qui a grandi sur la presqu’île de Giens ,« un bon spot à salicornes », se destinait à des études d’océanologie à Marseille avant de se raviser : elle veut cultiver basilic et tomates cerises en ville. En 2015, elle lance son association Bigoud’ et aménage une grande parcelle maraîchère au sein de l’immense parc d’un Ephad marseillais.

Camille, elle, vient de la campagne, d’une famille « plutôt de jardiniers ». Elle étudie les Beaux-Arts à Toulouse, avant de bifurquer vers un CAP cuisine. Alors qu’elle officie dans un restau semi-gastronomique, elle file en Belgique peaufiner ses connaissances auprès du MAP (Mouvement d’Action Paysanne). Elle y découvre l’autosuffisance, les plantes sauvages, leurs vertus comestibles et médicinales.

 

Rencontre via les petites annonces

Les fleurs sauvages de Bigoud’ 1Leur rencontre se produit en 2017, deux ans après la création de Bigoud’. Caroline dépose des annonces tous azimuts en quête d’un partenaire pour l’aider à cultiver. Camille, qui cherche un boulot en plein air, tombe sur son annonce, d’abord sur le réseau solidaire Libre Chemin – qui recueille les initiatives vertes sur Marseille, puis dans un supermarché bio. Elle fonce.

Les deux jeunes femmes cultivent plantes aromatiques, tomates en tout genre, moutarde japonaise… et livrent les restaurants jusqu’au jour où elles sont à sec. Toute la production a été distribuée. « On leur a alors proposé un mesclun avec de l’épinard sauvage et d’autres mauvaises herbes de notre jardin. Invendables mais qu’on mangeait, nous, à déjeuner. Les mauvaises herbes sont devenues finalement les herbes préférées des chefs. Petit à petit, on a ramassé de plus en plus de plantes sauvages dans notre jardin, puis un peu plus loin, jusqu’à arpenter les collines ».

 

Un Bigoud’ social et rentable

Ces téméraires, claires dans leur tête et bien ancrées dans la terre, sont raccords sur leur objectif : un Bigoud’ social qui « propose un nouveau regard sur ce qui existe dans la nature, même en ville, et dans l’assiette ». Mais aussi un Bigoud’ productif et rentable. « Et ça l’est », insiste Caroline.

Même philosophie de l’environnement également : elles ne cueillent pas n’importe quoi n’importe comment. « Tu n’arraches pas les fleurs, tu les coupes proprement. Tu en laisses toujours un tiers dans le périmètre pour qu’elles puissent se reproduire. Tu ne ramasses pas dans les Parcs Naturels et ne touches pas les espèces protégées ».

 

Les chefs accros

Les fleurs sauvages de Bigoud’ 4La cueillette se déroule deux à trois fois par semaine, souvent en compagnie de bénévoles, stagiaires, services civiques… Pour éviter que les fleurs ne deviennent toutes flagadas, elles sont cueillies à la fraîche, au petit matin, et aussitôt conservées dans une caisse isotherme puis dans un grand frigo.

Vient ensuite la livraison en vélo aux restaurants. Chez Alexandre Mazzia, bien sûr, chef étoilé féru de fleurs. Mais surtout plein de restaus de centre-ville  de Marseille qui se sont laissés tenter par les pétales colorés et qui ne peuvent plus s’en passer : le bistrot Romy, Limmat, la Cuisine de Gagny… « Ils se rendent compte qu’il y a beaucoup de variétés et donc beaucoup d’arômes différents », souligne Caroline qui ajoute : « on n’est plus dans le phénomène de mode de la fleur un peu veggie, un peu chichi. Elle est un vrai plus ».

 

Saisonnalité hyper-courte

Les fleurs sauvages de Bigoud’Pas facile pourtant d’anticiper un menu avec des fleurs dont la saisonnalité est brève : « la tomate dure environ deux mois et la fleur, 10 jours. À part celle de fenouil qui dure tout l’été, la saison des fleurs est hyper-courte ». Cette donnée oblige les chefs à changer leur carte régulièrement et à faire preuve de créativité.

Pour les aider, Caroline et Camille leur proposent toujours « de l’amer, de l’acide, du piquant et du neutre ». Des fleurs qu’ils peuvent goûter avant de choisir dans les fameuses boîtes à trésor. ♦

* Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

Bonus

  • Bigoud’, c’est aussi des fleurs comestibles cultivées en jardin pour compléter la récolte, surtout l’été. Bigoud’ a démarré avec une parcelle aménagée dans le parc d’un Ephad dans le 9ième à Marseille. « Au début, les résidents ne voulaient pas manger nos fleurs, après ils ne pouvaient plus s’en passer ! », sourit Caroline. Elles accueillent des scolaires, organisent des soirées intergénérationnelles, des dégustations. De l’Ephad, elles ont déménagé derrière un magasin bio mais qui, hélas a fermé avant le confinement. Bigoud’ cherche donc activement un terrain de 200 m2 minimum à Marseille en centre-ville avec comme limites géographiques Pointe Rouge-Sainte Marguerite et Blancarde.

 

  • BIGOUD’ express
    • Des fleurs ramassées dans les collines et bords de mer des Bouches-du-Rhône et du Var
    • une trentaine de bénévoles fidèles et curieux
    • 15 restaurants livrés par semaine + traiteurs événementiels, pâtisseries, bars à cocktails
    • 40 % issues du jardin et 60 % de la cueillette sauvage
    • 36h et + à arpenter les collines par semaine
    • des livraisons ponctuelles aux particuliers (dès 10 euros pour une centaine de fleurs). Tél. : 06 52 32 46 28.