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Une maison médiévale sauvée des pelleteuses par Urgences Patrimoine 

Par Marie Le Marois, le 27 avril 2023

Journaliste

Mare-Claude, Pierre et François, citoyens investis bénévolement corps et âme pour la Maison Griffier @Marcelle

Le petit patrimoine, celui qui n’est pas protégé au titre des Monuments historiques, connaît une vague de démolition : bateau-lavoir, école de village, pont métallique, four à pain, chapelle… C’est compter sans Urgences Patrimoine, une ONG citoyenne qui se bat dans toute la France pour sauver le patrimoine en péril et, à travers elle, notre histoire collective. L’idée n’est pas nécessairement de réhabiliter ces biens emblématiques en musées, mais de leur offrir une seconde vie. Reportage à Saint-Maixent (Deux-Sèvres).

 

La maison dite ‘’Griffier’’, dans le centre historique de Saint-Maixent, n’a apparemment rien d’extraordinaire. Pas de moulures ni de colombages comme sa voisine du XVe siècle. Juste une grille rouillée surmontée d’une enseigne à moitié effacée. Pourtant, sa superbe a attiré l’œil de Marie-Claude Bakkal-Lagarde, en 2020. Elle a aussitôt comparé la grille avec celle de la boucherie Pinson (1872), à Chartres, inscrite au titre des Monuments historiques. Il s’avère que celle de Saint-Maixent est antérieure, « probablement la plus ancienne de France », suppose la fondatrice de l’Adane (Association pour le Développement de l’Archéologie sur Niort et les Environs) et déléguée d’Urgences Patrimoine dans les Deux-Sèvres. 

Cette maison, abandonnée depuis neuf ans, n’est plus qu’un tas de gravats. La mairie a prévu de la démolir pour y construire trois logements sociaux. Impensable pour Marie-Claude. Malgré le pessimisme des habitants – « ils pensaient qu’il n’y avait plus rien à faire », cette passionnée de vieilles pierres n’a qu’une idée en tête : sauver Griffier.

Peinture médiévale 

peinture murale médiévale
La Maison Griffier, au détour d’une fuite dans le mur, a révélé un trésor : une peinture murale médiévale. @Maison Griffier-Saint Christophe

Les démarches n’aboutissent guère, la mairie ne veut rien entendre. Jusqu’à ce jour de septembre 2021 où la maison Griffier, tel un jeu de piste, livre un nouvel indice précieux. François Barbareau, voisin et propriétaire de la fameuse demeure à colombages, y découvre par hasard une peinture murale inédite. Sabine de Freitas, experte pour Urgences Patrimoine, le confirme : elle date du XVe siècle et représente Saint-Christophe tenant le Christ enfant sur les épaules. Cette œuvre rare sert de moteur pour protéger la maison d’une démolition. « Des peintures du XVe, nous en avons, mais essentiellement dans des églises, pas dans les bâtiments privés. En plus, le thème de Saint-Christophe est rare dans le centre ouest », poursuit Marie-Claude. 

Il faut maintenant convaincre le propriétaire de la maison, un Anglais, de le vendre à l’association et à un prix inférieur au montant initial (bonus). Un bénévole d’Urgences Patrimoine y parvient. Et la mairie, dont le projet est pourtant bien avancé, finit par capituler, reconnaissant finalement la valeur culturelle du bâti. En janvier 2022, après moult rebondissements, les bénévoles peuvent enfin s’atteler à la réhabilitation de cette dame de pierres.

 

Un réseau riche d’artisans, d’experts et d’architectes  

Château Lixon à Louvroil
Grâce à Urgences Patrimoine, le Château Lixon à Louvroil ne sera pas rasé.

Urgences Patrimoine, qui intervient la majorité du temps à la demande des citoyens, croule sous les demandes, « en ce moment cinq par semaine », précise par téléphone Alexandra Sobczak, en Normandie. La présidente-fondatrice se concentre essentiellement sur le patrimoine de proximité, non protégé au titre des Monuments historiques « et donc en proie aux pelleteuses ». L’ONG, créée en 2014, n’est « pas riche ni magicienne », mais a une volonté indéfectible, des moyens pour « rendre visible l’invisible » (réseaux sociaux, Gazette du Patrimoine et relais dans les médias). Ainsi qu’une grande expérience du recours et de l’appel aux dons. Elle est une aide juridique, mais aussi pratique avec des architectes, des experts et des artisans. Elle a également comme atout sa neutralité politique – « la politique est bien souvent centrale dans l’abandon ou la démolition du patrimoine. Or, il appartient à tout le monde », insiste cette ancienne antiquaire. 

