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Marseille, ville sol(id)aire

Par Nathania Cahen, le 2 novembre 2022

Journaliste

À Marseille, 200 000 personnes sont considérées comme pauvres : personne seule vivant avec moins de 1000 euros par mois ou famille avec deux enfants avec maximum 2500 euros par mois.

À Marseille, la pauvreté touche 26% de la population locale et les inégalités sont légion. Est-ce pour autant une fatalité ? Non veulent démontrer celles et ceux qui refusent cet état de fait. Fondation de Marseille, Marseille Fraternelle, Nuit du Bien Commun, L’école au présent, restaurant solidaire Le République… : de multiples initiatives vertueuses, mais surtout efficaces, prouvent que la solidarité n’est pas un vain mot. Que la générosité ne se résume pas à un concept.

Cet article est paru simultanément dans le premier mook de Reporters d’Espoirs, Ensemble on va plus loin

 

Postée aux portes du Sud, grand port sur la Méditerranée, Marseille accueille depuis toujours des migrants du monde entier. Mais ne peut en absorber toute la misère. Des fondations, des associations, des collectifs et des idéalistes, à l’image dont ceux dont je vous parle dans cet article, s’efforcent donc d’en faire une ville d’accueil et d’intégration. De gommer cette vilaine zébrure qui trace une limite entre un nord de cités pauvres et des quartiers moins déshérités.

 

La Fondation de Marseille, outil financier neutre, apolitique et laïque

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Durant la pandémie, une enveloppe a été allouée à l’association Les Femmes du Plan d’Aou pour parer la précarité de certaines familles de la cité ©DR

C’est par exemple la Fondation de Marseille, créée en février 2020 par un quatuor de « philentrepreneurs » – cette génération de philanthropes qui a le cœur sur la main et un œil sur les finances. Tous avaient des accointances avec l’engagement social et partageaient l’envie d’une ville plus solidaire.

Fabrice Necas, Fabrice Alimi, Cyril Zimmerman, et Christophe Baralotto ont à peine eu le temps d’exposer leurs ambitions. De présenter leur modèle : un outil financier neutre, non politique et laïque ; des solutions innovantes et solidaires pour servir l’égalité des chances ; la recherche d’un retour social sur investissement. Déjà déferlait le tsunami coronavirus. Très vite, devant l’ampleur de la crise sanitaire, éducative, alimentaire et sociale liée à la pandémie, ils décident alors de se focaliser sur les urgences. Leur fondation a trois mois quand ils lancent #MarseilleSolidaire pour soutenir, voire accélérer les actions qui germent un peu partout. Pour éviter la catastrophe humanitaire qui se profile dans certains quartiers.

 

Au premier confinement, 200 000 euros en trois semaine

En trois semaines, elle récolte 200 000 euros de dons engagés provenant de 170 particuliers (dont des patrons en leur nom propre) et 30 entreprises. Parmi ces dernières, les fondations Onet, Daher et La Compagnie Fruitière, Marsatwork, Invest in Provence, ou le cabinet d’avocats Braunstein. La Fondation de Marseille reçoit aussi le soutien d’artistes comme les rappeurs Alonzo et Akhenaton, ou le comédien Gregory Montel (le Gabriel de la série Dix pour cent).

Ces dons ont déjà financé une dizaine de projets et aidé plusieurs milliers de personnes. Ainsi des Femmes du Plan d’Aou, du nom d’une cité des quartiers nord. Cette association avait signalé la précarité d’une cinquantaine de personnes âgées et d’une dizaine de familles avec enfants. Une subvention a permis de fournir une aide alimentaire d’urgence, soutenir les mamans dans l’accompagnement pédagogique des enfants (garde et aide aux devoirs), assurer la surveillance des personnes vivant seules et la livraison des médicaments pour les malades.

En deux ans d’existence, la Fondation de Marseille a déjà su convaincre 40 entreprises. Récoltant ainsi près de 800 000 euros pour soutenir des projets touchant au logement, l’éducation et l’emploi.

 

 

Marseille Fraternelle veut bâtir la capitale du Nous

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Marseille, capitale du Nous ©Marcelle

Dans cette ville clivée, Tarik Ghezali (La Fabrique du Nous) et Nathalie Gattelier (Apprentis d’Auteuil) ont lancé en 2021 une dynamique informelle regroupant une centaine d’acteurs, « Marseille Fraternelle« .

Ces agitateurs du vivre ensemble mobilisent régulièrement une belle communauté de ‘’créateurs de liens’’ issus de tous horizons : social, entreprise, culture, éducation ou médias (dont Marcelle). « Marseille Fraternelle, c’est une dynamique informelle et sans chichi pour démultiplier les rencontres qui font du bien. Et fabriquer plus de ‘’Nous’’  », résume le duo. Son objectif ? « Recréer du lien dans notre ville fracturée ».

