Fermer

[La Méditerranée, mer morte en 2050* #2] Décarboner la plaisance, c’est possible !

Par Olivier Martocq, le 4 mai 2023

Journaliste

En Méditerranée, 90% des bateaux ont plus de vingt ans d'âge ©OM

Déjà vingt mois écoulés depuis le sommet mondial de la biodiversité de Marseille et l’urgence soulevée par le GIEC*. Les annonces gouvernementales en France, comme dans les 24 pays du pourtour méditerranéen, se font toujours attendre. Mais des expérimentations concrètes font toutefois émerger des solutions, notamment pour décarboner la plaisance.

 

La plupart des plaisanciers n’ont pas conscience de la pollution générée par leur bateau. Paul Paret est ainsi tombé des nues quand les ingénieurs d’AtmoSud – l’association en charge de la qualité de l’air à Marseille et dans la région – ont transmis les analyses d’impact de son pointu en bois construit dans les années 60. « Je pollue autant que cinq voitures. On a l’impression d’être écolo sur nos barques en bois, mais en fait nos moteurs diesel qui sont anciens rejettent des saletés dans l’air et dans l’eau. À ce niveau-là, je n’en reviens pas ! »

Alexandre Michel-Flandin a lui aussi accepté la série de tests pour sa vedette de 9 mètres dotée de deux moteurs diesel. Il se montre encore plus abasourdi : « On fumait quand même pas mal, donc on se doutait qu’on polluait. Mais pas l’équivalent de 37 voitures diesel. C’est totalement fou ! »

Ça l’est d’autant plus que les bateaux testés sont amarrés sur le Vieux-Port de Marseille et donc au cœur de sa Zone à Faible Emission (ZFE). Un périmètre où la circulation des véhicules à moteur est soumise à des contraintes de normes environnementales strictes, via les vignettes Crit’Air. Avec à la clé des amendes allant de 68 à 135 euros. Difficile d’exclure de cette règlementation destinée à faire baisser la pollution de l’air les 3200 bateaux de plaisance stationnés sur le Vieux-Port.

 

Prise de conscience 

[La Méditerranée, mer morte en 2050 ? #2] Décarboner la plaisance, c’est possible ! 4
Moteur diesel de plus de 20 ans : énergivore et polluant ©OM
Le président de la Fédération des sociétés nautiques des Bouches-du-Rhône (FSN13) est conscient de l’effet dévastateur de ces tests. « Quand on est plaisancier, on aime la mer. Généralement on défend et on protège ce que l’on aime », explique Michel Lamberti. Il reconnaît cependant la nécessité d’engager un nouveau cycle beaucoup plus vertueux. « Il va falloir qu’on s’y mette tous, à commencer par les gestionnaires des ports qui doivent apporter des solutions concrètes à ces enjeux environnementaux. Des solutions qui doivent être coconstruites avec nous les plaisanciers, pour qu’elles soient viables et financièrement tenables. » Stéphane Kazarian président de la société nautique Marseille, Accueil, Culture et Tradition (MACT) a d’ores et déjà mis en place une commission environnement, associant des pilotes du port et des plaisanciers.

« On va tester des peintures sous-marines d’un nouveau type. On accueille également des bateaux qui sont passés au tout électrique ou qui vont essayer l’hybridation. Simplement, on espère que tous les efforts que nous déployons vont servir à quelque chose. Que les autorités maritimes, le gouvernement français, mais aussi ceux des autres pays du pourtour, vont embrayer ».

 

♦ Lire aussi : [Méditerranée, mer morte en 2050] #1 la plaisance se mobilise

 

La bonne nouvelle : il y a des solutions !

Un point essentiel rassure les plaisanciers. À la différence de l’automobile en termes d’émission de CO2, il est plus écoresponsable de reconditionner la flotte existante que de la renouveler. D’autant que l’enjeu environnemental se situe dans les ports et la bande côtière, là où se régénèrent la faune et la flore marines en Méditerranée. Il faut donc trouver des moyens de naviguer à l’énergie propre sur des distances relativement courtes.

