Fermer

Maurice Audier, certifié bio avant l’heure

 
Gabriel, Magali, Danièle et Maurice, quatre générations de la famille Audier sous le même toit de verre où poussent des fruits et des légumes bio depuis près de 50 ans. Un record et une fierté.

Par Hervé Vaudoit, journaliste

Maraîcher à Aix-en-Provence depuis plus de 70 ans, ce pionnier de la culture biologique s’est converti en 1970, une époque où faire ce choix relevait de l’utopie, sinon de la folie douce. Nonagénaire et toujours vaillant, Maurice ne l’a jamais regretté. Aujourd’hui, on le consulte comme un vieux sage. Mais rien, dans son discours et ses pratiques, ne verse dans la nostalgie. Je l’ai rencontré sur ses terres.

 

La meilleure promotion des méthodes qu’il emploie depuis près de 50 ans pour cultiver fruits et légumes, c’est lui-même. A le voir gambader entre ses rangs de fenouils et de courgettes, l’arrosoir à la main et l’œil aux aguets, on se dit en effet que vivre et travailler sans pesticides quand on est maraîcher, ce n’est sans doute pas la pire décision à prendre dans une vie, pour peu qu’on la souhaite longue et en bonne santé. À 91 ans passés, Maurice Audier semble n’avoir rien perdu de son énergie et de sa vivacité d’esprit. Le doit-il à son mode de vie 100% bio ? Qui sait ? Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’en presque un demi-siècle de pratique, il a acquis des connaissances et un savoir-faire que peu d’experts certifiés en biologie végétale peuvent revendiquer. Quand bien même il n’aurait pour tout diplôme qu’un certificat d’études, comme la grande majorité des hommes de sa génération nés à la campagne.

Maurice Audier, certifié bio avant la mode

Les méthodes ancestrales avant les serres

Au fil de sa carrière, l’agriculteur aixois a connu tous les états de la science agronomique. À ses débuts, il s’appuie seulement sur les méthodes traditionnelles et ancestrales transmises par son père, Marius, lui-même dépositaire d’un héritage légué par 14 générations de jardiniers. « Un enseignement oral et gestuel », raconte Maurice, qui fait ses premiers pas en 1942.

Après guerre, s’ouvre l’ère du productivisme triomphant, encouragé par les autorités et les savants. Il faut alors reconstruire la France et nourrir tous ceux qui participent à l’effort. Marius se convertit sans rechigner au modernisme ambiant et à son cortège de nouveautés. À commencer par l’ajout d’engrais chimiques, des produits miracle qui font pousser les légumes plus vite et les font devenir plus gros.  « Mon père était réticent. Moi pas », convient-il. Comme tous ses voisins, il accroit alors sa production dans des proportions inédites, s’affranchit des saisons et des pauses biologiques.

Mais la médaille a son revers. « En utilisant les engrais, on force la végétation et cela créé des déséquilibres », constate très vite le jeune homme d’alors. D’autant qu’à la même époque, les maraîchers découvrent une autre technique miraculeuse : la culture sous serre, qui permet de produire plus tôt, en primeur, l’objectif secret de tout jardinier. « Amener ses produits sur le marché avant les autres, c’est ce que tout le monde cherche encore à faire », explique-t-il. Sauf que, avec les serres, un abri où il y a toujours de quoi manger quand dehors, il n’y a plus rien, les insectes ravageurs ont proliféré d’une saison sur l’autre, au lieu de disparaître dès les premiers froids. « Il a donc fallu utiliser des insecticides, de plus en plus d’insecticides… », déplore Maurice. La spirale infernale était enclenchée.

 

Un poison et des questions

Maurice Audier, certifié bio avant la mode 2Tout au long des années 1950 et 1960, il produit ainsi pour la grande distribution. « Ils payaient un très bon prix, mais exigeaient des produits irréprochables d’aspect. On y allait donc gaiement avec les engrais et les phytosanitaires », se souvient-il. Jusqu’à ce qu’il s’intoxique dans les serres avec du sulfate d’atropine. « À l’époque, précise-t-il, les commerciaux qui nous vendaient ces produits ne parlaient jamais de précautions d’emploi, de protection. » Cette nuit-là, il croit bien sa dernière heure venue. C’est le lendemain, alors qu’il ressent encore les effets du poison, qu’il commence à réfléchir sur ses pratiques. Nous sommes alors en 1969. Maurice doit payer le crédit contracté pour les serres. « J’ai continué, mais ma fille était petite et ma femme m’a demandé de lui laisser un petit coin pour faire pousser les choses que nous allions manger nous. » Un deuxième signal d’alarme après l’intoxication. Le troisième ne tardera pas, sous la forme d’une cargaison de choux refusée par la centrale d’achat avec laquelle il travaillait parce que deux chenilles, pas plus, avaient été détectées au moment du déchargement. « Pour ne plus risquer d’en avoir, il aurait fallu que je monte encore les doses de produits chimiques, ce que j’ai expliqué à l’acheteur, se souvient le maraîcher. Il m’a alors répondu : « ça, c’est votre problème, pas le mien ». C’est à ce moment là que je me suis dit qu’il valait mieux arrêter ».

 

En 1970, le bio, ça n’existe pas

La décision n’est pas facile à prendre, notamment d’un point de vue économique. Mais Maurice est soutenu par son épouse et par Marius, qui trouve lui aussi le modernisme un peu trop dangereux et incertain quant à ses conséquences sur la santé des êtres vivants. Début 1970, la culture biologique, sans intrants chimiques, c’est d’autant plus compliqué à envisager que ça n’existe alors nulle part. Moins de trente ans après l’apparition des premiers engrais, les paysans ne savent déjà plus se passer de la chimie, comme un drogué de sa poudre Maurice Audier, certifié bio avant la mode 3blanche.  Hormis les traités d’agronomie du 19e et du début du 20e siècle, il n’existe aucun manuel, aucune norme pour produire de la nourriture sans produits artificiels et valoriser cette différence. L’idée, pourtant, séduit son banquier, qui sera aussi un des premiers clients de la société qu’il fonde en 1970 pour se lancer : Cereprim. Comme Cérès, la déesse romaine de l’agriculture, et prim, pour primeurs.

