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Une maison partagée entre valides et handicapés

Par Marie Le Marois, le 1 septembre 2021

Journaliste

L’association Simon de Cyrène développe des maisons partagées entre des personnes valides et d’autres avec un handicap cérébral. L’idée ? Leur offrir une communauté chaleureuse et fraternelle. Car leur plus grande souffrance n’est pas tant le handicap que la solitude. 24 colocations ont vu ainsi le jour en France, dont trois à Marseille en mars 2021.

 

La nouvelle résidence La Calanque de Jean Nouvel est impressionnante, avec son drapé bleu et ses murs végétalisés. L’accès à la maison partagée Simon de Cyrène du bâtiment B est uniquement accessible via un pass. Au quatrième étage, l’ascenseur ouvre directement sur onze studios équipés de douche et kitchenette, dont sept adaptés, et un T3. Au cinquième, il donne sur un large séjour lumineux avec cuisine ouverte et terrasse.

 

Une personne valide pour une personne en situation de handicap
Une maison partagée entre valides et handicapés
@Simon de Cyrène. Daniel, le responsable d’appartement au premier plan. Marc, Sylviane et Salima en fauteuil. Olivier en lunettes de soleil.

L’appartement accueille pour l’instant quatre adultes en situation de handicap : Salima, Marc, Olivier et Sylviane. Cette formule leur permet d’être indépendants tout en étant accompagnés. De se sentir chez eux sans être seuls. Ils peuvent par exemple vaquer à leurs occupations la journée ou faire leur propre cuisine. « Dans la pratique, nous prenons toujours les trois repas ensemble », sourit Daniel, le responsable d’appartement.

Ce jeune de 29 ans habite sous le même toit avec sa compagne, dans le T3. Le cas également de Claire, consultante dans l’informatique, Manon, assistante de vie, et Camille, volontaire Service Civique.

Ici, pas question de dissocier les personnes handicapées des valides. Ils sont tous colocataires. « Certes il y a une différence dans le quotidien, notamment les actes essentiels. Mais pas dans la relation humaine, l’écoute, le fait de créer des relations profondes. Là on est tous pareils », soutient Daniel de sa voix posée.

 

  • Après une tumeur, un traumatisme crânien ou un AVC (accident cardio-vasculaire cérébral), certains patients deviennent cérébro-lésés. Estimés à environ 120 000 par an en France, ils souffrent de séquelles sensorielles, physiques, psychiques et cognitives.

 

‘’Réinjecter la rencontre’’
simon de cyrène
@Félicitée Lugagne. Salima et Sophie, assistante de vie externe.

Les maisons partagées Simon de Cyrène forment une troisième voie, entre le retour à domicile et l’institut médico-social. Leur essence est de ‘’réinjecter la rencontre’’ mais aussi ‘’faire avec et non pour’’ (voir bonus).

Ce jour-là, au son de Jean-Jacques Goldman, Sophie, assistante de vie externe, prépare le déjeuner avec Sylviane qui précise tout de go : « je ne cuisine pas, je coupe juste les légumes. Je ne peux pas faire plus, j’oublie tout ». 

Salima, tout sourire, les observe de son fauteuil électrique. Et Marc pianote, très concentré, sur son ordinateur dans le coin salon. Il manque Olivier qui travaille la journée dans un Esat (établissement et service d’aide par le travail).

 

 

  • Simon de Cyrène Marseille recrute : un.e coloc, un.e assistant.e de vie, un.e volontaire service civique et un.e bénévole pour prendre part à la vie de l’appartement en soirée et week-end.

 

 

Ouverte sur l’extérieur
Colocation valides et handicapés
@Simon de Cyrène. Repas partagé sur la terrasse et la jolie table en bois fabriquée par les résidents.

Le déjeuner est pris sur une longue table en bois fabriquée par les résidents.

Camille, la ‘’Service Civique’’, soumet les activités prochaines. Une guinguette au Couvent Levat, un festival à la Friche Belle de Mai et, bien sûr, le marché du jeudi. Les maisons partagées Simon de Cyrène sont toujours implantées au cœur des villes, avec commerces et transports en commun à proximité.

