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Et la lumière fut avec ‘’J’allume ma rue’’

Par Marie Le Marois, le 10 mai 2023

Journaliste

''J'allume ma rue'' est une innovation française conçue par Olivier Bozzetto / société Odelco

Le dispositif ‘’J’allume ma rue’’ permet aux communes de couper l’éclairage public une partie de la nuit, tout en laissant la possibilité aux habitants de le rallumer selon leurs besoins. Les enjeux ? Réaliser des économies d’énergie, protéger la faune nocturne et atténuer la pollution lumineuse. Essaimée depuis 2021 sur tout le territoire, cette initiative normande a déjà conquis une cinquantaine de villes. Reportage à Urrugne, commune de 11 000 habitants dans le Pays basque.

 

1 h 20. Retour d’un dîner chez des amis à Urrugne. Le temps est pluvieux, la nuit est particulièrement noire dans cette ville à la frontière espagnole. L’éclairage public est éteint, seule la lumière d’un bar éclaire la chaussée. Nous dégainons notre smartphone et appuyons d’un doigt sec sur l’ampoule de la page web jallume.fr. Les réverbères s’allument instantanément sur toute la rue et même les artères attenantes. Ils resteront actifs quinze minutes durant.

Ce dispositif est utilisable par tous les passants de 22 h 30 à 6 heures. La ville l’a étendu à l’ensemble des quartiers résidentiels en mars 2022, après des phases tests réalisées en juin 2021 et février 2022, d’abord sur deux quartiers puis cinq. Ses objectifs ? « Réduire la pollution lumineuse, préserver la vie nocturne des différentes espèces et, bien sûr, faire des économies d’énergie », résume le service technique de la mairie.

Simple, rapide

Urrugne
Urrugne, son église, ses champs et… ses 1400 points lumineux – dont 1300 réverbères  @guide-du-paysbasque.com

La commune la plus vaste du Pays basque (50 km2) a été conquise dès le départ par cette innovation française pour sa simplicité et sa rapidité pour les techniciens, mais aussi les utilisateurs. L’outil se résume en effet à un boîtier connecté dans les armoires de commande de l’éclairage public. « Une armoire contrôle en moyenne quinze points lumineux », précise Olivier Bozzetto, ingénieur électro-informaticien et créateur de cette prouesse technique. Et d’ajouter qu’« installer le produit demande moins d’une heure ». En cliquant sur l’ampoule qui s’affiche, l’usager n’agit pas directement sur l’éclairage, « mais sur une interface qui traite l’information ». Seules contraintes : posséder un smartphone, avoir de la batterie. Et pour les possesseurs d’iPhone, activer préalablement l’option ‘’géolocalisation’’.

Ce dispositif est intéressant pour toutes les communes, mais aussi parkings, terrains de sport, aires de jeux, résidences privées. Sauf dans les endroits « où ça vit, comme le centre de Paris ».

 

Et modulable

Et la lumière fut avec ‘’J’allume ma rue’’ 6
Une des places d’Urrugne allumée après notre passage @Marcelle

Les communes peuvent adapter cette innovation à leur convenance. Certaines effectuent, par exemple, la coupure de 23 heures à 5 heures et laissent la lumière allumée uniquement 6 minutes. D’autres coupent dès 23 heures dans les quartiers résidentiels, mais à minuit dans le centre-ville.

Elles peuvent également procéder à des exceptions. Par exemple, à Urrugne, pour un restaurateur qui en a fait la demande, l’éclairage public brille jusqu’à minuit dans sa zone. « Plutôt que tous les clients appuient sur l’ampoule en quittant l’établissement, cette solution est plus adaptée », souligne le service technique. Enfin, elles peuvent quand elles veulent modifier l’amplitude horaire, juste en bougeant le curseur sur l’interface. Ainsi, pour la fête d’Urrugne, qui a lieu chaque premier week-end de septembre, la ville restera allumée toute la nuit.