Ainsi sont nées la toute première exploitation et la toute première boutique de fruits et légumes de Provence cultivés sans pesticides ni engrais chimiques. Quarante huit ans plus tard, l’entreprise s’est dédoublée : d’un côté, Cereprim, pour la vente en boutique et la distribution de produits bio ; de l’autre Cereplant, pour la production de fruits, de légumes et de plants à repiquer vendus aux professionnels et aux particuliers. Une dizaine de salariés travaillent pour l’ensemble, aux côtés de Maurice, de son épouse, Hélène, de sa fille, Danièle, et de sa petite-fille, Magali. Après avoir compté jusqu’à 4 hectares au bord de l’Arc, à la sortie sud d’Aix-en-Provence, l’exploitation ne s’étale plus aujourd’hui que sur 1,6 hectare, dont près de 6000 m² de serres.

 

Pour lutter, il faut savoir !

Entre la décision de ne plus jamais acheter un sac de produit phytosanitaire et l’entreprise solidement installée que l’on connait aujourd’hui, c’est peu dire que Maurice Audier n’a pas compté ses heures. Dans sa terre, mais aussi dans les livres et auprès des scientifiques, à l’époque seuls capables d’apporter des réponses étayées aux questions fondamentales qu’il se posait sur les pratiques agricoles et leur évolution. « Au début des années 70, souffle le maraîcher, la recherche agronomique restait dans les labos, elle ne descendait jamais dans les champs. Les agriculteurs ne savaient rien de ces travaux. » Lui décide de s’y intéresser. Il veut savoir comment lutter contre les insectes ravageurs et les maladies des plantes sans intrants chimiques. Une amie infirmière lui apprend qu’un labo de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) travaille précisément sur la lutte biologique, à Sophia-Antipolis. Il prend rendez-vous avec le directeur et déboule un beau matin. Là, il rencontre un jeune thésard qui étudie une micro-guêpe très friande de pucerons. Sauf que, à l’époque, on lui fait comprendre que ce type de lutte ne fait pas partie des priorités stratégiques en matière de politique agricole. Leur collaboration ne pourra donc être que clandestine.

 

La chimie, non. La science, oui

Un premier contact fructueux avec les scientifiques qui en amènera d’autres, beaucoup d’autres, tout au long de sa carrière. Car Maurice Audier a certes tourné le dos à l’agrochimie et au productivisme, mais il est toujours resté à l’écoute de la science et de ses découvertes, dès lors qu’elles permettaient de mieux comprendre – et donc de mieux domestiquer – les mystères de la nature. Ainsi a-t-il toujours fui les ayatollahs du bio, les groupements et les associations de toutes sortes, parce qu’il n’a jamais pu s’empêcher de douter de leurs intentions et de leurs pratiques. Au début des années 1990, il a d’ailleurs participé indirectement à la mise en place de la première règlementation, après avoir reçu une pléiade de hauts-fonctionnaires envoyés par le Maurice Audier, certifié bio avant la mode 4ministère de l’Agriculture, « parce que personne n’y comprenait rien à Paris ». Il leur explique alors que les seuls « labels » existants ont été créés par les fabricants de produits utilisés en agriculture biologique et qu’il suffit de s’approvisionner auprès de ces fabricants pour avoir droit au logo AB.

 

Le bio avec, c’est mieux que le bio sans

La loi de 1992 y mettra bon ordre, mais Maurice continue de pester contre des règlementations et des pratiques qui tiennent, selon lui, insuffisamment compte des réalités de la nature et de la biologie des sols. « Aujourd’hui, regrette-t-il, le bio c’est une culture ‘’sans’’. Sans pesticides et sans engrais chimiques. On est donc à peu près sûr de ne pas avoir de résidus dans ce qu’on mange. Mais on n’est pas sûr du tout d’avoir les bons nutriments et les bons minéraux en quantité normale, c’est-à-dire à la mesure de ce qu’un sol bien équilibré, en bonne santé, est capable d’offrir à la plante. C’est pour ça que chez moi, on affiche les analyses de sol. Ici, on fait du bio ‘’sans’’, mais surtout ‘’avec’’, car c’est au moins aussi important. C’est ce que j’appelle le bio XXL. » A l’opposé des orientations récentes de la Commission européenne, qui a par exemple autorisé l’appellation « bio » pour des tomates produites, certes sans intrants, mais hors-sol, « c’est-à-dire sous perfusion », selon Maurice. Inutile de dire à quel point cela le met en rage. Et lui donne envie de continuer à se battre pour produire, manger et vivre sainement.

— La rubrique alimentation est soutenue par le Fonds Epicurien

 

Bonus

  • Céréprim c’est aussi un magasin situé 535, av du Club Hippique à Aix-en-Provence Tél. : 04 42 59 00 35. Ouvert du lundi au vendredi de 9h à 12h et de 14h à 19h30 et jusqu’à 18h le samedi.
  • Des partenariats ont été noués avec le lycée agricole de Valabre, le GRAB (Groupe de recherche en agriculture biologique), les paniers bio Ma Terre, le grossiste en alimentaire bio Relais Vert à Carpentras, et le fabricant de produits d’entretien écologiques Étamine du Lys.