L’idée de l’association est d’offrir à ses résidents un foyer suffisamment douillet pour qu’ils retrouvent confiance en eux et développent de nouvelles capacités. Mais aussi un lieu ouvert sur le quartier et la vie en général, pour qu’ils soient reliés au monde et aux autres. La rencontre se déroule à double sens. La table d’hôte en est une belle illustration : toute personne extérieure est invitée à venir déjeuner le vendredi au rez-de-chaussée, au Cabanon de Simon, structure chargée des animations de l’association locale (voir bonus).

 

  • Simon de Cyrène, c’est 24 maisons partagées : Vanves (5 maisons),  Angers (4 maisons), Rungis (5 maisons), Dijon (2 maisons), Nantes (3 maisons), Marseille (3 maisons), Lyon (2 maisons). 16 sont en projet : Toulouse (3 maisons), Bordeaux (4 maisons), Lille (3 ou 4 maisons), Paris (3 maisons), Saint-Malo (3 maisons). Chaque maison est portée par l’association locale et accueille 11 personnes valides et handicapées (13 à Marseille).

 

Un choix de vie pour les personnes valides
Simon de Cyrène
@Simon de Cyrène.  »Faire avec et non pour » est une des particularités de Simon de Cyrène.

Entre plats et dessert, chaque convive prend le temps de raconter la raison de sa présence. Le responsable de l’appartement explique avoir voulu embrasser « une belle expérience de vie ».

Cet ancien salarié de la Fédération Française du Bâtiment participait déjà de temps en temps au Cabanon de Simon. Il y travaille désormais à « temps très plein ». Sa mission ? Coordonner l’appartement dans l’accompagnement des résidents, l’animation de l’équipe « et faire en sorte que ce soit le plus harmonieux possible ».

Au bout de huit mois de colocation, ce féru de trail, guitare et scoutisme a le sentiment de vivre au quotidien une métier qui a du sens et le fait grandir, « grâce à l’équipe, les personnes accueillies mais aussi les moments pas toujours faciles à vivre ».

 

Don réciproque

Manon, l’assistante de vie interne, travaillait dans un foyer de l’Arche en région toulousaine. Elle avait à cœur de vivre un projet similaire mais avec une genèse différente et qui démarrait.

Quant à Claire, la jeune active dans l’informatique, sa motivation en tant que nouvelle arrivante à Marseille était de vivre dans une colocation solidaire, sans pour autant choisir le handicap. Le hasard l’a mise sur le chemin de Simon de Cyrène. Ces jeunes, dont la moyenne d’âge oscille entre 25 et 30 ans, expérimentent l’importance du don réciproque, inhérent à la vie partagée.

 

Vivre dans un logement plus fonctionnel et joyeux
simon de cyrène
@Félicitée Lugagne. Sylviane dans son studio.

Du côté des résidents, les motivations sont également variées. Tout en aidant Salima à manger, Sylviane raconte qu’elle ne voulait plus vivre seule dans son appartement au deuxième étage, sans ascenseur, où chaque sortie était une épreuve.

Son histoire ? Une opération du cerveau en 2010 qui a mal tourné et l’a laissée des mois dans le coma. « Je n’ai pas pu revenir comme j’étais avant », confie-t-elle pudiquement.

Cette septuagénaire joyeuse trouve la vie en communauté « fantastique ». Les courses effectuées en commun le jeudi, la préparation des repas pour les plus démunis à l’église des Chartreux le dimanche. Et, bien sûr, les animations du Cabanon de Simon.

 

 

 

Quitter les affres de la solitude
simon de cyrène Cabanon de Simon.
@Simon de Cyrène. Salima avec un futur meuble pour le Cabanon de Simon.

Salima désirait « quelque chose de plus intime », après quinze ans dans une Mas (Maison d’Accueil Spécialisée) auprès de 43 internes et 70 externes. Comme dit Marc, à l’autre bout de la table, « il y a de quoi vouloir changer ». Le jeune homme de 32 ans, « frustré de ne pas avoir eu de jeunesse », voulait lui tout le contraire : quitter les affres de la solitude.

Claquemuré par ses nombreux handicaps, il est cloué dans un fauteuil roulant, avec des difficultés pour écrire, entendre, parler et même déglutir. Ses mots se bousculent dans sa bouche tandis que sa pensée est fluide.

 

‘’Cassé de l’intérieur’’
simon de cyrène
@Simon de Cyrène. Marc en train de poncer une table pour la maison partagée.

Dans un long mail, qu’il nous a envoyé après notre reportage, Marc nous raconte son histoire qui a « gâché [sa] vie et largement détruit toute perspective d’avenir, malgré les discours les plus positifs et les plus bienveillants ».

