Une expérimentation qui porte ses fruits. L’association Médecins Solidaires a ouvert en octobre 2022 le premier « cabinet médical solidaire » de France à Ajain, dans la Creuse. Le principe : chaque semaine, un médecin généraliste différent vient y assurer les consultations. 52 médecins vont donc se relayer au fil de l’année afin de répondre aux besoins de soins des habitants. Avec succès, plus de 500 patients ayant déjà choisi le cabinet comme « médecin traitant ».
C’est avec soulagement que les habitants d’Ajain, commune de 1100 habitants située en Creuse, ont vu arriver le cabinet modulaire destiné à recevoir les médecins de l’association Médecins Solidaires, en octobre 2022. Depuis le départ à la retraite du dernier généraliste de la ville, il y a deux ans, les habitants étaient sans solution de remplacement. « L’idée est simple. Nous nous sommes dit qu’au lieu de demander beaucoup de contraintes à peu de médecins, nous allions en demander peu à beaucoup. C’est ce que nous expérimentons à Ajain », explique Martial Jardel, 31 ans, médecin généraliste en Haute-Vienne, co-fondateur de Médecins Solidaires.
Un médecin différent chaque semaine
L’idée de créer un mouvement de solidarité envers les patients résidant dans des déserts médicaux lui est venue lors de son « Tour de France des remplacements ». Pendant cinq mois, en 2021, le jeune médecin a effectué de multiples remplacements dans des zones rurales un peu partout en France, en logeant dans un camping-car pour plus de mobilité. « Il m’est alors apparu nécessaire de faire quelque chose en faveur des déserts médicaux ». Suite à une longue réflexion, Martial Jardel et l’association Bouge ton coq, décident de proposer à la ville d’Ajain un système de « temps médical partagé ». Ils créent ensemble l’association Médecins Solidaires en juin 2022. Le premier cabinet médical ouvre ses portes quatre mois plus tard seulement. « Nous avons demandé à des généralistes partout en France, de venir exercer une semaine, en tant que salariés, au sein de notre cabinet rural. » Cette courte échelle de temps, une semaine, est la clé selon lui de la réussite du projet. « Elle permet aux médecins de s’impliquer dans une initiative ayant un impact réel, mais qui n’a pas d’incidence sur leur vie privée ou professionnelle. »
♦ En 2021 déjà, nous vous parlions du globe-docteur Martial Jardel, relire l’article !
Convaincre les élus et la population
C’est notamment grâce à la collaboration avec Bouge ton coq que la mise en place du cabinet a pu se faire si vite. « Bouge ton coq est une association dont le but est d’agir pour trouver des solutions concrètes dans les territoires ruraux et les mettre en œuvre rapidement. Nous avons contacté le docteur Jardel et cofondé Médecins Solidaires avec lui car nous souhaitions faire quelque chose en faveur de la lutte contre les déserts médicaux », explique Gabriel Du Passage, responsable des activités liées à la santé au sein de l’association. « Il a quand même fallu convaincre les élus locaux ainsi que la population, relate Martial Jardel. Nous avons organisé trois réunions en amont avec les habitants. Ces derniers ont vite été séduits par cette solution, même si ce n’était qu’une expérimentation, qui impliquait quand même 52 médecins différents. » Les acteurs locaux (l’Agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine, la Caisse primaire d’assurance maladie, la Région Nouvelle-Aquitaine, la préfecture de la Creuse, l’agglomération du Grand Guéret…) ont débloqué des fonds pour accompagner le projet. Quant à la mairie d’Ajain, elle offre le terrain et finance la location du cabinet modulaire.
♦ Lire aussi : Marseille inaugure sa première maison médicale digitale
Trouver assez de médecins volontaires
Depuis le 31 octobre 2022, plus d’une quinzaine de médecins se sont ainsi relayés dans le Centre de santé Médecins Solidaires d’Ajain, ouvert du lundi matin au vendredi soir jusqu’à 19 heures, ainsi que le samedi matin. Deux assistantes ont été recrutées par l’association pour les épauler. « Tout le projet réside dans le fait de trouver assez de médecins volontaires », relate Martial Jardel. Certains sont des collègues rencontrés lors de son Tour de France. D’autres ont connu l’initiative par les réseaux sociaux. « Beaucoup de médecins sont attristés par ce manque d’accès aux soins. Nos volontaires viennent de partout, même des villes les plus recherchées par nos confrères, comme le centre de Paris ou Ajaccio ! ».
L’envie de revenir
Ceux qui ont déjà exercé une semaine se disent enthousiasmés. C’est le cas du docteur Elsa Leclercq, généraliste de 33 ans, qui effectue habituellement des remplacements dans la région nantaise. « J’ai exercé à Ajain une semaine en novembre 2022. J’étais la quatrième médecin à venir. Le côté solidaire du projet me parlait particulièrement. La semaine s’est très bien passée, les patients étaient vraiment soulagés de notre présence sur leur territoire. Sur place, l’aide apportée par les deux coordinatrices m’a clairement facilité les choses. La seule contrainte que nous ayons, à mon sens, est de faire l’effort d’écrire beaucoup plus dans les dossiers des patients afin qu’il n’y ait pas de perte d’information entre médecins. C’est l’une des clés de l’efficacité du projet. Mais, dans l’ensemble, cette semaine a même été plus simple que les autres remplacements que je peux effectuer. » Le docteur Leclercq est prêt à exercer de nouveau à Ajain. « Beaucoup ont envie de revenir, raconte le docteur Jardel. Ils se sont sentis très utiles, alignés avec leur philosophie et leur métier. »
-
Comment devenir médecin solidaire ? Les médecins intéressés par l’initiative de Médecins Solidaires doivent remplir un formulaire sur leur site . Un des membres de l’association les recontactera et leur proposera d’échanger lors d’une visioconférence d’une durée d’environ 45 minutes.
Ouvrir d’autres cabinets solidaires en France
Moins de six mois après l’ouverture du cabinet, les points de vigilance étaient levés. « Les habitants ont adhéré au projet, les médecins aussi. La continuité et la coordination des soins entre médecins se font sans problème », détaille le docteur Jardel. 500 habitants ont déjà choisi le centre médical comme « médecin traitant ». Ils sont d’ores et déjà reconnaissants d’avoir accès à un médecin après deux ans sans offre de soins. « Le temps médical partagé n’est pas LA solution mais une contribution à l’urgence de la situation actuelle. Dans le futur, nous espérons créer autant de centres médicaux que possible. Tout dépendra désormais du nombre de généralistes qui intégreront notre projet ». ♦
* L’AP-HM, Assistance publique des hôpitaux de Marseille, parraine la rubrique santé et vous offre la lecture de cet article *
