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« Les petits maux du quotidien constituent le terreau des violences sexuelles »

Par Maëva Danton, le 27 février 2023

Journaliste

Le féminisme, Maxime Ruszniewski en connaît un rayon. Conseiller au ministère des Droits des femmes de 2012 à 2014, il a aussi participé à la création de la Fondation des femmes et est aujourd’hui à la tête de Remixt, une entreprise de sensibilisation sur les sujets de diversité et d’inclusion. Il vient de publier un ouvrage pour aborder le féminisme de manière très concrète, au quotidien. Un livre riche et accessible à tous. Qui mêle arguments utiles pour les repas de famille, conseils pratiques (à destination des hommes et des femmes) ou encore rappels historiques. L’auteur a accepté de répondre à nos questions.

 

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Maxime Ruszniewski © Thibault Stipal, éditions Marabout, Hachette
Marcelle – Pour certains, le féminisme est une évidence. Pour d’autres, le terme est clivant, renvoyant à une forme de guerre des sexes. Vous, comment le définissez-vous ?

Maxime Ruszniewski – Je le définis comme un mouvement qui prône l’égalité entre les femmes et les hommes. Et uniquement cela. Certains ne sont pas à l’aise avec ce terme qu’ils trouvent en effet clivant. Quand on demande à un public qui est pour l’égalité des sexes, tout le monde lève la main. Mais si on demande qui est féministe, seule la moitié voire un quart lève la main. Je pense que du côté des hommes, il y a le sentiment que ce combat est réservé aux femmes. Et chez les femmes, la crainte d’être enfermée dans une case et de n’être vue qu’à travers son genre. Pourtant, le féminisme ce sont des pistes d’action pour réaliser l’égalité réelle. Ce n’est ni excluant, ni stigmatisant. 

 

Votre livre se présente comme un « manuel ». Comment l’avez-vous construit ? Et à qui s’adresse-t-il ?

J’ai voulu faire quelque chose de très concret en reprenant les questions que l’on me pose depuis une dizaine d’années. J’ai souhaité traiter de questions du quotidien : des tâches ménagères au sexisme au travail en passant par les violences sexuelles. Il s’adresse autant aux hommes qu’aux femmes. Pas aux hommes déjà très au fait sur tous ces sujets, ni aux masculinistes qui sont totalement opposés à l’égalité. Mais à la majorité des hommes qui voient bien que quelque chose a changé dans la société et qui ne savent pas trop comment s’engager.

 

Qu’est-ce que les hommes ont à gagner en s’engageant dans le féminisme ?

Les hommes vivent en société. Ils ont peut-être une femme, des enfants, des sœurs, une mère… Et même d’un point de vue strictement personnel, je suis persuadé que les hommes perdent certains privilèges avec le féminisme, mais qu’ils en gagnent d’autres. J’ai réalisé un documentaire sur le congé paternité en Norvège (bonus) où les pères disposent d’un congé minimal de quinze semaines qui ne peut être cédé à l’autre parent. On voit qu’ils sont beaucoup plus épanouis et en meilleure santé car ils se rendent plus fréquemment chez le médecin pour leur enfant. Ils entretiennent des relations plus fortes avec leurs enfants. C’est un cercle vertueux qui contribue à rendre la société plus inclusive et apaisée. 

 

Ce livre aborde de nombreux sujets : tâches ménagères, culture, sexisme au travail … et s’achève sur les violences sexistes et sexuelles. Est-ce une façon de dire que tout est lié ?

Oui, tout est lié. Les gens ne réalisent pas comment les maux du quotidien – y compris de petites choses comme le manspreading [qui consiste, pour un homme, à prendre beaucoup de place lorsqu’il s’assoit dans un lieu public ou dans les transports, ndlr] ou les blagues sexistes … – constituent le terreau des violences sexuelles. Toutes ces petites choses nous montrent que le schéma patriarcal est partout. Si on veut réduire les violences, il ne faut négliger aucun des comportements de ce type.

