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Toujours plus de monde aux grandes tables de Marie-Josée Ordener

Par Nathania Cahen, le 19 mai 2021

Journaliste

Marie-Josée Ordener- photo @ Caroline Dutrey

Marionnettiste dans une première vie, Marie-Josée Ordener a fini par changer de public pour régaler celui des Grandes Tables, un concept de restaurant pour lieux culturels né à Marseille, à la Friche La Belle de Mai. Qui a essaimé.Un changement de cap radical, penseront certains. Ils ont tort, le public, le geste, la générosité, et le partage sont toujours de la partie.

 

Deux univers imprègnent dès l’enfance cette femme solaire. D’abord le terroir et ses cultures. Du côté de Vaison-la-Romaine, où elle a grandi, ses grands-parents sont en effet vignerons et agriculteurs. Ensuite les marionnettes, que son père savait manipuler et animer. La petite Marie-Josée, elle, préférait les fabriquer, bricoler et bidouiller avec les tissus et les matériaux.

 

Le petit monde de Philippe Foulquié

Au jeu du « Je ne serais pas arrivée là si… » (une fameuse série du quotidien Le Monde), Marie-Josée Ordener répond « Philippe Foulquié » sans l’ombre d’une hésitation. L’homme lui a ouvert les portes des deux lieux qu’il a créés et dirigés à Marseille : le théâtre de marionnettes Massalia et la Friche la Belle de Mai.

2003 est l’année qui chamboule tout. Elle est encore marionnettiste. Mais ne craint pas de s’emparer des casseroles pour rassasier toute la troupe ! « À la Friche, la gestion la nourriture a longtemps posé problème, se remémore Marie-Josée. Les conditions de travail étaient précaires. Et les moyens, limités. » À cette époque, deux frichistes (Fabrice Lextrait et Philippe Saumande) viennent la tirer par la manche, car de gros travaux ont ravivé la question de la restauration – sa nature, son lien au lieu, à la culture, à l’art… De l’imaginaire gourmand du trio va naître le concept des Grandes Tables.

 

Marionnettes et cuisine, mêmes ingrédients
Marie-Josée Ordener tire les ficelles d’une cuisine généreuse 4
Choux Chantilly, Partition pour cul de poule et batteries de Marie-Josée Ordener Parvis de l’Opéra pour « Sirène et midi net » de Lieux Publics – février 2018 © photo Marion Ribon

Pendant quatre ans, Marie-José Ordener joue les marionnettistes-cuisinières. Puis choisit le théâtre des casseroles et tous ses possibles. Inspirée notamment par ses pérégrinations à l’étranger : « Avec les spectacles de marionnettes, j’ai pas mal voyagé. En Égypte par exemple, j’ai été émerveillée par la nourriture de rue. Simple, goûteuse, à partager. Pas forcément réalisée par des pro mais par des passionnés. Tout cela m’a donné des idées ».

D’emblée, le parallèle entre la marionnette et l’aliment lui saute aux yeux. « J’envisage l’objet, la matière et ce que je peux en faire. J’aimer manipuler, je suis sensible au geste. Un bout de chiffon, un petit rien peut susciter une émotion. Avec la cuisine, c’est un peu la même chose », considère cette artiste atypique. De là à établir une connivence entre une marionnette pas très chouette et un légume moche qu’une pincée de savoir-faire peut sublimer… Et puis dans une compagnie de théâtre comme dans une brigade de restaurant règne un certain esprit. Des fils invisibles courent.

 

Grandes Tables, le concept

En 2006, le restaurant Les Grandes Tables s’ouvre enfin aux gourmets et aux affamés, dans la salle des rouleaux de l’ancienne manufacture des tabacs. C’est l’architecte Matthieu Poitevin qui signe l’aménagement de cet espace de 400 m2.

Marie-Josée Ordener tire les ficelles d’une cuisine généreuse 7
Une partie de l’équipe @DR

Le cahier des charges ? « Une cuisine du quotidien, accessible aux résidents de la Friche, aux visiteurs, aux habitants du quartier. Raisonnée toujours, bio dès que possible. Un lieu de convivialité et d’échange. Un lieu d’expérience et d’ouverture », énumère l’ex-marionnettiste. Et de moins en moins d’impro – qui a un temps prévalu et plutôt bien fonctionné. Un chef cuisinier est bientôt venu la seconder, puis un pâtissier. Car à la Friche La Belle de Mai, quand le Covid ne s’en mêle pas, il y a du débit, de l’ordre de 200 couverts par jour. Toutes les alliances durables sont bienvenues, avec Les Alchimistes pour les déchets, avec la Scop Épice pour l’approvisionnement en céréales…

