La violence familiale touche 50 000 enfants par an. Toutefois la prise en charge reste complexe, parfois inexistante. En regroupant sur un même lieu pédiatres, psychologues, assistante sociale et policiers, des structures permettent aux victimes d’être plus vite détectées et mieux suivies : les UAPED. Il en existe actuellement 75 en France. Marseille a son unité depuis septembre, à l’hôpital La Timone.
Au bout d’un long dédale de couloirs, au rez-de-chaussée de l’hôpital Timone Enfants, se cache une unité bien particulière : l’UAPED – Unité d’Accueil Pédiatrique Enfance en Danger. À l’intérieur, point de murs défraichis ou de mobilier froid. Mais de jolies photos de Marseille, des chaises colorées, des jouets et le nom des îles marseillaises sur les portes.
À droite de l’entrée, deux salles se jouxtent. Elles sont dédiées aux services de police et de la gendarmerie saisis par le procureur pour mener une enquête suite à un signalement ou une plainte (bonus). Les victimes sont entendues dans la salle d’audition filmée »Mélanie », une pièce dotée d’un miroir sans tain. De l’autre côté du mur, un policier enregistre la discussion qui sera retranscrite sur PV pour la suite de la procédure judiciaire.
Un tableau noir, des craies, des poupées…
La salle d’enregistrement est aussi austère qu’est chaleureuse celle de l’audition. Dans cette dernière, rien n’est laissé au hasard. Notre guide, Magali Buddua est la secrétaire de l’unité. Elle explique que le tableau noir avec ses craies offre à l’enfant quelques minutes d’évasion avant que l’enquêteur lui pose des questions. La table ronde transparente permet d’échanger avec celui qui voudrait se cacher.
Les poupées avec leurs attributs féminins et masculins sont à l’effigie de la famille complète (y compris les grands-parents). Elles servent de support pour rejouer les scènes vécues. Enfin, les figurines magnétiques avec leur mine triste, en colère ou heureuses, l’aident à partager ses émotions. Il y a d’autres jeux, mais pas trop. Pour « éviter que l’enfant se disperse et se déconcentre ».
♦ Les violences à l’encontre des enfants et des adolescents comprennent, selon l’OMS différents aspects : violences physiques, sexuelles et psychologiques, ainsi que défauts de soins ou négligences (détail bonus).
« Détecter si la brûlure est accidentelle ou pas »
Un peu plus loin, à gauche, après le bureau de l’assistante sociale et de la secrétaire, s’ouvre la salle ‘’Tiboulen’’ dédiée à l’examen pédiatrique. Seules notes de couleurs, un ours en peluche et un coussin jaune. C’est là que la pédiatre ausculte la victime. Pour observer les lésions, les évaluer, les dater. Il s’agit de détecter, par exemple, « si la brûlure est accidentelle ou pas. Pareil pour un bleu », expose le Dr Emmanuelle Bosdure, médecin responsable de l’UAPED La Timone (historique dans bonus).
À côté se trouve la salle ‘’Frioul’’ occupée par les deux psychologues. Jeux et jouets sont classiques, exceptés des Playmobil premier âge et, pour les plus grands, des animaux féroces. Ils servent, encore une fois, de support à l’enfant pour mimer la scène vécue.
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Des victimes de tous âges
Lit-parapluie, transat, hochet renvoient à une réalité glaçante. L’enfance victime n’a pas d’âge. Un bébé de deux mois secoué, brûlé ou en manque de soins essentiels – être nourri et/ou vêtu. Une adolescente de 12 ans ayant assisté pour la énième fois à la violence entre ses parents ou essuyé un coup en voulant s’interposer. Ou un garçon de 8 ans victime d’inceste. Un autre, de parenticide. Depuis l’ouverture du lieu en septembre 2022, 135 patients ont été reçus une à plusieurs fois (200 rendez-vous). Parmi eux, 30% ont subi des violences physiques, 8% sexuelles, 18% conjugales, 16,6% sont victimes de négligences et 25% d’autres.
Les violences faites aux enfants recouvrent un éventail très large avec un point commun : un impact négatif et durable sur la santé physique et psychique de la victime, si elle ne bénéficie pas de prise en charge, rapide et adaptée.
Un seul et même lieu, cocooning et protecteur
Ces situations complexes demandant des évaluations plurielles : pédiatrique, psychologique, sociale et, dans le cas des signalements et plaintes, judiciaire. L’avantage de l’UAPED est que ces évaluations se déroulent toutes au même endroit. Les victimes ne sont plus bringuebalées des services de police ou de gendarmerie à l’UMJ (Unité Médico-Judiciaire), de la PMI chez le médecin de ville, etc. Les évaluations peuvent également s’effectuer en urgence si besoin.
