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Les matériaux déjà utilisés valent mieux que le rebut !

Par Zoé Charef, le 4 octobre 2022

Journaliste

Carton, plexi, plastique, toile de plafond tendue, polystyrène, ampoules, chutes de surblouses médicales, aiguilles à coudre : une véritable caverne d'Ali Baba !

Bois, tissu, métal ou encore carrelage, L’Art et la Matière récupère ces matériaux ayant déjà servi avant qu’ils ne finissent à la décharge. L’objectif est de les revendre, à petits prix, à des créatifs de tout poil, afin de valoriser le recyclage. Rencontre au siège de l’association, à Mulhouse, en Alsace.

C’est dans les anciennes filatures DMC, dans les faubourgs mulhousiens, que L’Art et la Matière a posé ses valises. Une fois franchie la porte d’entrée de ce hangar d’une dizaine de mètres de haut et de plus de 100 m², on tombe sur un jeu d’échecs géant tout droit sorti de l’imagination d’Estelle, une bénévole de l’association. Cet échiquier « récup » a été réalisé avec d’anciens pieds d’abat-jours donnés par centaines il y a plusieurs années et du matériel de récupération. Ici, une multitude de matériaux sont disponibles, bien rangés par famille sur les grandes étagères.

 

Un engagement fort des bénévoles

Les matériaux déjà utilisés valent mieux que le rebut !
Arnaud et Alexandra, bénévoles de l’association, entourés des nombreux matériaux disponibles à la vente. © Zoé Charef

Dans la salle de pause, sur fond de radio FIP, Alexandra, l’une des quatre bénévoles permanents, revient sur la naissance de L’Art et la Matière. « C’était en 2016, à l’initiative de Thibaut Lemoine. C’est lui qui a monté l’association, avec l’idée d’éviter le gaspillage des matériaux et de permettre à d’autres de créer à moindre coût. Depuis, il suit l’association de loin et développe d’autres projets. »

Elle-même est arrivée un an après. « J’ai suivi la création de l’association de loin, puis je l’ai rejointe petit à petit. D’abord en tant que consommatrice parce que je suis artiste à motoco*. Puis j’ai très vite été bénévole… et je ne suis plus jamais repartie », sourit-elle. Selon elle, sur la dizaine de bénévoles, les plus engagés sont ceux qui « se sont vraiment fait chopper par le lieu. »

Arnaud, lui, se souvient être venu acheter « un truc pour de la menuiserie perso, un jour, il y a un an ». Et n’en être jamais reparti non plus ! Sans emploi, il s’est depuis consacré à l’association, en particulier au bois. Avec le tissu, ce sont les deux familles de matériaux que L’Art et la Matière collecte et revend le mieux.

 

♦ Lire aussi : La Réserve des Arts, première ressourcerie culturelle en France

 

Chaque matériau a son histoire

Avec L'Art et la Matière, les matériaux déjà utilisés ne vont pas au rebut
Le coin mercerie de L’Art et la Matière. © Zoé Charef

Dans le magasin, il y a aussi du carton, du plexi, du plastique ou encore de la toile de plafond tendue. « C’est très spécifique, mais ça a des usages autres que le tissu, et ça peut facilement être détourné », justifie Alexandra. Entre le polystyrène et les ampoules, des chutes de surblouses médicales occupent un bac : « elles avaient été confectionnées pendant le covid ! »

En faisant le tour des différents stands, on aperçoit également de la petite mercerie. La bénévole raconte : « On a eu un gros arrivage d’aiguilles à coudre récemment, ce qui est rare. On met tout ça à disposition, à côté des bobines de fil et des échantillons de tissus qu’on nous a donnés.»

Ces échantillons plaisent beaucoup à Brigitte, qui est à la recherche de tissus pour sa fille : « Ça me rappelle mon enfance, on trouvait les mêmes dans les poubelles près de chez ma grand-mère ! », se remémore-t-elle. Elle vient régulièrement ici déposer et acheter du tissu ou du carton, et « tombe souvent sur des pépites. Il ne faut pas venir ici avec des idées précises, mais plutôt être ouverts à la création. » C’est effectivement ce qu’Alexandra et Arnaud soulignent : « Il faut regarder, improviser, puis créer. »

 

Le point clé : être créatif

Avec L'Art et la Matière, les matériaux déjà utilisés ne vont pas au rebut 3
Le coin métal … derrière les rouleaux de papier carton. © Zoé Charef

Sur le site internet de L’Art et la Matière, on peut lire « Créatifs, bricoleurs, associations, éducateurs : trouvez vos matériaux à réemployer à Mulhouse. » Si les dons proviennent principalement d’entreprises ou de magasins qui ferment, les achats peuvent en revanche être effectués par tous. Des artistes, des instituteurs, des étudiants, « et de plus en plus de centres sociaux », précise Alexandra. « Au départ, il y avait une incompréhension du public : beaucoup pensaient que ce n’était destiné qu’aux “vrais artistes”. Mais nous nous adressons aux créatifs dans leur ensemble ! À tous ceux qui ont besoin de fournitures pour concevoir quelque chose. Ça va des étudiants en art aux petites mamies qui font du patchwork », s’en amuse gentiment Alexandra. Et Arnaud d’ajouter : « On a aussi reçu un type qui faisait une douche dans son jardin pour accueillir du monde l’été dernier… ça brasse large. »