Les biens défendus présentent souvent un intérêt architectural, comme la Maison Griffier, mais pas toujours. Par exemple, le manoir XIXe siècle de Louvroil (Nord), n’a rien d’extraordinaire, « si ce n’est d’avoir une grande valeur au niveau local : il fait partie de l’histoire de la ville », ajoute cette pasionaria qui se bat à plein temps bénévolement, avec rage et conviction.

Il était prévu en 2022 qu’il soit rasé pour construire un supermarché. Mais grâce à une pétition relayée par Urgences Patrimoine et à son recours devant les tribunaux, le permis de construire a été retoqué. Les hautes instances locales se sont emparées du sujet et la mairie a plié. Malgré le prix délirant demandé par le vendeur, l’édile « a trouvé les sous ».

 

 

Peu importe la nouvelle fonction du bien

Chapelle Saint-Joseph
Démolition de la Chapelle Saint-Joseph à Lille pour construire un campus. @Urgences Patrimoine

Le manoir de Louvroil « pourrait devenir un centre médical pluridisciplinaire », suggère Alexandra Sobczak. Pour cette Normande, peu importe la nouvelle vie du bâtiment. Le principal est qu’il soit sauvé. Une philosophie valable également pour les églises – « si elles deviennent des restaurants, c’est toujours mieux que la démolition ! », martèle cette femme de 54 ans, favorable à la vente des églises aux particuliers, mais « avec un cahier des charges bien précis ». C’est d’ailleurs de l’église Saint-Pierre d’Auxerre (89) qu’est né son combat. Des années durant, cette persévérante a tenté de la sauver, notamment en organisant un « Patrim’action » – le Téléthon du patrimoine. Elle est « hélas toujours en déshérence totale ». Idem pour Sainte-Rita dans le 15e à Paris. 

Le dossier qui la meurtrit encore reste celui de la chapelle Saint-Joseph à Lille. Après des mois de combats intenses et un recours en cassation, son propriétaire – l’Université catholique -, l’a rasée pour y construire un campus. « Alors que nous avons prouvé que la construction était plus chère que la réhabilitation », rage cette femme qui parle de vague  »patrimonicide » déferlant sur notre territoire. Car les pelleteuses n’ont pas davantage épargné le château de Lagny-le-Sec (Oise), ni une cabane de Guardian aux Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône).

 

De belles histoires aussi

le pont des Arches
Urgences Patrimoine se bat aux côtés de l’association Terre Dignoise pour sauver le pont des Arches, ouvrage emblématique du pays @Association TerreDignoise

Urgences Patrimoine connaît heureusement de belles histoires. L’ONG a sauvé onze patrimoines en 2021 et 2022. Grâce à son soutien, un entrepreneur spécialisé en rénovation de bâti ancien, ému par le sort de la maison médiévale d’Orpierre (Hautes-Alpes), l’a rachetée pour 1 euro symbolique. Dans la Loire, des passionnés de vielles voitures rénovent à l’identique la station-service du Coteau construite en 1957. Dans les Vosges, un tableau religieux de plus a été sauvé gracieusement par des restauratrices dans le cadre de l’opération ‘’Un geste à l’édifice’’.

D’autres dossiers sont sur le feu. Le bateau-lavoir à Laval qui se meurt. Le pont des Arches à Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), ouvrage réalisé en 1894 en passe d’être détruit. Idem à Roubaix (Nord) : un immeuble néo-classique, dernier témoin du patrimoine textile, pourrait être rasé au profit d’une résidence étudiante construite par Vinci Immobilier, « alors que le promoteur pourrait utiliser l’existant ». Derniers projets en date : la sauvegarde du patrimoine funéraire et des chapelles (bonus).

 

♦ Pour souscrire à l’association Urgences Patrimoine : 10 euros l’année, ici

 

8000 seaux de terre et de gravats

Maison Griffier 2
Pierre trie le monticule de droite pour en extraire les pierres intéressantes qui serviront à rebâtir les murs.

