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Les Gilets roses, les nouvelles médiatrices des quartiers

Par Agathe Beaudouin, le 14 novembre 2022

Journaliste

À Nîmes, les mères du quartier de Valdegour se mobilisent pour l'avenir de leurs jeunes © AB

À Nîmes, inspirées par une initiative née à Corbeil-Essonnes, des mamans ont créé un collectif de Gilets roses pour tenter de « faire tomber les barrières ». Elles veulent jouer le rôle de médiatrices, notamment avec les jeunes de leur quartier.

Il n’y a pas à dire, leur quartier, elles le connaissent sur le bout des doigts. De la crèche aux lycées, les écoles et les collèges, les commerces, « ceux qui ouvrent et ceux qui ferment », « les horaires des bus », les associations « qui nous aident »« On vit toutes ici. On connaît aussi les familles et leurs problèmes », affirment en chœur Stéphanie Otsmane et Leila Laaraj, deux habitantes de Valdegour, à Nîmes.

 

À l’origine : un banquet républicain

Depuis septembre, dans ce quartier prioritaire de la préfecture gardoise, un groupe de femmes a décidé d’agir. Elles sont une vingtaine à avoir rejoint l’aventure, débutée en plein cœur de l’été. « Le 14 juillet, nous avons fait pour la première fois un banquet républicain, avec une paella. Et nous avons tous chanté La Marseillaise, cela ne s’était jamais produit », se souvient Stéphanie Otsmane. « On a senti qu’on pouvait peut-être faire bouger les choses, ça nous a motivé », reprend Jamila Saber.

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Ces femmes, âgées de 30 à plus de 60 ans, se montrent désabusées mais ne perdent pas espoir, au contraire ©AB

Pour cette poignée de Nîmoises dynamiques et déterminées, il est temps de créer le collectif « Gilets roses ». Ce projet qu’elles ont en tête depuis plusieurs années s’inspire d’un mouvement né en 2019 dans la cité des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes (91). Après plusieurs nuits d’émeutes, des mamans avaient décidé de se revêtir de chasubles roses fluorescentes pour intervenir dans leur cité et apaiser les esprits. Depuis, cette initiative s’est étendue à d’autres banlieues du pays. On en compte une centaine en France. En 2021, Nadia Hai, alors ministre déléguée à la Ville sous le gouvernement de Jean Castex, a créé un fonds pour soutenir cette démarche, doté de 2 millions d’euros.

 

Rien ne change ici

À Nîmes, l’action des mères de familles de Corbeil-Essonnes n’est pas passée inaperçue. « Nous avions envisagé d’aller les rencontrer sur place, confient les mamans de Valdegour, mais le Covid est passé par là. » Le projet reste alors lui aussi confiné. Entre temps, plusieurs faits divers marquent le quartier. Des fusillades qui se répètent, un feu qui se déclenche dans une école de la cité voisine, des bus caillassés.

S’ensuivent trois épisodes électoraux (les Départementales en 2021, les Présidentielles et les législatives en 2022). « On rencontre des candidats, ils viennent sur le marché, ils font des promesses, mais ensuite, rien ne change ici », constate Stéphanie Otsmane. Farida, une maman, complète : « La vie est dure ici. Les cages d’escalier sont tout le temps sales, les appartements devraient être refaits, le chauffage marche mal. On vit dans des conditions vraiment difficiles. Est-ce normal ? »

De quoi susciter un sentiment d’injustice pour les familles du quartier. Ces femmes, âgées de 30 à plus de 60 ans, se montrent « désabusées » mais ne perdent pas espoir, au contraire : « On a compris que si on ne bouge pas, rien ne se fera. Ça fait trop longtemps qu’on voit notre quartier s’appauvrir, les médecins partir, les collèges fermer, les magasins disparaître », abonde Leila Laaraj. Cette dernière se bat par ailleurs, depuis des années, contre l’échec scolaire des jeunes des banlieues.

 

30 000 euros pour se lancer

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Chloé Demeulenaere, secrétaire générale adjointe de la préfecture du Gard chargée de la politique de la ville a octroyé une enveloppe de 30 000 euros aux Gilets Roses ©AB

Pour concrétiser leur projet, les protagonistes ont souhaité se tester. Vérifier si elles partageaient les mêmes visions, et surtout si elles défendaient les mêmes objectifs. Ensemble, elles sont parties cet été pour un séjour à Paris, afin de mieux se connaître. À leur retour, le collectif Gilets Roses prenait concrètement vie. « Seule, on s’épuise. L’idée, c’est d’être regroupées et reconnues par tout le monde », explique Stéphanie Otsmane.

À Nîmes, les Gilets roses ont aussi pu voir le jour avec l’appui de Chloé Demeulenaere, secrétaire générale adjointe de la préfecture du Gard, chargée de la politique de la ville, qui leur a octroyé une enveloppe de 30 000 euros. Mais le groupe l’assure : pas question d’être « politiquement récupérées ». Les nouvelles médiatrices de Valdegour veulent avant tout agir pour leur quartier. Jamila Saber le répète « Notre force, c’est d’être d’ici. On est connues et on connaît tout le monde, même les jeunes. C’est plus facile pour nous d’aller leur parler. »

 

« Priorité à la réussite scolaire »

Le 11 octobre, elles ont débuté une formation (sur quatre jours) afin d’apprendre à aborder les gens dans la rue, savoir désamorcer des tensions, et surtout se fixer des objectifs réalistes… Réda Didi, de l’association Graines de France, suit huit collectifs similaires en France. Il les accompagne et les aide « à se structurer »« Vous devez commencer par connaître vos compétences et déterminer des objectifs accessibles », précise-t-il. Le conseiller leur recommande d’organiser une exposition sur le vivre-ensemble pour commencer.

Mais les Gilets roses de Nîmes voudraient, pêle-mêle, « faire des maraudes dans les bus pour maintenir le calme », « aller à la rencontre des jeunes qui traînent le soir », « pouvoir apporter des solutions aux collégiens qui ne vont plus en cours », « intervenir dans certaines situations conflictuelles. » Les femmes le concèdent assez facilement : « Nous avons besoin de savoir écouter les autres sans juger. Mais il faut être bien informé pour donner de bons conseils aux jeunes, ou pour les orienter vers des structures qui pourront les aider. On risque parfois de s’attaquer à des jeunes qui n’ont pas du tout envie de nous parler. »

En devenant les nouvelles médiatrices, les Gilets roses de Valdegour espèrent « faire tomber les barrières » et aller à l’encontre des préjugés, encore trop nombreux selon elles. Trop de jeunes, mêmes diplômés, restent à la porte des entreprises. « Notre priorité, c’est la réussite scolaire de nos enfants. Au collège, ils décrochent à 13 ans. Ce n’est pas normal. Et même quand ils réussissent, c’est toujours difficile. Nos enfants avec master ne trouvent même pas de stages non rémunérés », constate Leila Laaraj.

Les premières actions des Gilets roses devraient prendre formes avant la fin de l’année 2022. Pour le moment, ce collectif 100% féminin a su fédérer même à l’extérieur de Valdegour. Farida Mamine, qui a vécu pendant plus de vingt ans dans une tour du quartier et qui vient de déménager dans le centre-ville de Nîmes, a elle aussi décidé de s’investir dans l’aventure. ♦