 

Des économies d’énergie

Boitier Candela
Boitier Candela –  »J’allume ma rue » (vert et jaune avec antenne) dans une armoire électrique @Olivier Bozzetto

Les communes diminuent ainsi drastiquement le nombre d’heures allumées – près de 70% pour Urrugne. « Elle passe de 4103 heures d’éclairage sur l’année à 1365 heures », calcule Olivier Bozzetto de son bureau normand. Et réduisent par conséquent leurs factures d’électricité. Pour cette commune du Pays basque, autour de 100 000 euros d’économies prévues en 2023. En effet, avec l’énergie qui a doublé, l’éclairage coûterait normalement à la ville 164 000 euros s’il restait allumé toute la nuit. Tandis qu’avec ‘’j’allume ma rue’’ « on va payer 64 000 euros », prévoit le service technique.

Marion, qui habite à l’écart du centre, regrette de ne pas voir d’impact sur ses impôts locaux. La mairie a en effet gardé ces gains pour finir la transformation de l’éclairage public. D’abord en achetant d’autres boîtiers pour étendre le dispositif. Puis en passant les ampoules de l’éclairage public du sodium au Led. 80 sont programmées en 2023. « Notre objectif est d’aboutir à un parc 100% led, ce qui réduira encore plus la consommation ».

 

Favorable à la biodiversité et à l’humain

Chouette
@ElvisCZ : Pixabay

Parmi les retours de ‘’J’allume ma rue’’ depuis son essaimage, le concepteur note l’enrichissement de la biodiversité. Certaines espèces reviennent, notamment les oiseaux nocturnes comme les chouettes et les chauves-souris. Il a également entendu dire que son dispositif favorisait le sommeil. Urrugne abonde, « avec la chaleur, les habitants sont heureux de pouvoir dormir fenêtres et volets grand ouverts sans être dérangés par la lumière ».

Et l’insécurité ? Marion, toujours, se demande si les délinquants ne vont pas en profiter pour cambrioler voitures et maisons. « Les actes de délinquance se produisent autant dans les endroits éclairés que non éclairés. Et nous n’en avons pas recensé plus que d’habitude », étaye la mairie. Cette crainte, « légitime », est davantage liée au fait que la ville soit plongée dans le noir : « cela provoque un sentiment d’insécurité, surtout chez les femmes », ajoute l’ingénieur, assez surpris par cette donnée.

Il constate effectivement que dans les villes qui éteignent l’éclairage sans alternatives, des habitants ont peur. « Ils disent ne plus pouvoir se rendre à leur activité le soir ou promener leur chien ». Alexis aimerait que Saint-Jean-de-Luz, sa ville, adopte ‘’J’allume ma rue’’, « pour la sécurité de mes trois filles ». Les étudiantes aiment en effet faire la fête. Mais leur père trouve que « c’est devenu un coupe-gorge ». Le port de pêche a établi l’extinction des feux sur une partie depuis janvier 2021, attirant le label « Villes et villages étoilés », mais aussi les mécontents. Idem pour Ciboure qui éteint également sans alternatives. « Nous avons reçu des demandes d’habitants qui nous demandaient pourquoi notre outil ne fonctionnait pas ! », confie en souriant Olivier Bozzetto.

 

Villes et habitants réclament

Hendaye
Hendaye est en phase 2 depuis le 24 avril avec une cinquantaine de rues. @Hendaye

Grâce à la gestion interactive de l’éclairage, le sentiment de sécurité des usagers est retrouvé ou préservé. Mais pour y contribuer, la campagne de communication est essentielle. Urrugne a ainsi informé ses usagers par le biais d’affichage et de flyers dans les boîtes aux lettres, intitulés ‘’une idée lumineuse et écoresponsable’’.

À l’image de Noëlle, commerçante dans le centre qui « trouve ça bien, pour l’économie d’énergie », les habitants semblent satisfaits. « En tout cas, ils ne nous sollicitent pas. Sur d’autres sujets oui, mais pas celui-là », souligne le service technique. Et d’ajouter que des usagers s’impatientent même de voir leur quartier couvert par cette innovation. Pas de dysfonctionnements, les seuls survenus sont liés aux armoires et non à ‘’J’allume ma rue’’. L’expérience a donné l’impulsion à sa voisine Hendaye. La cité balnéaire est rentrée dans sa phase 2 depuis le 24 avril avec une cinquantaine de rues.