Et la Maison Griffier ? Depuis que Marie-Claude et François peuvent y accéder, une poignée de bénévoles se relaient tous les après-midis pour déblayer ses 300 m2. Ils ont évacué 8000 seaux de terre et de gravats, enlevé l’arbre qui avait colonisé l’intérieur. Et mis à jour de nouvelles pépites : vitres fin 19e siècle dont des ‘’mousselines’’, sièges médiévaux, fondations du XIII/XIVe siècle. Enfin, un sublime patrimoine souterrain : une cave dotée d’un arc gothique et d’un silo vernissé dans le rocher. Le jeu de piste s’est transformé en enquête policière. De quand date exactement cette maison ? Quelle était sa fonction ? Pourquoi autant de gravats ? Par recoupements et déductions, les bénévoles résolvent petit à petit les énigmes. 

 

Maison pour des religieux puis boucherie

Une maison médiévale sauvée des pelleteuses par Urgences Patrimoine  6
Le centre historique de Saint-Maixent se meurt. @Marcelle

Le bâtiment médiéval devait être composé d’une grande salle et au rez-de-chaussée, d’une cuisine. Il a dû servir d’habitation à des chanoines – la Maison Greffier jouxte en effet l’abbaye de Saint-Maixent -, puis de boucherie. Le premier boucher, en 1802, aurait construit des abattoirs à l’arrière du bâti. Les indices ? Un crochet dans le dallage pour attacher les bêtes, un emplacement dans le mur pour une cuve en pierre et un autre au sol qui recueillait des cendres « pour la lessive », complète Marie-Claude, à la retraite depuis un mois. 

Le successeur du dernier boucher, en 1962, fut un maçon. « Il a certainement pris sur place les matériaux qui lui manquaient sur ses chantiers, comme ça se faisait après le Révolution », se désole François. Ainsi, il n’a pas hésité à découper à la disqueuse de magnifiques pierres de taille, prélevant les parties les moins intéressantes et laissant sur place les autres. « Il n’avait pas conscience de l’intérêt de ce bâtiment. Or, il est exceptionnel », souligne ce restaurateur de maisons anciennes, qui attend avec impatience la datation des morceaux de poutre grâce à la dendrochronologie. Elle révélera la construction de la maison à l’année près.

 

Monter les murs d’abord

Une maison médiévale sauvée des pelleteuses par Urgences Patrimoine  5
François montre une pierre de taille qui, comme les autres de la Maison Griffier, a été amputée d’une partie.

Pour la peinture murale recouverte en partie par la chaux, François imagine que c’est l’œuvre des protestants, après leur prise de pouvoir sur les catholiques dans cette région. Et espère que cette couche blanche cache d’autres scènes. En témoigne un personnage un peu plus loin, « sans doute un pélerin ». La peinture – pour l’instant protégée par un simple auvent – sera restaurée une fois le toit reconstruit. Mais avant le toit, il faut reconstruire les murs, les fenêtres à meneaux, etc. Et avant toute reconstruction, il faut trier les pierres. Un chantier titanesque motivé par les découvertes, mais aussi l’engouement des habitants – 650 visiteurs aux dernières Journées du patrimoine. Marie-Claude, François et Pierre devisent autour d’une brioche locale, sur le devenir de cette maison. Sans doute un pôle culturel avec une résidence d’artistes. Une valeur ajoutée pour Saint-Maixent dont le centre historique se meurt. 

Comme les autres bénévoles, Alexandra Sobczak en est convaincue : « Remettre debout le patrimoine offre aux élus la possibilité de créer une dynamique économique et culturelle au sein de leur commune ». ♦

* Le Groupe Constructa parraine la rubrique « Société » et partage avec vous la lecture de cet article*

 

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Bonus

[pour les abonnés] – Opération 2023 ‘’1001 Chapelles’’ d’Urgences Patrimoine – La Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire – Les financements d’Urgence Patrimoine – Le grand projet des 10 ans – Quand le patrimoine change de vocation –

  • la chapelle de Vrères
    L’opération  »1001 chapelles » est née suite à la sauvegarde de la chapelle Saint-Léonard de Vrères (Deux-Sèvres) @Urgences Patrimoine

    Opération 2023 ‘’1001 Chapelles’’ d’Urgences Patrimoine. Cette opération est née suite à la sauvegarde in extrémis de la chapelle Saint-Léonard de Vrères (Deux-Sèvres). Elle vise à sauver les petits édifices religieux en péril, en particulier grâce à son réseau de professionnels du patrimoine en mesure de réduire les coûts de restauration de moitié. Et, ainsi, de multiplier les opérations de sauvegarde sur l’ensemble du territoire. L’objectif idéal est d’en restaurer au moins dix par an.