 

Vous parlez beaucoup des tâches ménagères dans cet ouvrage (bonus). Avec des conseils pratiques pour mieux gérer leur répartition dans le couple. Pourquoi est-ce particulièrement important pour vous ?

Les tâches ménagères sont un peu le plafond de verre du féminisme. Tout le monde doit en être conscient. Si ces inégalités perdurent, c’est aussi parce que les femmes n’ont pas les outils et sont résignées. Beaucoup ont lâché l’affaire de peur de provoquer une énième dispute qui va les fragiliser encore plus. Je donne donc des clefs d’entrées pour aborder le sujet de façon apaisée, sans conflit. Du côté des hommes, beaucoup ont l’impression de faire leur juste part. Mais en matière de temps et de pénibilité, même si on note quelques lentes améliorations, ils en font encore bien moins que les femmes. 

 

♦ Lire aussi : La contraception est aussi une affaire d’hommes

 

Dans votre livre, vous dites que les politiques publiques qui sont menées en France en matière d’égalité entre hommes et femmes sont encore très loin du compte. Quelles devraient être leurs priorités d’actions selon vous ?

La priorité, ce sont bien sûr les violences faites aux femmes. Et on peut pour cela s’inspirer de l’Espagne, comme le suggèrent depuis des années les associations féministes. Celles-ci réclament un milliard d’euros contre les violences. Avec la construction de logements pour les femmes, des tribunaux spéciaux, sans oublier l’éducation, qui est la clef de voûte sans laquelle rien ne se fera. Il faut aussi mettre le paquet sur les stages de rééducation des hommes violents. 

 

Mais ces politiques ne sont pas toujours faciles à mener. Vous avez été conseiller au ministère des Droits des femmes de 2012 à 2014 et avez vu ce que le projet d’ABCD de l’égalité (bonus) porté par Najat Vallaud Belkacem a porté de fantasmes. On parlerait aujourd’hui de fakenews. Quant aux cours d’éducation à la sexualité prévus à l’école, ils sont très peu effectifs dans la pratique. Pourquoi est-ce si difficile en France d’agir sur l’éducation à l’égalité ?

feminisme, maxime, ruszniewskiDans le cas des ABCD de l’égalité, on a assisté à une agrégation de forces qui ne se parlent habituellement jamais. Des extrémistes religieux de tous bords qui se sont unis pour mener une campagne de déstabilisation. Disposant des moyens tentaculaires de personnes qui ne veulent pas l’égalité et qui peuvent faire la loi si les défenseurs de l’égalité ne se soudent pas davantage. Il faut bouger sans cesse. Sinon c’est le camp du patriarcat qui tire les ficelles. 

Concernant l’éducation à la sexualité, il est vrai que l’éducation est assez démunie et qu’elle manque de moyens. Mais il ne faut pas compter que sur les politiques. C’est une obligation légale. Il faut que les parents interpellent les équipes pédagogiques et ne lâchent pas l’affaire.

 

Vous écrivez que les jeunes hommes sont de plus en plus nombreux à rejoindre les marches féministes, que ce soit le 8 mars ou le 25 novembre (Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes). Un effet MeToo ?

Je pense que oui. Cette génération n’en peut plus d’attendre. Elle a grandi avec une plus grande visibilité de ces sujets. C’est cette même génération qui descend dans la rue pour le climat. Elle n’est plus prête à accepter n’importe quoi. Ni dans la société, ni dans les entreprises pour lesquelles elle travaille. 

 

Mais d’un autre côté, on assiste à des stéréotypes de genre accentués dans certains programmes télévisés. On voit aussi grandir un mouvement masculiniste très puissant qui cherche à influencer les jeunes hommes sur internet. Et la dernière enquête du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes est préoccupante. On y apprend par exemple qu’un quart des hommes de 25-34 ans pense qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter, ou encore que 40 % estiment normal qu’une femme s’arrête de travailler pour s’occuper de leurs enfants. Assiste-t-on à une scission entre les jeunes hommes sur ces sujets ?