Le concept est né à Marseille mais il va essaimer bien au-delà. Sur le même modèle, d’autres Grandes Tables se sont montées, adoptées par des scènes nationales : La Criée et Le ZEF à Marseille, le Channel à Calais, La Comédie à Clermont-Ferrand. D’autres ont existé un temps plus ou moins long, au 104, à la Gaieté Lyrique ou l’Île Seguin à Paris, La Condition Publique à Roubaix…

 

 

Amener la cuisine partout
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Carriole « À tout’vapeur » conçue par Jean-Pierre Larroche, Cie Les ateliers du spectacle et le chef Christophe Dufau © Photo Ludovic Alussi

Aux Grandes Tables, la cuisine ne saurait se contenter des assiettes et des ventres. « Nous voulons permettre à des mondes séparés de se rencontrer. Notamment la culture, bien sûr, parce que le processus de création est très proche, en termes de don, de partage avec le public. Et toute l’émotion qui s’attarde dans la tête. Sans pour autant donner dans le repas-spectacle ! », commente Marie-José Ordener.

Alors les partitions culinaires se jouent hors les murs. À l’instar du projet des Grandes Carrioles, initié pour l’année « Marseille-Provence capitale de la culture » en 2013. À cette occasion, huit grandes carrioles ont été créées par des tandems chef-cuisinier et artiste. Elles sillonnent toujours les routes, ponctuellement. Sont invitées dans les écoles, pour des événements culturels festifs… Comme autant de castelets offrant, non pas une représentation de marionnettes, mais un spectacle de bistronomie -ou de piano.

 

Graine d’humanité avec le couscous
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Y a-t-il du son dans mon Kouss Kouss ? © Photo Caroline Dutrey

Beaucoup d’expériences ont été menées. Sans limites, l’imagination de Marie-Josée et de sa brigade flirte avec le social, la culture ou l’éducation. Comme le risque est grand de verser dans le catalogue, je préfère lui demander quelles sont celles qui l’ont marquée. Choisir parmi ses petits n’est jamais facile… Mais pour ce qui relève du social, de l’humain, la réponse fuse : « Y a-t-il du son dans mon kouss-kouss ? » ! Le projet est né en juillet 2020 dans le cadre de « Rêvons au théâtre », des ateliers post-confinement au théâtre de la Criée, pour des publics nouveaux.

Marie-José Ordener et l’association Because U Art ont l’idée d’une réflexion autour du couscous avec des femmes de quartiers populaires. « Au début, il y a eu une levée de boucliers, le couscous était cliché, lié aux traditions, anti-émancipation. Même si pour ces femmes monter de la graine avec de l’eau est sacrilège ». Alors a émergé l’idée de s’intéresser au son, aux sons du couscous. Le bruit des ustensiles, des gestes, des conversations. « Et toutes s’y sont mises ». Toutes, douze femmes, une de 19 ans, les autres de plus de 50 ans.

À la clé, un spectacle qui sera joué sur les planches de La Criée le 18 septembre prochain. « En 15 ans, je n’ai jamais éprouvé un tel frisson, s’émerveille encore Marie-Josée Ordener. Ce groupe de femmes est devenu une nouvelle famille ».

 

 

Des projets comme des herbes folles, mais comestibles
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Atelier cuisine à la crèche – Décembre 2019

Le projet le plus arty ? « Encatation » né en 2019 aux Grandes Tables du Channel, avec Alexandre Gauthier, le chef étoilé de La Grenouillère (Pas-de-Calais), et le circassien Johan Leguillerm. Un spectacle incroyable qui tenait de la performance culinaire, de l’expérience gastronomique.

Le plus durable et le plus écolo ? « Le niveau des trois carottes que la crèche À la Friche a décroché pour sa cuisine bio à 60% dont 40% de produits équitables. Le bio s’y décline aussi dans l’architecture, le chauffage, les couches… », se réjouit la cheffe des cuisines.

Le prochain ? Le Monticole, un tiers lieu culinaire dont l’ouverture a été retardée par les confinements successifs. Dans le quartier sensible de Plan d’Aou, au nord de Marseille, il sera à la fois foodlab, lieu d’inclusion, outil de mutualisation – promis, Marcelle vous y emmènera !

Aïe, Marie-Josée Ordener a failli oublier d’annoncer que la Friche Belle de Mai, forte de son nouveau statut d’entreprise d’insertion, accueille huit personnes en mai. Et qu’il y a un projet avec les Comores et un autre avec le Bénin. Que les Brigades Amateurs c’était chouette. Que la magie des dîners insolites est bientôt de retour… Mais, vous reprendrez bien une part de friche ? ♦

 

Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

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Dîners Insolites avec Provence Tourisme – Digue du Large – Juillet 2019 © photo JC VERCHERE

 

  • Pratique. Si vous voulez des renseignements sur les événements et projets des différentes Grandes Tables, c’est ici.