Cette fabrique de projets atypique compte une vingtaine d’actions à son actif. Comme ‘’Le Grand Bain’’, dispositif de jumelage d’écoles marseillaises aux réalités sociales diverses. Il permet aux élèves de partager des « expériences et apprentissages fédérateurs et créateurs de lien », autour du sport, de l’art, de l’environnement, du patrimoine… Mais aussi de développer les compétences du 21e siècle : créativité, empathie et coopération.

 

400 800 euros lors de la Nuit du Bien Commun à Marseille

Marseille, ville sol(id)aire 5Paris et d’autres villes de l’hexagone avaient déjà connu la fièvre d’une Nuit pour le Bien Commun. Marseille a enfin eu la sienne au mois de mai. Le principe ? Des enchères en faveur de dix projets œuvrant pour le bien commun d’un territoire donné -ici, le sud), coordonnés par la Fondation de France et la start-up Obole, spécialiste de levées de fonds.

Tous les domaines sont concernés, éducation, formation, vulnérabilité, santé, environnement, culture… Cette première dans la cité phocéenne a permis de récolter 400 800 euros auprès de 569 donateurs. Des fondations, des entreprises mais aussi une multitude de privés.

 

 

Scolariser les enfants roms…

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Jane Bouvier et ses jeunes protégés ©Fondation de France

Depuis dix ans, inlassablement, Jane Bouvier sillonne Marseille au gré de ses bidonvilles et de ses squats pour remettre les enfants déscolarisés, bien souvent roms, sur le chemin de l’école et des apprentissages. Ils sont près d’un millier à avoir croisé son regard pétillant, l’avoir vue extirper cartables et cahiers neufs du coffre de sa voiture. À l’avoir observée, penchée sur un coin de table ou accroupie dans la rue, pour remplir dossiers d’inscription, de cantine, fiches de santé, et documents administratifs.

Tout a commencé en 2012. Un fait divers sordide fait  alors dévier sa trajectoire : des habitants de la cité marseillaise des Créneaux mettent le feu au squat voisin où vivent des Roms. « Les propos tenus par les riverains et certains élus m’ont ulcérée. J’ai ressenti le besoin urgent de faire quelque chose ». Elle rejoint un collectif solidaire, participe à la réquisition d’une caserne. « Je m’étonne que les enfants ne soient pas scolarisés. Souligne que cela me semble une priorité… On me répond : fais-le, toi ! ». On ne lui a pas dit deux fois. Jane a monté son association, L’École au Présent. Elle n’a cessé depuis lors de prouver les vertus de la ténacité et de l’idéalisme.

Son engagement lui a par ailleurs inspiré un album jeunesse illustré, « Sabi et Tereza – La nuit du trésor »*, paru en mai 2022.

 

1 euro le menu au restaurant solidaire Le République

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Zina, Nacera, Dimitri… venus en bande via la Maison pour Tous de la Joliette @Marcelle

Le restaurant solidaire Le République a lui vu le jour début 2022, pour réunir privilégiés et démunis à la même table. Certains convives payent 25 euros leur menu, d’autres 1 euro. « Mais, précise bien le chef Sébastien Richard, ils déjeunent dans le même espace et en même temps ». C’est différent au Refettorio de Paris, dont il s’est inspiré, qui accueille un public d’affaires pour le déjeuner et précaire pour le dîner. Pour pouvoir déjeuner ou dîner ici, les bénéficiaires (environ 2200 cinq mois plus tard) doivent passer par les associations et organismes partenaires. Centres d’hébergement d’urgence, Croix-Rouge, Samu Social, associations des quartiers prioritaires, d’étudiants…, se chargent de la réservation.

Et le tour de force financier de confectionner des repas à un euro ? Il repose, outre des aides publiques et privées, sur des producteurs et fournisseurs bienveillants, les adhésions à l’association et 10% des additions « normales ». Le République est également entreprise d’insertion ; cela concerne 12 des 21 salariés du restaurant, âgés de 20 à 45 ans.

On pourrait continuer à dérouler cette liste exhaustive, tant sont nombreuses les actions constructives et solidaires qui émaillent Marseille. À commencer par les historiques Secours Populaire, Secours Catholique et Croix Rouge. Très dense, le réseau associatif marseillais est bien davantage qu’un cataplasme : un système qui pourvoit aux faiblesses d’institutions souvent dépassées. ♦

*Sabi et Tereza – La nuit du trésor. Jane Bouvier et Diane Morel. Editions la Pimpante. 14 euros

 

*La Fondation de France Méditerranée parraine la rubrique Société et partage avec vous la lecture de cet article*