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Un manuel pour décoder le greenwashing

Par Maëva Danton, le 15 mai 2023

Journaliste

« En verrouillant ainsi la trajectoire en cours, en nous faisant manquer des embranchements qui auraient pu se révéler salvateurs, le greenwashing participe dangereusement à réduire le champ des mondes encore possibles ». @DR

Savez-vous traduire le greenwashing, ce langage qui permet à des entreprises et des décideurs politiques de se parer d’intentions écologiques qu’ils n’ont pas ? Si ce n’est pas le cas (ou pas totalement), le livre « Greenwashing, manuel pour dépolluer le débat public »*, pourra vous aider à y voir plus clair et à ne pas vous laisser duper. Essentiel si l’on veut agir de façon efficace pour la biodiversité et le climat. Et donc pour nous-mêmes.

 

Mécénat, plantation d’arbres, conception « eco-friendly », sponsoring d’événements sur le climat ou la biodiversité … Entreprises et décideurs politiques fourmillent d’idées lorsqu’il s’agit de montrer patte verte. Ils l’assurent : ils ont pris conscience du désastre environnemental et promettent de s’engager. Sont-ils sincères ? Pas toujours. C’est justement pour dénoncer l’hypocrisie de certains d’entre eux que l’on entend régulièrement parler de « greenwashing ».

Né en 1987, ce terme révèle toutes ses saveurs lorsque les auteurs de « Greenwashing : manuel pour dépolluer le débat public » – tous experts ou chercheurs au sein de l’Atecopol Toulouse (bonus)- décortiquent ses trois connotations en langue anglaise. Évoquant à la fois un lavage à la chaux (whitewashing), un lavage de cerveau (brainwashing), et une bouillie pour cochons (hogwash), le greenwashing désigne un savant mélange de dissimulation, de propagande et « d’inepties proférées pour tromper ».

Pour nous en faire comprendre la genèse, les auteurs remontent aux années 1960-1970, à l’heure où des voix se lèvent pour dénoncer les méfaits du productivisme et de la surconsommation. Face à ces critiques, les entreprises répondent d’abord par le dénigrement, discréditant la parole de leurs adversaires. Mais dans les années 1980, « certaines multinationales ont compris que cette stratégie allait à terme les acculer dans une impasse ». Elles tentent alors de reprendre à leur compte les critiques qui leur sont adressées. Et assurent agir pour l’environnement. Souvent à coup de promesses invérifiables ou d’actions dont l’ampleur est bien moindre que les nuisances qu’elles génèrent. Il peut aussi s’agit de pratiques plus discrètes comme l’usage massif de la couleur verte, de fleurs et autres jolis oiseaux dans leur identité visuelle.

 

Décoder le greenwashing 3Le greenwashing, un frein à l’action

Pourquoi le greenwashing est-il un problème ? Pas seulement parce qu’il constitue une tromperie. Tromperie envers le consommateur qui pense que l’achat de tel produit sera neutre pour l’environnement ; ou envers l’électeur qui croit voter pour un candidat à la hauteur des enjeux environnementaux. Il serait surtout, selon les auteurs, un frein à l’action. 

D’abord parce que l’usage à tort et à travers de ce langage risque de provoquer « un sentiment de saturation », avec l’impression que l’écologie est « partout et nulle part ». Rendant plus difficile l’acceptation – et la mise en œuvre – de mesures impactant la vie quotidienne. 

 

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Surtout, le greenwashing « exclut du débat les projets de transformation sociale qui remettraient en cause nos modes de vie et technologies, ainsi que le fonctionnement du capitalisme industriel », écrivent les auteurs. Il verrouillerait la pensée et donc, notre marge de manœuvre. « Alors qu’il faut changer de modèle, tout est fait pour continuer à croire que des modifications à la marge suffiraient. Comme troquer sa vieille voiture à essence contre un véhicule électrique dernier cri ». 

Le greenwashing serait en fait un moyen pour les acteurs dominants de « conduire les transformations » tout en « maintenant leur emprise ». Empêchant les alternatives qui leur seraient défavorables. « En verrouillant ainsi la trajectoire en cours, en nous faisant manquer des embranchements qui auraient pu se révéler salvateurs, le greenwashing participe dangereusement à réduire le champ des mondes encore possibles ».

 

Décoder le greenwashing 1Déjouer les discours creux

Alors que faire ? Les auteurs nous invitent à scrupuleusement gratter le vernis des discours teintés de vert. Avec comme outil cet ouvrage qui se présente comme « un manuel d’autodéfense intellectuel », sorte de « dictionnaire passant en revue les principaux domaines et concepts où le greenwashing est à l’œuvre de nos jours ».

De A à V, 35 scientifiques et experts détaillent ainsi les limites d’une vingtaine de termes largement usités. Ils détricotent par exemple les fausses promesses de la compensation carbone. Lui reprochant de presque toujours de « compenser une dégradation avérée au présent par des mesures aux effets futurs dont l’efficacité et la permanence ne sont jamais garanties ».

Ils dénoncent également la vacuité de certains labels liés à l’agriculture. Qu’il s’agisse d’agriculture « raisonnée » ou à « Haute valeur environnementale », dont les exigences s’avèrent bien maigrichonnes. 

 

Décoder le greenwashing« De nouveaux projets de société émancipateurs sont plus que jamais nécessaires »

Ils rappellent également pourquoi l’énergie décarbonée n’est pas aussi neutre qu’elle en a l’air. Les énergies qualifiées de propres pèsent ainsi sur les écosystèmes naturels et nécessitent l’extraction de ressources pas toujours renouvelables. 

De même, ils détaillent le fait que la quête absolue de croissance – au sens du Produit intérieur brut-, est, aussi verte soit-elle, incompatible avec la préservation du climat et de la biodiversité. « Du point de vue de l’urgence environnementale, la croissance verte est un pari collectif extrêmement risqué. Un peu comme sauter d’une falaise en espérant réussir à s’inventer un parachute avant de toucher le sol ». 

Une lecture qui a de quoi donner quelques vertiges. Des désillusions peut-être. Mais celles-ci sont essentielles si l’on veut éviter de pédaler dans le vide à l’heure où, écrivent les auteurs, « de nouveaux projets de société émancipateurs sont plus que jamais nécessaires ». ♦

 

*« Greenwashing. Manuel pour dépolluer le débat public ». Sous la direction d’Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières. Seuil. 256 pages. 19 euros

 

Bonus

 

  • L’Atecopol Toulouse – Lancé en 2018 et premier du genre, l’Atelier d’économie politique de Toulouse a vocation à créer une communauté pluridisciplinaire de scientifiques réfléchissant aux multiples aspects liés aux bouleversements écologiques. Il organise des séminaires ouverts au public, publie des articles et mène des actions de sensibilisation sur le rôle et les leviers d’action de la recherche pour faire face aux défis environnementaux. Il compte plus de 200 scientifiques membres. Et a inspiré puisque l’on trouve désormais des structures similaires à Paris, Marseille, Grenoble, Montpellier, Lyon, Dijon et Rennes.