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A Marseille, le militantisme 2.0 lave plus propre !

Par Guylaine Idoux, le 9 octobre 2018

Journaliste

Le militantisme 2.0 fonctionne à plein, la preuve avec « Poubelle la Vie », le groupe Facebook lancé par la Marseillaise Sarah Bourgeois, pour dénoncer la saleté des rues et l’inertie des pouvoirs publics. Un an après, son groupe pèse 18 000 followers et fait trembler les élus. « Et ce n’est qu’un début », promet Sarah. Après l’avoir rencontrée, je la crois bien volontiers.

 

« La mairie a longtemps pensé qu’on était de gauche, et la gauche qu’on était de droite. Bah non, désolée, on n’est d’aucun bord. On est indépendant et c’est ça qui les rend dingues (ndlr : les politiques). Au nom de la propreté, on tape sur tout le monde et on met chacun face à ses contradictions. » C’est qu’elle envoie du bois, Sarah Bourgeois. Franchement, avant de la rencontrer pour « Marcelle », moi non plus, je ne savais pas trop où les classer, elle et son groupe Facebook, « Poubelle la Vie », un flot quotidien de photos d’ordures, prises sur le vif aux quatre coins d’une ville réputée de longue date pour sa saleté, par 18 000 followers qui jouent les lanceurs d’alerte.

Smartphones en main, ils traquent l’ordure, l’immondice, le déchet, le rebus, la rognure, l’excrément et le rogaton, une cible plutôt facile à Marseille, où les décharges publiques fleurissent même dans le centre (étayons nos propos, la dernière en date a élu domicile sous la passerelle du cours Lieutaud).  Bref, on a déjà vu plus chaleureux comme groupe Facebook, surtout que les posts qui accompagnent les images sont souvent plein d’amertume (et de fautes d’orthographe, pardon c’est mon dada, mais revenons plutôt à nos moutons).

 

Un outil civique nouvelle génération

Alors, déversoir à rancœur (qui est grande sur le sujet dans la deuxième ville de France) ou outil civique d’un nouveau genre ? En une petite année d’existence, « Poubelle la Vie » a en tous cas rencontré son public et pulvérisé tous les records, devenant le premier groupe de lanceurs d’alerte de Marseille. A l’heure de rencontrer l’initiatrice de ce groupe, autre surprise : loin de la mémère réactionnaire que j’avais imaginée (ok, j’avoue que j’avais quelques à priori, qui ont d’ailleurs un peu inquiété Sarah quand je les lui ai confessés), me voilà en train de boire un café au soleil avec une liane blonde, quarantenaire, agent immobilier, mais aussi prof de yoga et naturopathe, certes un peu rugueuse au départ, mais qui m’est vite apparue fort sympathique. Une grande voyageuse, aussi. « C’est au retour d’un séjour au Japon que j’ai créé le groupe, en août 2017. Je n’en pouvais plus de voir Marseille atrocement sale. Ça a tout de suite fait boule de neige. En fait, ça a permis aux Marseillais de dire que leur ville était sale et de le manifester au quotidien. »

 

Ebranler des élus poussifs

Mais qui sont-ils, ces Marseillais qui l’ont rejointe ? « Notre groupe est étonnamment divers : il y a des ouvriers, des avocats, des journalistes, d’anciens CRS, des retraités… Des Marseillais de naissance, des Marseillais de cœur… ». Epaulée par une douzaine de bénévoles aussi impliqués qu’elle, parfois même plus (« C’est important de les citer, Lucille, Jeannot, Jean-Philippe G., Isabelle, Sandrine, Jean-Philippe R., j’espère que je n’oublie personne ! »), Sarah n’hésite pas à foncer dans le tas et dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : « Les élus se targuent de faire le Mucem et les centres commerciaux mais ils nous laissent vivre les pieds dans la crasse. Les plus pauvres n’en ont rien à faire des musées, ils veulent vivre dans un espace vital propre. J’aimerais entendre nos élus nous parler pédagogie et police de la propreté, refonte du matériel de nettoyage inadapté et ridiculement faible par rapport aux besoins, formation (voire reformation pour certains) des services de nettoyage, injection de millions d’euros dans ce projet. D’autres maires l’ont fait. Je connais bien Bordeaux, et Juppé l’a fait, il a mis les moyens ! ».

Magie des hashtags, la page interpelle les élus de secteur sur chaque photo, exigeant -et obtenant souvent- l’intervention des équipes de propreté. « Les élus nous détestent mais c’est à ce prix qu’on a fait bouger les lignes. Un maire de secteur a même participé à une collecte d’ordures citoyenne, posant pour la photo avec le gilet jaune des cantonniers. On n’avait jamais vu ça ! ». Forte de ses premiers succès, la page -et l’association du même nom qui en est née- fourmille de projets bien embêtants pour des élus à la peine sur le sujet, qui renvoient à un supposé incivisme marseillais (ce qui n’est pas faux, mais pas entièrement vrai non plus). « On a prévu de s’inviter au conseil municipal, faire des actions chocs au Marseille-Cassis dont l’organisation, soit dit en passant, laisse chaque année la ville dans un état épouvantable après son passage… Notre objectif est de continuer à mettre la pression pour qu’en 2020, les programmes des candidats à la mairie fassent enfin de la propreté une priorité. Et vu leurs réactions depuis qu’on a créé le groupe, j’ai bien l’impression que ce sera le cas ». ♦

 

Bonus

  • Outre des followers supplémentaires (objectif 20 000), « Poubelle la Vie » a besoin de bénévoles avec des compétences, notamment en graphisme, informatique et réseaux sociaux. Il leur faudrait également des têtes de réseau dans le nord de la ville (13-16e), où l’association voudrait être plus présente.
  • La rencontre avec Sarah m’a convaincue et j’ai rejoint son groupe Facebook. Il m’arrive même de poster des visuels de temps en temps (même si j’ai encore du mal à interpeller les élus nommément par hashtag). Sarah vise les 20 000 followers pour peser encore plus sur les élections municipales. A bon entendeur…