Enfin, le lieu est suffisamment sécurisant, cocooning et protecteur pour libérer la parole de l’enfant souvent inhibée. Ici, « il se sent en confiance », note la pédiatre. « L’intérêt est qu’il puisse se sentir en sécurité et en confiance pour dire ce qu’il a vécu et une seule fois, détaille Laurianne Farrugia, l’assistante sociale. Pour lui éviter des traumatismes supplémentaires en répétant plusieurs fois la souffrance qu’il a vécu et son parcours douloureux à différents professionnels et dans différents lieux parfois inadaptés à l’accueil des enfants ».
♦Dans l’Hexagone, plus de 50 000 enfants et adolescents par an sont victimes de maltraitance. En 2018, une étude a démontré qu’en France un enfant meurt tous les cinq jours, tué par sa propre famille (détails ici).
Signalement éventuel pour les autres enfants
Le deuxième rôle de l’UAPED concerne les enfants qui n’ont pas encore fait l’objet de signalements et, donc, n’ont pas encore emprunté la voie judiciaire. Pour eux, la première porte d’entrée est celle des urgences de l’hôpital – « nous avons environ deux ou trois enfants hospitalisés par semaine pour violences. Et presque autant hospitalisés pour d’autres raisons, mais pour lesquels il y a des allégations de maltraitance », détaille le Dr Bosdure.
La deuxième porte d’accès est ouverte grâce aux professionnels de l’extérieur (médecins ou psychologues de ville, PMI, CMP ou la Maison des femmes Marseille dans le cadre de violences conjugales). Pour ces enfants, « il y a des doutes de maltraitance, des signes cliniques, mais pas francs. Par exemple des bleus ou des brûlures atypiques, dont on ne sait s’ils sont accidentels », souligne la pédiatre qui donne parallèlement des cours à la fac de médecine, dans les PMI, à l’école des infirmières pour repérer et diagnostiquer les lésions.
L’équipe évalue alors l’état de la victime et le danger de la laisser dans sa famille (ou son foyer). Si nécessaire, elle signalera une information préoccupante à la Crip (cellule de recueil des informations préoccupantes) qui, en fonction des éléments, déclenchera une enquête, voire saisira elle-même la justice en cas d’urgence. Mais, rectifie le Dr Bosdure, « les enfants qui passent ici n’ont pas forcément un signalement ». La plupart des évaluations de l’UAPED aboutissent à la mise en place d’une AED (Aide Éducative à Domicile).
Le suivi du parcours de soin
Le dernier rôle de cette structure est d’organiser le parcours de soins de la victime, qu’elle soit en famille ou placée en foyer. Un bébé secoué, par exemple, sera orienté vers un ophtalmologue et un neurochirurgien. L’équipe trouve les professionnels de santé les plus proches du lieu de vie de l’enfant. Parfois à l’autre bout de la région. « Les victimes de cas complexe viennent de tout PACA – Nice, Carpentras, Arles, Nîmes », précise le Dr Bosdure.
Magali Buddua cale par ailleurs toutes les consultations dans la même journée. Un mieux pour l’enfant placé en foyer, car les éducateurs spécialisés peuvent difficilement l’amener ici et là, avec le risque que « des consultations se perdent dans la nature ». Surtout lorsque l’enfant change de foyer.
L’équipe s’assure enfin que les rendez-vous aient été honorés, « sinon on reconvoque les familles ou les éducateurs de l’ASE », explique le Dr Bosdure, qui travaille en alternance avec le Dr Violaine Bresson.
Devenir le lieu référent
L’UAPED n’a rencontré aucune embûche lors de sa création en 2022. La seule difficulté est d’amener tous les professionnels à s’approprier le lieu. « Déplacer les experts pour qu’ils viennent évaluer ici reste parfois compliqué, mais c’est normal : ils ont leurs habitudes de travail, notamment au commissariat ». L’équipe effectue alors tout un travail de communication et de pédagogie auprès des professionnels, mettant en avant l’intérêt de l’enfant.
L’autre difficulté est d’éviter que les professionnels de l’extérieur ne se déchargent sur l’UAPED pour les signalements, « qui restent un acte compliqué et engagent la responsabilité de celui qui le fait », décrypte le Dr Bosdure. Elle insiste : « un pédiatre qui n’a aucun doute sur un enfant maltraité doit faire un signalement. En revanche, on reste à l’écoute pour l’aider ».
Contrairement à ce que l’équipe pensait, l’UAPED reçoit beaucoup d’ados, mais aussi de fratries. Les professionnelles se transforment alors parfois en nounous pour distraire les uns pendant que les autres sont évalués.
Ce fut le cas dernièrement. Cinq enfants d’une même fratrie ont été retirés en urgence à leurs parents et hospitalisés le temps de l’enquête. Lauriane Farrugia, l’assistante sociale, leur a donné kit de toilette, pyjama, vêtements et doudous prévus par la structure. En plus d’apporter réconfort, soins et protection. ♦
* L’AP-HM, Assistance publique des hôpitaux de Marseille, parraine la rubrique santé et vous offre la lecture de cet article *
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