Il y a un grand écart entre une génération Z plus féministe et tout ce mouvement masculiniste qui lutte contre l’égalité. Entre ces deux extrêmes, beaucoup n’arrivent pas à se situer. C’est important d’être attentif à ces mouvements antiféministes, de comprendre leur réflexion car si on ne le fait pas, ces personnes risquent de se radicaliser. L’égalité hommes-femmes n’est pas acquise. Et ceux qui y sont opposés disposent d’outils redoutables pour l’empêcher. ♦

*Petit manuel du féminisme au quotidien, de Maxime Ruszniewski. Éditions Marabout, février 2023 – 18,90 euros

 

*La Fondation de France – Méditerranée parraine la rubrique Société et partage avec vous la lecture de cet article*

 

Bonus

[pour les abonnés] – Ce terme : féminisme – Tâches ménagères – Les ABCD de l’égalité – Sur l’expérience suédoise –

 

  • Féministe, un terme que peu s’approprient – En France, d’après un sondage BVA « Les Français et le féminisme » que cite l’auteur, 59 % des femmes se qualifient de féministes contre 54 % chez les hommes. Reste que le terme véhicule bon nombre d’idées reçues. Certains ne se reconnaissent ainsi pas dans cette étiquette bien qu’ils soient favorables à l’égalité entre les hommes et les femmes. À l’inverse, certains se revendiquent féministes sans pour autant l’être dans la pratique.
  • Tâches ménagères : peut mieux faire ! – On peut chiner divers chiffres dans le livre de Maxime Ruszniewski. On y apprend par exemple que 73 % des Françaises estiment « faire plus » de tâches ménagères que leur conjoint. Et se sont le plus souvent elles qui se chargent des tâches les plus ingrates : le linge (85 % des femmes s’en occupent), le nettoyage de la salle de bains (78%) et du sol (72%). Des chiffres qui, rappelle l’auteur, « ont peu évolué en quinze ans ». Et lorsqu’elles tentent d’en parlent avec leur conjoint, cela finit pour 48 % d’entre elles en disputes régulières sur ce sujet.

 

♦ A (re)lire : Une sexualité épanouie pour tous les jeunes

 

    • Les ABCD de l’égalité – Défaire les stéréotypes de genre dès le plus jeune pour éviter qu’ils prolifèrent et entravent la vie des futurs citoyens. Voilà l’idée des ABCD de l’égalité expérimentés dès 2013 en France dans 600 classes d’écoles maternelles et élémentaires, mettant à disposition des enseignants de nombreux outils pédagogiques, et s’appuyant sur des matières déjà existantes comme l’art plastique ou l’EPS pour sensibiliser à l’égalité entre filles et garçons. Mais très vite, le projet fait l’objet d’une impressionnante campagne de déstabilisation. Des personnalités rattachées à l’extrême droite accusent le ministère de l’Éducation de vouloir enseigner la théorie du genre -théorie qui n’existe pas en tant que tel- et de vouloir enseigner aux enfants la masturbation au travers de cours pratiques. Des parents s’affolent. Le projet sera finalement abandonné. Dans son livre, l’auteur revient sur cet épisode qui a mis un terme à son parcours politique.
    • Bientôt un documentaire sur le congé paternel en Norvège – « Un congé paternité indemnisé à 100% du salaire pour une durée minimale de quinze semaines auxquelles s’ajoutent deux semaines incompressibles que l’employeur ne peut refuser à la naissance de l’enfant ». Voilà ce que la Norvège propose à ses jeunes pères. Et ce sur quoi portera le documentaire « Congé paternité pour tous » réalisé par Aline Thomas et Maxime Rusznieski et diffusé d’ici un mois sur Teva. On y découvre ce qu’une telle mesure peut avoir d’impacts sur la vie des familles et sur la société. Maxime Rusznieski étant convaincu que le congé paternité est « le levier » pour plus d’égalité entre hommes et femmes.