Utiliser le tri sélectif pour sensibiliser à une meilleure gestion des déchets dans l’habitat collectif : c’est ce qu’ambitionne une jeune entreprise de Grenoble, Ficha. En pratique, un capteur placé sur les poubelles des immeubles permet de sensibiliser les utilisateurs au tri. Et, surtout, de les récompenser !
Dans certains locaux à poubelles des résidences collectives de la région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA), on peut trouver des bennes jaunes équipées d’un étrange capteur : c’est le dispositif Cocon, développé par Ficha. Chaque résident les utilisant a pu télécharger l’application dédiée sur son téléphone. Il l’utilise lorsqu’il sort ses poubelles, pour savoir s’il trie ses déchets ménagers dans les règles de l’art.
Prendre le problème à la source
Vincent Hipault, Hubert Ménard et Rituraj Shrivastwa, respectivement 26 et 27 et 32 ans, sont les fondateurs de Ficha. En 2018, à Grenoble, ils développent d’abord l’idée de revendre les affiches des abribus : « Notre réflexion portait déjà sur les déchets parce qu’en temps normal, les affiches sont jetées, incinérées et pas valorisées. On les revendait aux étudiants, car on avait remarqué que la conscience environnementale montait chez eux, explique Hubert. À nos yeux, les premières actions dans ce sens étaient le tri. Mais on s’est rendu compte que les étudiants ne le faisaient pas forcément. »
Après avoir échangé avec la métropole de Grenoble, ils ont décidé de s’orienter vers la maximisation du tri à la source. C’est ainsi qu’il y a trois ans, la société Ficha a mis au point le dispositif Cocon, proposé aux collectivités et aux bailleurs. L’idée principale repose sur l’optimisation et la valorisation de la gestion des déchets afin de réduire les erreurs de tri à la source. « Avec l’application et le capteur caméra, on comprend les comportements de tri dès la pré-collecte dans les bacs de tri », explique Hubert.
Intelligence artificielle, sensibilisation et récompense
Ce qui différencie Ficha des autres initiatives dans ce domaine (de type Cliiink), c’est l’intelligence artificielle (IA), soit le cœur du fonctionnement du Cocon. « Nous sommes précurseurs dans le développement d’algorithmes de caractérisation », explique fièrement le cofondateur. Ces algorithmes permettent de caractériser les déchets et erreurs de tri, tout en « sensibilisant le mauvais geste – c’est-à-dire un tri mal fait – et récompenser le bon. »
Les récompenses sont variées : des réductions pour des activités de la ville, des paniers de légumes Phenix (constitués d’invendus de commerces)… « pour rester cohérents avec nos valeurs, on propose plutôt des récompenses compatibles avec le respect de l’environnement. »
En rendant le geste de tri plus ludique, les fondateurs espèrent en améliorer les performances… mais aussi « trier plus et trier mieux », résume Elodie Maitre, cheffe de projet prévention et amélioration du tri à la Métropole de Lyon, collectivité territoriale qui utilise le Cocon. « Cela permet aussi d’avoir des indicateurs : quels emballages sont triés, quelles erreurs sont faites, et quelle quantité on va récupérer dans les bacs jaunes. »
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Aider les collectivités et les habitants à créer du lien
Dans un habitat collectif, on trie deux à trois fois moins que la moyenne nationale. Le dispositif mis en place par Vincent et Hubert permet aux bailleurs d’y améliorer la gestion des déchets. Et à la collectivité d’améliorer ses performances de tri. Le responsable territorial pour la région AURA chez Citeo (au service des entreprises pour réduire l’impact environnemental de leurs emballages et papiers, en les transformant en nouvelles ressources) est ambitieux. Thomas Flusin entend « doubler le taux de recyclage des emballages” dans les quartiers disposant du Cocon, avant de “déployer ce dispositif à une plus grande échelle. »
Au-delà de l’aspect environnemental, l’intérêt de cette application est également social. « On peut recréer du lien entre les habitants, entre le locataire et le bailleur, souligne Hubert. On travaille actuellement sur des récompenses collectives, qui ont encore plus de sens socialement. » Le bailleur peut par exemple s’engager à réaliser des aménagements (du fleurissement, des cages de buts de football dans la cour…) comme récompense pour les locataires. Mais les collectivités déplorent également un non-respect des locaux poubelles, parfois souillés. « Les bailleurs sociaux comme les collectivités sont un peu perdus face à ce problème et voient en notre programme ludique une solution potentielle », positive le cofondateur.
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Un intérêt économique et environnemental
« L’objectif est de poser des Cocons partout où il y a des problèmes de tri », développe Hubert. Et pour localiser les endroits nécessitant un travail de sensibilisation et de prévention, ils placent leurs caméras dans les camions-poubelles. Une fois identifiés, ils sont dotés de Cocons.
Ce dispositif est actuellement utilisé dans une quinzaine d’habitats collectifs à Grenoble, Lyon et Paris. Les usagers y voient l’occasion de se mettre au tri. Hubert note un intérêt grandissant pour la gestion des déchets, ici comme à l’international. Il pense que la Taxe générale sur les activités polluantes (lire bonus) est un levier qui incite les collectivités à rapidement trouver des solutions. « Cela joue beaucoup, sans compter les enjeux environnementaux », insiste-t-il.
Si Ficha est assimilée à une green tech – une entreprise qui lie technologie et environnement -, elle reste une innovation de rupture intégrant de l’intelligence artificielle. « Donc ce n’est pas si simple de l’industrialiser », souligne-t-il.
Le tissu ingénierie grenoblois et l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) ont également contribué au bon développement de cette entreprise qui œuvre contre la prolifération des déchets mal traités. « Un enjeu majeur du 21e siècle », selon le cofondateur.
Une commercialisation imminente
Le bouche-à-oreille demeure la méthode la plus efficace pour se faire connaître. « Les bailleurs et collectivités travaillent avec nous, donc parlent de nous, se réjouit Hubert. Et on échange avec les opérateurs déchets que sont Suez et Véolia par exemple. Ils n’ont que la casquette de collecteur, donc ils ont tout intérêt à nous intégrer dans leurs appels d’offres pour la partie sensibilisation. »
Avec une aide financière de la Région, en addition au chiffre d’affaires et à une levée de fonds (déjà réalisée) pour employer davantage de personnes, l’étape suivante est démultiplier les ventes du Cocon. « Notre objectif 2023 est d’en commercialiser une centaine. » ♦
Bonus
La Taxe générale sur les activités polluantes. La TGAP est une taxe gouvernementale. Mise en place en 1999, elle a pour objectif d’encourager les producteurs d’activités dites « polluantes » à réduire leur empreinte environnementale.
Mesure phare de la FREC (feuille de route de l’économie circulaire), elle s’inscrit aussi dans un projet de loi de gestion des déchets et fait partie de la fiscalité déchets.
Elle implique que toute entreprise ou particulier ayant des activités à fortes externalités environnementales négatives. Son montant est alors calculé en fonction des :
- Quantités et natures des déchets produits ;
- Émissions polluantes ;
- Matériaux d’extraction.
Le taux appliqué à chaque facteur est modifié chaque année. D’autres précisions sur ce site officiel.