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Un nutriscore pour endiguer la fast fashion ?

Par Agathe Perrier, le 15 février 2023

Journaliste

L’Europe a perdu une grande partie de sa production textile avec l’avènement de la fast fashion © Photo d'illustration, Pixabay

De nouvelles collections de vêtements toutes les deux semaines et pas chères, c’est ainsi que fonctionnent les enseignes de fast fashion. Une industrie nocive sur le plan environnemental, mais aussi humain puisque les conditions de travail des petites mains du textile sont déplorables. Si la prise de conscience a bien eu lieu, qu’en est-il des actes pour stopper les dégâts de ce système ? Fanny Hervo s’est penchée sur le sujet et a listé huit pistes à mettre en place au niveau européen.

 

Les recommandations de cette juriste spécialiste des politiques environnementales ont été publiées dans un rapport de la fondation Jean Jaurès – « Lutter contre la fast fashion : huit propositions pour transformer l’industrie de la mode à l’échelon européen », à retrouver ici. Elles s’articulent autour de trois axes : exporter les normes et valeurs européennes pour protéger l’humain, promouvoir un modèle industriel européen durable et renforcer le pouvoir du consommateur européen.

 

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Fanny Hervo s’est intéressée aux dégâts de la fast fashion suite au scandale lié au travail forcé des Ouïghours dans les usines textiles chinoises © DR
Marcelle – Parmi vos huit propositions, quelle est celle à mettre en place en priorité ?

Fanny Hervo – D’un point de vue personnel, la protection de l’humain est pour moi primordiale. Je défends l’idée d’instaurer un devoir de vigilance pour les entreprises au niveau européen (ndlr : cette mesure consiste à rendre les sociétés européennes responsables, aux côtés des États, des conditions de travail tout au long de la chaîne de l’approvisionnement et en particulier chez leurs sous-traitants). C’est un sujet qui est d’ailleurs voté en ce moment au Parlement européen. Il a été influencé par la législation française, qui l’a déjà inscrit dans la loi depuis 2017. La France fait office de pionnière en la matière, même si ce qu’elle impose est insuffisant. En tout cas, si c’est adopté, ce sera repris derrière par les vingt-six autres États membres de l’Union européenne. C’est pourquoi agir auprès de l’Europe est, je pense, intéressant pour lutter contre la fast fashion.

 

Ce devoir de vigilance est-il réellement appliqué en France et a-t-il fait ses preuves ?

Le pays a été ambitieux sur la mise en place de cette mesure, mais les ONG critiquent son action aujourd’hui. Car il y a finalement peu de contrôle et de suivi. Il faudra donc que la directive européenne impose des mécanismes contraignants pour que ce devoir de vigilance soit réellement effectif et efficace.

 

 

Dans votre liste de propositions, vous prônez l’instauration d’un « nutriscore » pour le secteur du textile et de l’habillement, sur le modèle des étiquettes présentes sur les produits alimentaires. Il est important de permettre aux consommateurs d’acheter en connaissance de cause ?

Oui. Or, ils disposent actuellement de peu d’informations sur l’impact des vêtements qu’ils achètent. Même si beaucoup de marques indiquent le pays de production des articles, ce n’est pas une obligation. C’est d’ailleurs coutumier en magasin, mais pas en ligne. D’où l’idée de ce « nutriscore » pour responsabiliser les clients et qu’ils fassent leur choix en connaissance de cause.

 

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L’appli Clear Fashion évalue les marques pour informer les consommateurs sur l’impact des vêtements qu’ils comptent acheter © DR
Des applications existent déjà, comme Clear Fashion, par exemple, dont le but est justement d’informer les consommateurs sur l’impact des vêtements qu’ils comptent acheter. Que pensez-vous de ce type d’outil ?

Les marques évaluées sur Clear Fashion le sont majoritairement à titre volontaire. On y trouve donc des entreprises qui ont une bonne politique et le mettent en avant. Pour les autres, la plateforme a essayé de les évaluer elle-même, mais a manqué d’informations pour. Ce qui est sûr, c’est que cette application a inspiré le gouvernement français. L’Ademe (ndlr : l’agence pour la transition écologique) expérimente actuellement l’affichage environnemental dans le secteur des textiles d’habillement et des chaussures. Ce test repose également sur le volontariat pour l’instant, mais sera peut-être contraignant à l’avenir. C’est en tout cas pertinent de le mettre en place. Et qui sait s’il n’influencera pas, lui aussi, une directive européenne.

