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Plus éco-responsable, la mode marseillaise ?

Par Agathe Perrier, le 29 octobre 2019

Journaliste

Aiga, Awahi, Corail, Catova… Ces marques ne vous disent peut-être rien, pourtant toutes ont un point commun : il s’agit de vêtements et chaussures fabriqués à partir de déchets. Plastiques principalement, mais pas seulement. Dernière tendance du moment ou indicateur d’un vrai changement de fond de l’industrie textile ? Je me suis rapprochée des principaux intéressés.

 

Plus éco-responsable la mode marseillaise ?
Les baskets conçues à 98% de plastique recyclé de la marque Corail © DR

Il ne vous aura pas échappé ces derniers temps que de nombreuses grandes marques de prêt-à-porter ont créé leur gamme éco-responsable. Des collections entières en matières bio issues du réemploi chez H&M et C&A, des jeans « eco-wash » (moins gourmands en eau, produits chimiques et électricité lors de leur fabrication) dans les boutiques Maje et Bonobo, des paires de basket en plastique recyclé signées Adidas… Les exemples ne manquent pas. Reste qu’il est difficile d’être sûr à 100% que ce n’est pas juste de la poudre aux yeux. « Il y a ceux qui le font car les consommateurs le veulent et d’autres parce qu’ils ne conçoivent pas d’agir différemment », reconnaît Jayne Estève Curé, directrice de la Maison Mode Méditerranée (bonus). Cette experte du monde de la mode se veut toutefois optimiste. « Produire d’une manière plus respectueuse de l’environnement est un des grands sujets du moment. Ça va finir par redevenir naturel pour tout le monde ». Certaines marques n’ont pas attendu le réveil général pour s’y mettre.

 

Le plastique, grande star de l’éco-responsabilité

Toute griffe éco-responsable qui se respecte porte un soin particulier au choix des matières premières. À quoi bon piocher dans les ressources de la planète quand il existe ailleurs de quoi créer ? Je parle évidemment des déchets en général. Et du plastique en particulier. Plus précisément le PET (polyéthylène téréphtalate), celui que l’on trouve dans les bouteilles. Des entreprises le transforment en fil utilisé ensuite pour tisser des vêtements en polyester recyclé (graphique ci-dessous).

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Polo en polyester recyclé de la marque marseillaise Catova © DR

Cela fait 10 ans que l’entreprise Catova, spécialisée dans le vêtement de travail, recourt à cette fibre pour concevoir principalement des polos et jeans. « Tout est parti du fait que les polyesters traditionnels n’avaient pas les qualités que l’on souhaitait pour nos produits. Ceux en mailles recyclées, au contraire, durent plus longtemps et les couleurs ne bougent pas », met en avant Éric Doucey, dirigeant de la PME marseillaise. Avec 13 bouteilles en plastique, c’est un polo qui voit le jour, avec 7, un pantalon. Soit un minimum de 237 000 bouteilles réemployées chaque année par l’entreprise.

Des marques plus récentes ont aussi fait le choix du PET comme matière première. C’est le cas notamment des vêtements de sport Awahi, dont Marcelle vous avait annoncé le lancement en juillet , ou encore des baskets Corail conçues majoritairement à partir de plastique repêché au large de la cité phocéenne.

 

Les enjeux environnementaux pris en compte

Si le plastique séduit, ce n’est pas uniquement parce qu’il est présent en quantité astronomique dans la nature. « Utiliser un fil en polyester recyclé réduit la consommation d’énergie de 60% par rapport à un fil en polyester pur », souligne Sandra Pasero, créatrice d’Awahi. Il permet également de baisser la consommation d’eau de façon drastique lors de la fabrication d’un vêtement. « 15 litres sont nécessaires pour un legging en polyester recyclé, contre 30 avec du polyester pur et 2 700 avec du coton ! ».

Même constat chez Catova, dont le directeur confie économiser 30 000 litres d’eau tous les cinq polos. « On est aussi très attentif à être locavore sur l’ensemble de nos achats, comme les teintures. Notre atelier est à Lyon et toutes nos matières premières proviennent d’un rayon de 100 kilomètres alentours », précise Éric Doucet. Seul le fil vient d’un peu plus loin, de chez nos voisins italiens. Idem pour Awahi : « La France est en retard en termes de réemploi. On ne sait pas faire ce type de fil ici alors qu’il existe depuis une vingtaine d’années en Asie », se désole Sandra Pasero.