Cette histoire lui pèse tellement qu’elle l’a complètement « cassé à l’intérieur ». Il aimerait vivre une vie de son âge. Mais celle-ci lui est refusée depuis ses 14 ans. Une tumeur au cerveau mal diagnostiquée – « située dans le tronc cérébral du bulbe rachidien » – lui a volé son corps et ses capacités.

 

Une existence vidée de son sens
simon de cyrène
@Simon de Cyrène. Préparation de la fresque pour le Cabanon de Simon.

Du jour au lendemain, malgré l’opération et la longue rééducation, ce natif de la Gironde, plein d’appétence, s’est retrouvé emmuré. Après des années « d’errance » et de « chaos », il obtient une Capacité en Droit avec mention à Montpellier.

Une récompense majeure pour lui, « d’abord c’était valorisant par rapport à cette vie humiliante et dégradante et puis je renouais avec ce qui m’avait toujours intéressé », nous écrit ce passionné de politique.

Il s’inscrit en licence mais abandonne au bout de quelques mois, face à la difficulté de ses études – « sans pouvoir écrire, avec une mauvaise audition et des auxiliaires de vie qui ne s’occupent pas assez de moi pendant les cours ». Marc ne se sent plus exister. Ou plutôt ne trouve plus de sens à son existence.

 

Coupé du monde et de soi-même
Cabanon de simon
@Simon de Cyrène. Moment au Cabanon de Simon.

Son élection à l’APF (association des paralysés de France), à la Commission National Politique de la jeunesse, lui offre « un nouveau but ».

Il décide d’habiter seul dans un appartement adapté à Gap. Accompagné par son père les deux premières années, il parvient à prendre son indépendance avec l’aide d’auxiliaires de vie et un accompagnement de la maison des solidarités de Gap.

En 2017, il part vivre chez sa mère, à Aigues-Mortes, il ne supporte plus la solitude. « Mais bien sûr ça n’a rien changé… » Malgré l’amour de ses proches, il se sent coupé du monde et de lui-même. « Il y a beaucoup de choses qui m’entretiennent dans la douleur. Bien sûr le regard de l’autre n’est pas facile, mais c’est surtout l’interaction avec moi. Comme par exemple me prendre véritablement au sérieux, avoir une vraie considération et pas une façade fausse et condescendante ».

 

Une lumière avec Simon de Cyrène
simon de cyrène bis
@Félicitée Lugagne. Pièce principale de la maison partagée avec la cuisine au fond.

Le jeune homme cherche tous azimuts sur Internet des solutions de logement adapté. Et tombe sur Simon de Cyrène. Le projet le séduit. Il a un seul but alors : « être davantage acteur » de son existence et « mettre un peu de cohérence dans une vie qu’[il] ne maîtrise plus ».

La commission d’admission de l’association, qui se réunit pour savoir si la structure peut offrir au futur résident un foyer en toute sécurité (voir bonus), donne le feu vert.

Comme tout résident, Marc effectue un séjour de découverte d’une semaine, pour savoir si le projet et la colocation lui conviennent vraiment. Puis un autre de préadmission, pour affiner son projet et permettre à l’équipe de cerner ses besoins, notamment en accompagnant humain.

Toutes ces étapes sont primordiales, elles permettent d’éviter déceptions et échecs. Car il arrive parfois que des personnes repartent. Parce que le modèle ne leur convient pas ou n’est finalement pas en capacité de les accueillir.

 

Des ajustements
simon de cyrène
@Félicitée Lugagne

L’appartement de Marc, Sylviane, Salima et Olivier peut héberger encore trois personnes en situation de handicap, « mais pour l’instant on reste à cet effectif pour nous stabiliser », souligne Daniel, le responsable. Car, comme toute colocation, tout n’est pas rose. « C’est normal qu’il y ait des accrochages. Il faut apprendre à se rencontrer, à être patient, à s’écouter ».

Contrairement à ce qu’il imaginait en démarrant le projet, le challenge n’est pas de vivre avec des personnes handicapées. Mais de vivre ensemble, « dans la différence de nos cultures, de notre vision du monde. C’est là que se joue une vraie rencontre ».

 

 

Charte de vie commune
Simon de Cyrène
@Simon de Cyrène. Marc en fauteuil, Olivier avec des lunettes et deux accompagnatrices.

