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Les Terrasses Solidaires ancrent l’hospitalité du Briançonnais. Mais…

Par Nathania Cahen, le 29 octobre 2021

Journaliste

C'est une première en Europe : des citoyens, rejoints par des fondations et des associations, ont acheté un bâtiment pour en faire un lieu d'accueil des migrants @DR

Dans le Briançonnais, une mobilisation citoyenne inédite a permis d’acquérir un ancien sanatorium pour en faire un tiers lieu dédié à l’inclusion et à l’hospitalité : Les Terrasses Solidaires. Un endroit qui accueillera prochainement des activités et services répondant aux besoins de la population locale. Mais qui d’ores et déjà accueille les familles et jeunes gens de passage dans ces montagnes. Pour autant, il n’a pas vocation à se substituer à l’État et à ses devoirs envers les migrants. Dans l’incapacité de gérer toutes les arrivées, il vient de fermer provisoirement ses portes.

 

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L’église Sainte-Catherine de Briançon accueille provisoirement les migrants @DR

L’accueil est fermé depuis quelques jours car l’équipe ne peut faire face à l’afflux de migrants. Les Terrasses Solidaires offrent 50 places, jusqu’à 81 en installant des lits dans la salle à manger. « Que fait-on à partir de la 82e personne ? Bien sûr, on peut aller jusqu’à 200 au mépris de la sécurité et de la dignité ! », gronde Jean Gaboriau, guide de haute montagne et administrateur bénévole de Refuges Solidaires. De 20 à 60 migrants arrivent presque chaque jour par les cols de L’Échelle ou de Montgenèvre. En attendant une réponse, et surtout une action des pouvoirs publics, c’est à la gare et dans l’église Sainte-Catherine qu’ils se massent. Dès que des solutions permettront aux migrants de poursuite leur voyage (moyens de transport et billets accessibles sans carte bancaire), le Refuge rouvrira. En attendant, la solidarité ne se dément pas : les dons en nourriture, vêtements et couvertures affluent.

Pour un accueil digne

Initié par l’association briançonnaise Refuges Solidaires (dont les 150 bénévoles ont accueilli 13 000 migrants et réfugiés depuis 2017), le projet Terrasses Solidaires est né de la volonté de repenser l’hospitalité. Pour accueillir dignement des personnes du territoire ou venues d’ailleurs – issues de l’exil, travailleurs précaires, saisonniers ou touristes solidaires… Leur offrir une halte de un à trois jours grand maximum. L’état d’esprit de cette communauté impressionne Cécile Malo, déléguée générale de la Fondation de France Méditerranée : « J’ai une grande admiration pour tous. Cette mobilisation fraternelle est exceptionnelle, notamment parce qu’elle dépasse toutes les considérations professionnelles, religieuses, sociales, politiques… ».

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Les Terrasses Solidaires, un ancien sanatorium à Briançon @DR

Le pôle hospitalité est en place depuis le 25 août 2021, avec l’installation de Refuges Solidaires, l’association EKO!, Médecins du Monde, Tous Migrants. Le second volet répondra aux besoins de la population locale avec l’accueil d’activités et de services. Il se construit peu à peu, avec des acteurs de l’économie sociale, solidaire et écologique.

Il permettra à terme d’agréger à l’accueil d’urgence et aux activités médicales (« aller-vers », consultations, projet de maison de santé pluridisciplinaire…) des activités économiques (location d’espaces de travail ou d’ateliers de confection), culturelles (résidences d’artistes) et écologiques (makerspaces, formations low-tech). « Notre vision ? Passer d’un état de crise migratoire et d’accueil d’urgence à un projet de développement territorial bénéfique à tous ! », résume Philippe Wyon, autre administrateur de Refuges Solidaires.