[La Méditerranée, mer morte en 2050 ? #2] Décarboner la plaisance, c’est possible ! 1
Sur Capitaine Coco équipé d’un moteur électrique, il n’y a plus de pollution sonore ©OM
Des constructeurs de moteurs électriques se penchent justement depuis quelques années sur ce marché à fort potentiel. Synapseo, une société bretonne, a ainsi développé des moteurs électriques refroidis à l’eau, spécifiques aux bateaux. Pour Vincent Bedu qui la dirige, l’enjeu est de convaincre le plaisancier tenu de changer un moteur vétuste. « Le moteur électrique avec un jeu de batteries capable de lui assurer de l’autonomie convient parfaitement aux petites embarcations ou aux voiliers. Le pack coûte dans les 15 000 euros, soit le même prix que son équivalent diesel ». Sur le Vieux-Port, les premiers bateaux circulant à l’électrique font leur apparition. Capitaine Coco, une barque de 1969, sert de navire de démonstration.

Fanny Havas, sa capitaine, est enthousiaste : « On propose des expériences touristiques en mer, mais tournées vers l’écologie. Il n’y a plus de pollution sonore. Quand on arrive dans une calanque, on ne dérange plus la faune. Et de fait, on découvre un monde différent ! »  Autre solution développée par les ingénieurs : l’hybridation. L’idée est de coupler un moteur électrique à un moteur traditionnel. Jean-Pascal Plumier, le fondateur d’OZO, société à l’origine spécialisée dans les vélos et batteries électriques, s’attaque désormais au nouveau marché que représente la plaisance. « On a mis au point des kits à moins de 2000 euros. Ils sont largement suffisants pour naviguer dans les zones sensibles ».

 

Les biocarburants comme alternative

[La Méditerranée, mer morte en 2050 ? #2] Décarboner la plaisance, c’est possible ! 2
Des kits et boîtiers de conversion au super éthanol E85 pour la plaisance © Ethabox
Sur les grosses unités, surtout si elles sont dotées de deux moteurs hors-bord, la seule solution actuelle pour baisser l’impact sur l’environnement est le recours aux biocarburants. L’éthanol permet de réduire massivement les émissions de gaz à effets de serre (-77%) et les émissions de particules fines (jusqu’à -90%) des moteurs marins à essence. Des kits et boîtiers de conversion au super éthanol E85 ont donc été élaborés par Ethabox dans le cadre de la décarbonation du motonautisme. « L’utilisation du carburant E85 permet la réduction des émissions de CO2, NOx et particules fines dans des proportions pouvant atteindre 99% », assure Benoît de Cuverville son président. Il se bat désormais pour que des pompes proposant du carburant E85 soient installées dans les ports de plaisance, ce qui n’est pas encore le cas.

 

Recenser, accompagner, coconstruire

[La Méditerranée, mer morte en 2050 ? #2] Décarboner la plaisance, c’est possible ! 3
En 2021, lors du sommet de l’IUCN, le Président de la République annonçait Odysséo ©DR
Conscient des enjeux qui se profilaient, Cyprien Fonvielle a lancé il y a quatre ans Neede Méditerranée. Cette association, désormais cheville ouvrière du projet Odysséo, développe une vision disruptive de la façon de gérer ce dossier. « Il y a une vraie prise de conscience environnementale. Pour que la règlementation évolue les pouvoirs publics, les politiques en responsabilité ont aussi besoin que les solutions émanent du terrain. C’est une façon pour eux de s’assurer qu’il y a une adhésion forte et une dynamique. Ils constatent surtout que les opérateurs de terrain sont souvent prêts à aller plus loin. À pousser une évolution de la règlementation beaucoup plus forte que ce qu’ils seraient prêts à mettre en œuvre eux-même ! »

En 2021, lors du sommet mondial de la biodiversité le Président de la République annonçait Odysséo. Le temps du constat et du concept s’achève. Marseille s’apprête à accueillir le siège de cette fondation appelée à piloter les initiatives françaises pour sauver la Méditerranée. ♦