Et Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire. Les objectifs sont multiples. Notamment : réalisation d’inventaires, restauration et valorisation des monuments funéraires (civils et militaires) et des cimetières abandonnés. « On pourrait transformer les chapelles abandonnées en columbarium et celles en décrépitude situées à l’entrée, en boîtes à livre », imagine Alexandra Sobczak qui souhaite également rendre le patrimoine « plus glamour ». Ses projets en cours ? La restauration d’une chapelle funéraire au cimetière du Père-Lachaise. Et le déplacement des morts du Cimetière des Fous, à Évreux, menacé d’être enseveli sous la bitume suite à la déviation d’une route.

Alexandra Sobczak a créé un comité d’éthique au sein de la commission pour, notamment, alléger certaines procédures qui freinent la valorisation du patrimoine funéraire en déshérence. « Il est par exemple interdit de nettoyer les tombes autres que les siennes » se désole celle qui, déjà enfant, souffrait devant une sépulture abîmée.

 

♦ (Re)lire Atelier Luma crée du design à partir du patrimoine naturel

 

  • Détails de la sauvegarde de la maison Griffier. Grâce à l’expertise de la peinture murale, Marie-Claude et François ont alerté les médias locaux et Urgences Patrimoine. Son action a fait boule de neige avec le soutien de Vieilles Maisons Françaises et Maisons Paysannes. Et l’intervention de la DRAC (direction régionale des affaires culturelles). Le propriétaire a accepté de leur vendre la maison 11 000 euros contre 17 000 euros. « Il ne connaissait pas l’existence de la peinture murale, il l’a découverte avec nous cet été », se souvient Marie-Claude qui a connu Urgences Patrimoine en 2013. Grâce à l’ONG, elle avait pu bénéficier gratuitement de tuiles pour la réfection de la toiture de l’aumônerie de La Crèche, ville voisine de Saint-Maixent. La maison Griffier pourra être une nouvelle étape de la chasse au trésor de la Nouvelle Aquitaine. 

 

  • Financements. L’association ne bénéficie d’aucune subvention pour préserver sa liberté et son indépendance. Elle s’appuie sur 300 souscriptions (dont Stéphane Bern et VMF – Vieilles Maisons Françaises – soutiens précieux de l’association). Le mécénat, dont Histoire et Patrimoine, et les dons : particuliers, opération Nuit du Bien Commun (63 200 euros en grande partie destinés à la restauration de la chapelle de Vrères dans les Deux Sèvres). Et, prochainement, fonds du Bien Commun.

« Notre plus grand besoin est de développer notre politique de mécénat, notamment auprès des grandes entreprises qui ont pour habitude de soutenir des grands édifices (nous l’avons vu avec Notre Dame). Soutenir le patrimoine des territoires est tout aussi valorisant, même pour un grand groupe ».

 

♦ Lire aussi : Le label Arbres Remarquables protège un patrimoine vivant

 

  • Grand projet pour les 10 ans d’Urgences Patrimoine : la ‘’patrimothérapie’’. Alexandra Sobczak s’est reconstruite grâce à Urgences Patrimoine. C’est en tout cas ce qu’elle perçoit avec le recul. En effet, à 41 ans, elle s’est retrouvée à la rue avec ses deux enfants – dont un de 3 ans, et son magasin d’antiquité saisi. Créer Urgences Patrimoine lui a permis de reprendre pied et reconstruire pierre par pierre sa vie. 

Elle souhaite, à son tour, aider les femmes de plus de 40 ans qui ont subi « un accident de la vie ». En leur offrant la possibilité de se former aux métiers d’art ou du bâtiment : restauratrice de tableaux, tailleur de pierres, artisan-peintre, menuisier… Et pourquoi pas réhabiliter avec elles des lieux abandonnés. Car cette adepte du deuxième épisode de la Marquise des Anges – celui où la jeune femme rebondit après avoir tout perdu –  en est convaincue : « L’humain sauve le patrimoine, mais l’inverse est vrai aussi ».

Elle aimerait concrétiser cette idée « sortie de ma tête en mars » pour les dix ans de l’association en mai 2024. Son « cobaye » sera une bénévole de 54 ans, victime d’un burn-out qui aimerait s’adonner à la reliure.