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Les vêtements de sport d’Awahi © DR

Du recyclé mais pas que…

Il est cependant difficile pour beaucoup de marques de ne recourir qu’à des matières valorisées dans leurs productions. Chez Awahi, les vêtements contiennent 16% d’élasthanne, indispensable pour garantir l’élasticité – critère incontournable de toute bonne tenue de sport. Lorsqu’il s’agit de chaussures, la difficulté est encore plus grande. « Tout juste » 30% de recyclé dans la semelle des sandales de piscine Aiga, toute nouvelle marque marseillaise. « Sans quoi la semelle serait trop rigide. Elle est donc majoritairement composée de gomme. Mais le reste de la claquette est recyclé », explique Lola Pelinq. Avec son cousin Théo Lauricella, ils ont imaginé une chaussure à base de déchets marins (pare-battage, fil et filet de pêche, cordon) récupérés auprès d’associations locales. Les premiers exemplaires sont attendus pour l’été prochain.

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La sandale conçue en plastique et déchets marins de la marque Aiga © DR

Du côté des baskets Corail, même concession pour la semelle. « Elle se compose de caoutchouc naturel à 30%. Les 70% restants sont en plastique recyclé que l’on récupère en rémunérant des pêcheurs marseillais », détaille Alexis Troccaz, co-fondateur de cette marque installée à Paris. Du cuir vegan vient ensuite renforcer le dessus de la chaussure. Avec l’avantage qu’il est lui aussi issu de déchets, mais de pommes cette fois.

 

Les grands noms marseillais s’engagent aussi

Les jeunes créateurs locaux ne sont pas les seuls à suivre le mouvement éco-responsable. Des marques connues et plus anciennes, comme Kaporal ou American Vintage pour ne citer qu’elles, ont également entamé le virage. La première récupère les jeans usagés de ses clients en échange de bons d’achat pour en faire de nouvelles pièces (relire notre article sur Kaporal), quand la seconde a confié la conception de ses denims à une entreprise spécialisée dans la fabrication éco-responsable (située cependant en Tunisie). « La transformation de notre industrie, de notre fonctionnement, vers quelque chose de plus propre et respectueux de l’environnement est à la fois une tendance et un changement de fond correspondant aux nouvelles valeurs qui s’installent. N’oublions pas que la mode est un reflet de la société », rappelle Jayne Estève-Curé.

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Jayne Estève-Curé, directrice de la Maison Mode Méditerranée © DR

Avec 480 milliards de bouteilles plastiques produites dans le monde (chiffre de 2016), cette matière première a encore de beaux jours devant elle. Les jeunes marques qui l’utilisent sont pourtant unanimes : il faut arrêter de créer des déchets. Elles stopperont d’ailleurs leur activité si cette ressource vient à manquer, ou lui trouveront un substitut. Environnement compatible, cela va de soi ! ♦

* Nos soutiens 9parraine la rubrique « Environnement » et vous offre la lecture de cet article dans son intégralité.

 

 

 

Bonus [pour les abonnés]

  • Retrouvez les actualités des marques éco-responsables citées dans cet article ici : Awahi, Catova et Corail. Aiga ne dispose pas encore de site internet ni de comptes sur les différents réseaux sociaux.
  • La Maison Mode Méditerranée de Marseille est un institut fondé en 1988 par Maryline Bellieud-Vigouroux, qui en est restée présidente jusqu’en 2018. Il révèle et accompagne les jeunes designers, en France et en Méditerranée, grâce à des formations et au festival OpenMyMed.
  • À voir : l’enquête « Plastique : la grande intox » de Cash Investigation. « Dans le monde, dix tonnes de plastique sont produites chaque seconde. Un dixième finit dans les océans, laissant présager qu’en 2050, il y aura plus de plastique que de poissons dans la mer. Face à ces chiffres effarants, Élise Lucet et son équipe partent explorer ce « continent plastique » qui ne cesse de grandir. Les responsables ? Les grandes marques qui s’acharnent à développer une addiction à cette matière. Pour éviter d’endosser la responsabilité de la pollution, certains industriels ont trouvé la parade : la mettre sur les épaules des consommateurs. Enquête sur les stratégies secrètes de l’un des géants mondiaux des sodas et les promesses de recyclage des emballages ».