 

Sucess Story

Olivier Bozzetto
Olivier Bozzetto, concepteur de  »J’allume ma rue » @Olivier Bozzetto

Pour la petite histoire, Olivier Bozzetto avait au départ créé ce boîtier en 2016 pour sa ville – Pont-de-l’Arche dans l’Eure. Par « pur défi technique. Pas du tout pour en faire un produit industriel ». Ce cinquantenaire avait eu l’idée en entendant certains habitants dire qu’il fallait éteindre la lumière la nuit et d’autres non. « J’ai voulu mettre tout le monde d’accord avec ce boîtier ». Il a eu le feu vert de la ville pour un quartier, puis toute la commune. C’est seulement depuis 2021 qu’il essaime ailleurs grâce à son association avec Photon Group, spécialiste de l’éclairage. De Pomacle (436 habitants) à Saint-Brieuc (44 000 habitants), en passant par Cergy-Pontoise (220 000 habitants), une cinquantaine de villes ont déjà signé « et ça continue », se réjouit le concepteur. Son objectif est une dizaine par mois, « toutes tailles confondues ». Et d’amorcer l’Europe.

Après ses quartiers résidentiels, la mairie d’Urrugne étend prochainement ce dispositif aux départementales, arguant que « tous les véhicules ont des phares ». Et tant pis pour Marion qui « voit mieux la nuit avec les lampadaires ». En tout, ce seront 1400 points lumineux – dont 1300 réverbères – éteints une grande partie de la nuit. Offrant aux habitants le plaisir de contempler le ciel étoilé.♦

 

Bonus 

  • Le prix : il faut compter 390€ HT pour un boîtier, puis 10€ pour l’abonnement mensuel. Ce prix comprend ‘’J’allume ma rue’’ et la télégestion. Les services techniques peuvent en effet, via un accès sécurisé, gérer à distance les armoires électriques : relevés des consommations, gestion des incidents et des événements. « Elles n’ont plus besoin de se déplacer. C’est donc un gain de temps et des économies sur la facture puisque les coûts de maintenance sont réduits », étaye Olivier Bozzetto, le concepteur de ‘’J’allume ma rue’’.
  • Comment ça fonctionne ? Le boîtier « J’allume ma rue » s’intègre en quelques minutes dans les armoires de commande de l’éclairage public. Il est de format au standard européen et compatible avec toutes les armoires électriques. « Une armoire électrique pilote une trentaine de points lumineux, d’autres dix, tout dépend de la topologie de l’éclairage public », développe Olivier Bozzetto. Raison pour laquelle l’usager éclaire dans certaines zones juste sa rue et dans d’autres plusieurs.
  • Pourquoi une page web et pas une application ‘’J’allume ma rue’’ ? « Pour la simplicité en termes de développement – une page web est très simple à faire. Pour la gratuité  – Google Shop et Apple Store margent beaucoup sur les appli. Enfin pour l’anonymat. Le site est moins intrusif que l’appli. On ne sait pas qui se rend sur le site ‘’J’allume ma rue’’ ».
  • Les financements : Olivier Bozzetto (Odelco) et Photon Group n’ont souhaité réaliser aucune levée de fonds. « Il est certain que la société aurait pu avoir une croissance plus rapide, mais nous avons préféré investir nos propres bénéfices ». Ils envisagent cependant d’ouvrir leur capital, « maintenant que nous avons suffisamment de fonds pour rester majoritaires ». Autre singularité : ils ne prospectent pas, « nous préférons une démarche volontaire des villes ».
  • Le nombre de points lumineux liés à l’éclairage public est passé en France de 7,2 millions en 1990 à 11 millions aujourd’hui. Soit une augmentation de +53 %, rapporte l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) qui alerte sur les effets néfastes  dans une note scientifique sur la pollution lumineuse publiée le 26 janvier 2023. En revanche, la durée d’éclairement de l’éclairage public en France a diminué de 12 % en raison de l’extinction pratiquée au cœur de la nuit par près de 12 000 communes.

 

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