 

 

Une solution simple sur le papier pour disposer plus facilement des informations sur le textile serait de produire localement. Ce qui était finalement le cas jusque dans les années 1990 en France et en Europe…

L’Europe a perdu une grande partie de sa production textile avec l’avènement de la fast fashion. C’est extrêmement dur de nos jours de trouver en France et en Europe des entreprises et des usines pour produire localement, hormis dans le luxe. La fondatrice d’une marque de culottes menstruelles fabriquées au Portugal me disait qu’il n’existe presque plus d’usines de fil. Mais il y a une prise de conscience des consommateurs sur le sujet et une volonté de relocaliser la production.

 

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Les vêtements faits en Asie sont aujourd’hui beaucoup moins chers que ceux fabriqués en Europe car les normes sociales et environnementales y sont largement moins contraignantes © Photo d’illustration, Pixabay
Un retour en arrière est réellement possible ?

Ce qui est sûr, c’est que le processus sera long. Et pour que ça fonctionne, il faut réduire voire supprimer la concurrence déloyale entre les productions asiatiques et européennes. Aujourd’hui, les vêtements confectionnés là-bas sont beaucoup moins chers, car les normes sociales et environnementales sont largement moins contraignantes. En en imposant des plus décentes, les prix augmenteront et la production européenne sera plus attractive. Les conditions de vie des salariés seront en plus améliorées et l’impact de la production sur la planète réduite.

 

 

Vous êtes donc optimiste pour l’avenir ?

Oui, sinon ça ne sert à rien ! Si on veut rêver d’un futur uniquement avec de la mode durable, on ne peut pas en tout cas compter sur le seul comportement des consommateurs. Il faut, grâce à l’intervention des politiques et des entreprises, une meilleure régulation pour que la fast fashion ne puisse plus proposer ses prix imbattables. Si les prix augmentent, les consommateurs achèteront moins et on pourra alors voir un changement des pratiques. ♦

 

À quoi peut ressembler une start-up sociale ? 5

*RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité *

 

 

Bonus

[pour les abonnés] Fanny Hervo, la bio – La production textile en France en déclin depuis 1990 – La Chine, premier fournisseur de textile de l’Europe –

  • Quelques mots sur l’autrice, Fanny Hervo – Juriste de formation, elle s’est spécialisée en politiques publiques européennes après une expérience au Parlement européen. Anciennement responsable du plaidoyer au Mouvement européen-France, elle est aujourd’hui consultante en affaires publiques avec un intérêt prononcé pour les politiques environnementales. C’est le scandale lié au travail forcé des Ouïgours dans les usines textiles chinoises qui lui a fait prendre conscience des dégâts de la fast fashion. Bénéficiant du statut d’experte associée à la Fondation Jean-Jaurès pour avoir déjà écrit pour ce think tank, elle a alors proposé de se pencher sur comment lutter contre cette industrie. Elle prépare actuellement un prochain rapport sur la seconde-main.
  • La production textile en France en déclin depuis 1990 – quand les importations, elles, ne cessent d’augmenter. Selon les données de l’Insee, le niveau de production en milliards d’euros a connu une baisse drastique de 57% entre 1990 et 2015. À partir de l’année 2004, le montant des importations en milliards d’euros dépassait celui de la production.
  • La Chine, premier fournisseur de textile de l’Europe – En 2018, plus de la moitié des importations de vêtements au sein de l’Union européenne provenait d’États non membres (51%). Soit une augmentation de 25% par rapport aux chiffres de l’année 2013. Selon Eurostat, un tiers des importations de vêtements au sein de l’UE provenait de Chine en 2018 (27 milliards d’euros), suivi par le Bangladesh (16 milliards d’euros, 19%), la Turquie (10 milliards d’euros, 12%), l’Inde (5 milliards d’euros, 6%), le Cambodge (4 milliards d’euros, 5%) et le Vietnam (plus de 3 milliards d’euros, 4%).