 

Un financement innovant : levée de fonds locale et apports nationaux

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13 000 migrants et réfugiés accueillis depuis 2017 @DR

C’est sans doute la première fois en Europe que des citoyens, rejoints par des fondations et des associations, achètent un bâtiment pour le consacrer à la solidarité et à l’hospitalité. Pour l’achat du foncier, le Fonds de dotation RIACE France, la Fondation ARCEAL et un investisseur privé ont apporté plus de 60%. Et quelque 30% du million d’euros nécessaire ont été levés localement, auprès des habitants et des associations soutenant le projet. Les acteurs locaux sont ainsi fortement associés à la propriété et à l’exploitation du tiers lieu.

L’association Les Terrasses Solidaires a retenu un modèle économique s’affranchissant de subventions publiques. Leur création et leur lancement ont notamment reçu le soutien de la Fondation de France (bonus) et d’un groupement d’investisseurs solidaires. Une évidence pour tous : « La Fondation de France s’est engagée dès 2018, pour les aider à structurer leur action, témoigne Cécile Malo. Puis avec le projet des Terrasses, nous avons reconduit notre engagement. Dans plusieurs directions : apport financier bien sûr, mais aussi réseau, conseil, appui méthodologique et même réconfort moral ! »

Par ailleurs, les activités sur place vont se traduire par la création de 2,5 équivalents temps plein, en attendant le transfert d’une dizaine d’emplois en 2022.

 

Avec l’appui des pouvoirs publics ?

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Permettre aux migrants de poursuivre leur route @DR

Cet élan d’énergie exceptionnel demande sans cesse de nouvelles forces et moyens. L’équipe, qui compte de nombreux bénévoles, espère vivement que les institutions du pays y seront sensibles. Et participeront “à éviter que ces hommes, ces femmes et ces enfants ne se retrouvent cet hiver dans les rues de notre ville. »

Ce n’est pas gagné. L’équipe des Terrasses Solidaires a listé une série d’exigences : des tests Covid, une offre de transport adaptée aux personnes et aux besoins, des travailleurs de nuit pour assurer un accueil 24/24 h, d’autres possibilités d’hébergement. « Nous avons été écoutés et entendus, note Jean Gaboriau. Mais tant que nous n’avons que de belles paroles en retour… » ♦

 

*Tempo One, parrain de la rubrique « Solidarité », partage avec vous la lecture de cet article dans son intégralité *

 

Bonus

[pour les abonnés] – Le programme Solidarité Migrants de la Fondation de France – Regards sur l’hospitalité –

  • La Fondation de France et les migrants. Lancé en 2015, le programme « Solidarité Migrants » à soutenir des projets d’aide aux populations en exil, quels que soient leur origine, leur religion ou leur statut juridique. Depuis son lancement, plus d’une centaine de projets ont été soutenus pour accompagner ces populations. Ils favorisant leur intégration dans leur territoire d’accueil : en France, au Liban et en Jordanie. Les projets sont portés par des organisations de la société civile. Plus de détails sur ce programme sur leur site.

 

  • Sur l’hospitalité. Dans la revue Cairn Info, une étude porte sur ce terme et son appréhension. Vincent Villemot, écrivain et ancien rédacteur au journal La Rue y écrit Le Dictionnaire historique de la langue française dit ceci : à l’origine, l’hospitalité n’est pas une qualité, mais un lieu. Les « hospitalités », au 13e siècle, étaient ces établissements religieux qui accueillaient les indigents et les voyageurs (d’où viennent aussi les mots « hospices » et autres « hôpitaux », hospitaliers d’abord parce qu’ils étaient gratuits). Aujourd’hui, les hospices ont disparu, les hôpitaux soignent ceux qui payent la franchise. Les miséreux – on dit SDF – attendent sur le trottoir, en CHU (Centres d’hébergement d’urgence) ou à l’hôtel, qu’une place se libère dans les CHRS (Centres d’hébergement et de réadaptation sociale) et les maisons-relais.

Et l’hospitalité n’est plus un lieu, mais une vertu répertoriée – ce qui ne loge pas son homme. On propose donc de lui créer une nouvelle acception : l’hospitalité doit devenir légiférée, obligatoire et encadrée par décrets ; elle gagnerait en efficacité. »