Trouver le bon équilibre demande du temps. Et de nombreux ajustements. Les menus sont devenus plus spontanés, le ménage collectif a été réorganisé, l’aménagement de l’espace modifié. Et une charte de vie a été élaborée pour « vivre en harmonie », avec des points importants.

Pour Salima, c’est « chacun participe, dans la mesure du possible ». Et Marc, « faire l’expérience du pardon et de la solidarité ».

Ensemble, ils ont cherché également un nom pour leur coloc’ pas comme les autres. Elle s’appelle Nalanga. Un nom polynésien signifiant ‘’l’homme avec une grandeur d’âme et d’esprit qui part à l’aventure et à la rencontre des autres’’. ♦

 

*Tempo One, parrain de la rubrique « Solidarité », partage avec vous la lecture de cet article dans son intégralité *

 

Bonus

[pour les abonnés] Histoire de Simon de Cyrène – Les valeurs de l’association Simon de Cyrène – Le Cabanon de Simon – La Commission d’admission à Marseille – Coût de la colocation et aides.

  • Histoire de Simon de Cyrène. Fin des années 90, à l’initiative de familles touchées par le handicap, un groupe d’amis se constitue. Ensemble, ils partagent le même désir « d’arrêter de regarder le handicap pour regarder les capacités » … et particulièrement celles qu’ils ont en commun : tisser des liens d’amitié, s’accueillir, s’entraider chacun avec ses talents et animer ensemble des lieux porteurs de sens. En 2006, sensibilisé par la situation de sa sœur lourdement handicapée suite à un accident, Laurent de Cherisey, entrepreneur social, ancien chef d’entreprise et auteur, les rejoint. Il ouvre les premières maisons partagées Simon de Cyrène à Vanves (92) et constitue la Fédération Simon de Cyrène qui accompagne le déploiement des maisons partagées en France. Philippe Pozzo di Borgo, auteur du livre Second souffle à l’origine du film Intouchables, est le parrain d’honneur. À noter : Simon de Cyrène est le nom de l’homme désigné par les soldats romains pour porter la croix du Christ.

 

Sortir de la solitude : Chaque semaine un nombre croissant de personnes valides et handicapées participent à des activités de loisirs et d’entraide au cœur de ville, « Chez Simon » (repas partagés, ateliers créatifs, ateliers cuisine, rencontres avec des professionnels, soirées à thème, ateliers bien-être, sorties culturelles…)

Oser la rencontre : Chaque mois une cinquantaine de personnes valides et handicapées se retrouvent pour des sorties ou des rencontres amicales (croisière de Pen-Bron, Puy-du-Fou, rencontres thématiques et partages …)

Vivre chez soi sans être seul : les personnes en situation de handicap et valides font le choix de vivre ensemble une vie fraternelle fondée sur l’accueil de l’autre dans son intégralité, le respect de ses choix, de ses capacités, de ses talents, de sa façon d’être.

Faire avec et non pour : Les valides qui accompagnent associent les personnes en situation de handicap dans leur démarche. Souvent jeunes, ils vivent une expérience fondatrice.

Changer le regard sur le handicap et la fragilité : Regarder plus loin que la première apparence pour créer une complicité de cœur.

Partage des valeurs et témoignages auprès des jeunes : écoles, étudiants, entreprises …

 

 

  • Le Cabanon de Simon. Chaque semaine, des ateliers de loisirs sont proposés (théâtre, jeux, musique, café philo…) ainsi qu’une table d’hôte ouverte à tous. Le “cabanon de Simon” propose également sorties (visites, expositions, manifestations sportives…) et week-ends. Retrouvez programme et coordonnées du Cabanon de Simon ici.

 

  • La Commission d’admission à Marseille est pilotée par la coordinatrice médico-sociale de l’association (médecin, psychologue…) avec le directeur de l’association locale et le responsable d’appartement.

 

  • Coût de la colocation. Le forfait de vie communautaire (repas, aide ménagère, charges…) varie selon les résidents handicapés mais elle est de l’ordre 1000 euros. Cette somme est largement compensée par les aides : l’AL (allocation logement) permet de payer le loyer, l’AAH (allocation adulte handicapé) le quotidien – l’électricité par exemple. Et la PCH (prestation de compensation du handicap) l’aide humaine.

Les assistantes internes payent un loyer modique qui est intégré dans leur salaire. Pour les volontaires Service civique, le contrat est logement contre services.