Au détour d’un stand, trois étudiantes de la HEAR (Haute École des Arts du Rhin) sont postées devant un bac rempli de tuyaux : « On vient ici parce qu’on aime la dynamique du recyclage. Le fait de pouvoir réutiliser les matériaux plutôt que de les voir partir à la poubelle. Et puis on sait qu’on trouvera de l’inspiration et que les prix seront accessibles. » Elles sont venues « pour un projet de scéno », soit l’organisation de l’espace pour des œuvres artistiques (théâtre, danse, urbanisme…). L’une d’elles, un cadre de lustre en métal dans une main et un tuyau dans l’autre, précise devoir « fabriquer un lustre pour un évènement musical. On va les bomber en argenté, ça va être top », se réjouit-elle.

 

Le bouche-à-oreille, une valeur sûre

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On aperçoit sur la photo l’échiquier géant réalisé par la bénévole Estelle. © Zoé Charef

Si l’association peut proposer une telle diversité de matériaux, c’est parce qu’elle a su se faire connaître auprès d’entreprises et de magasins. Mais également de particuliers qui vident leurs maisons ou finissent des travaux. Alexandra explique avoir quelques fidèles, comme cette architecte d’intérieur et ce carreleur qui apportent systématiquement leurs fins de chantier à l’association.

Arnaud s’est fait la remarque que l’initiative vient souvent d’un ou une salariée de l’entreprise : « c’est rarement la direction qui a une démarche écologique. C’est pourtant un choix intéressant pour les sociétés, parce que jeter ces matériaux à la déchetterie a un coût ! »

Le bouche-à-oreille « est quand même assez dingue », commente Alexandra. Surtout avec le manque drastique de temps que les bénévoles permanents déplorent. Ils sont d’ailleurs activement à la recherche de leur premier salarié, « parce que nous avons conscience que ça fera sûrement évoluer l’activité », ajoute Arnaud.

 

Travailler avec d’autres associations

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L’espace bois, fraichement rangé. © Zoé Charef

Le lieu est ouvert aux acheteurs tous les vendredis. Le reste du temps est dédié à la collecte, au tri et au rangement. Malgré leur vocation de réduction de la production des déchets, aide aux créateurs et soutien dans les projets créatifs économes et locaux, les bénévoles ne peuvent pas garder tous les dons. Entre une corde de trois kilomètres à dérouler, « un joli tissu en coton mais avec de la colle par endroits », des meubles cassés… il faut faire des choix. « Trouver où ranger tous ces dons, et mettre un prix. » Et pour Alexandra comme pour Arnaud, c’est une tâche compliquée : « selon le matériau et son état, on décide d’un prix au poids ou d’un prix fixe. Estimer, c’est super dur à faire. »

« Il faut qu’on fasse attention à se concentrer sur les matériaux uniquement, rappelle Alexandra, mais on fait quand même quelques exceptions. Et les objets qu’on nous donne et qu’on ne peut pas garder ici seront cédés à La Cité du Réemploi*. On est allé leur rendre visite il y a quelques mois et on a décidé de collaborer. En contrepartie, ils nous enverront les matériaux qu’ils trouveront lors de leurs sessions de tri en déchetterie. » La Cité du Réemploi évolue en effet dans le même secteur d’activité que L’Art et la Matière. « Juste pas sur les mêmes objets. Donc nous sommes complémentaires », positive Arnaud.

 

Une curiosité, enfin. À côté d’une vingtaine de sièges de cinéma qui attendent preneur se trouvent canapés pour enfants, ancien sèche-cheveux sur pied, tapis et mobilier des années 70. « Ce sont les meubles forts, qu’on n’a pas forcément envie de vendre et qui peuvent servir pour de la scéno », commente Alexandra tout en imaginant déjà ses prochains projets artistiques. Les bénévoles ont donc mis en place un système de location pour des événements. Une compagnie de théâtre est déjà sur le coup, de même qu’une paroisse mulhousienne, pour un spectacle. Arnaud conclut, ravi de cette nouveauté : « la location nous assure de la publicité parce qu’elle nous permet de sortir d’ici. De montrer ce qu’on fait, ce qu’on a. » ♦

 

* motoco (MOre TO COme). Ce lieu de production artistique mulhousien réunit, sur le site désaffecté des anciennes filatures DMC, dans un bâtiment voisin à L’Art et la Matière, des ateliers d’artistes. Ils y créent et y organisent des événements culturels.

** la Cité du Réemploi. Espace mulhousien qui regroupe recyclerie, magasins spécialisés “réutilisation”, électroménager et textiles. Ainsi que des ateliers participatifs.