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Entreprises au temps du Covid : leur mémoire conservée à Roubaix

Par Régis Verley, le 16 mars 2021

Journaliste

Née d’une initiative privée, la « Mémoire des entreprises au temps de la COVID 19 » vient de trouver sa place au sein des Archives nationales du monde du travail, à Roubaix. Ultime étape d’un étonnant et singulier parcours de recueil de témoignages des chefs d’entreprise sur cette crise unique dans sa nature.

 

Que restera-t-il de cette longue, très longue, année de confinement ? Lorsque la crise du COVID ne sera plus qu’un souvenir, une étape imprévue dans le cours d’une vie ? On sait que les témoignages sont et seront nombreux. Des écrits, des livres, des blogs ont vu le jour et surgissent encore. Des collectivités locales, des centres sociaux, des associations ont entrepris de réunir et partager des témoignages. De donner la parole à ceux qui ont subi, dans la douleur ou la joie, dans la dépression ou la découverte, cette transition inédite dans leur existence.

 

À crise exceptionnelle, idée exceptionnelle

Les entreprises de l’hexagone ont, elles aussi, subi un choc d’une violence inouïe. Il a fallu, dans l’urgence, prendre une multitude de décisions. Rapatrier des salariés partis à l’étranger, maintenir les filières d’approvisionnement, organiser le télétravail, assurer l’entretien, maintenir le contact avec les clients… Pour en faire état, un recueil de parcours et de témoignages de chefs d’entreprises a été imaginé.

L’idée en revient à « Perles d’histoire », une agence parisienne de conseil et d’ingénierie patrimoniale. Bien vite rejointe par KPMG France, leader de l’audit et du conseil en entreprise, avec l’Observatoire B2V des Mémoires et ESCP Business school. Le panel réunit toutes les expertises : la connaissance de l’entreprise, le contact avec les dirigeants, un savoir académique, des enseignants et des chercheurs.

Plus, au final, les Archives du Monde du Travail, organisme public qui garantit la valeur et l’entretien d’une base conçue pour garder et fournir cette trace du passé.

 

40 témoignages triés sur le volet

Quarante dirigeants d’entreprise ont ainsi accepté un entretien oral, souvent en visioconférence. Ils ont raconté la réalité de leur entreprise au temps du Covid. Un guide d’entretien semi-directif avait été établi par « Perles d’Histoire » pour permettre une certaine cohérence, faciliter les comparaisons et analyses. Fixés à une trentaine de minutes, les entretiens ont été menés par des consultants spécialisés de la vie en entreprise. Les plus grandes sociétés françaises, inscrites pour la plupart au CAC 40, ont accepté : Air France, ADP, Renault, Sodexo, Total, Zadig & Voltaire pour n’en citer que quelques-unes. Ainsi que La Redoute, à Roubaix.

La mémoire des entreprises au temps du Covid conservée à Roubaix 1
Photo Pixabay

Les dirigeants se sont volontiers prêtés au jeu de l’entretien, convaincus qu’ils avaient tous vécu et assumé une période particulièrement exceptionnelle. « Les dirigeants ont dû faire preuve de créativité, d’innovation et de maîtrise face à une situation subie et un environnement mouvant sur lesquels ils n’avaient pas ou peu de prises. C’est l’intégralité du fonctionnement de l’entreprise qui a dû être revue. Avec un flou constant, dans un contexte particulièrement anxiogène et tendu […] », note dans sa présentation Isabelle Pécou, directrice générale de l’Observatoire B2V de Mémoires.

 

 

Une histoire de la crise, pas des anecdotes

Il s’agit pas, pour les promoteurs de l’opération, de collecter des anecdotes ou des états d’âme. Mais bien de constituer une histoire de la crise, utile dans l’avenir. Une leçon pour les futurs managers. Un outil de prévention et de prévision pour les responsables.

« Cette initiative, affirme Frank Bournois, Directeur général de ESCP, constitue avant tout une source prolifique pour la recherche et l’enseignement. Le partage des expériences va renforcer notre aptitude à tirer des leçons et à gérer différemment. La pédagogie de l’anticipation sera l’une des clés de la formation des managers et dirigeants de demain. »

 

Une journée de présentation le 25 mars

À ce jour, l’ensemble des témoignages a rejoint les Archives du Monde du Travail où commence l’indexation des documents. Ils seront ensuite mis à disposition du public. « Nous sommes le garant juridique du bon usage de ces archives », note Anne-Claire Bourgeon, conservatrice. « Nous avons proposé aux entreprises de choisir entre une mise à disposition immédiate, ou un délais de 25 ans avant que ces archives ne soient ouvertes. Il était encore possible que la consultation soit réservée aux usagers des salles des archives ».

La mémoire des entreprises au temps du Covid conservée à Roubaix 4
Anne-Claire Bourgeon, conservatrice

En vérité, la plupart des responsables se sont prononcés pour une mise à disposition immédiate. Les vidéos d’entretien commenceront donc à être mises en ligne le 25 mars. Date d’une journée d’étude nationale qui réunira tous les partenaires.

Le travail de mémoire est prévu pour s’inscrire dans la durée. Ouverts au public, les témoignages des entreprises serviront aux chercheurs, aux enseignants et aux étudiants, tout comme aux historiens. « Ce qui compte pour nous, c’est que cela s’inscrive dans la durée », souligne Anne-Claire Bourgeon. Pour que dans dix ou vingt ans, quoiqu’il arrive, on puisse se référer aux traces de cette période particulière.

 

 

Loin des grimoires, la mémoire immédiate

Cette jeune conservatrice, récemment arrivée à Roubaix pour s’occuper de la collecte et du traitement des archives, se passionne pour une telle expérience. « Il ne s’agit plus ici de se plonger dans les grimoires, mais d’accéder à la mémoire immédiate telle qu’elle se construit », apprécie-t-elle.

Pourrait-on déjà tirer des enseignements ? Anne-Claire Bourgeon le pense. Selon elle, tous les dirigeants ont vécu cette période comme un temps historique et unique. Tous sont convaincus d’avoir à préparer un monde où de tels changements, dans une telle brutalité, resteront possibles. « En même temps, tous ont su faire preuve de résilience et d’adaptation ».

Bien sûr, les Archives qui ont pris leur part dans l’organisation de l’opération souhaiteraient poursuivre. « Il serait intéressant de collecter également les mémoires des organisations syndicales, les comptes-rendus des Comités d’entreprise pour compléter ces tableaux ». De la même manière, il serait bon de pouvoir aussi s’adresser aux dirigeants d’entreprises plus petites. Pour constater que, là encore, la crise du COVID a été porteuse de difficultés comme d’innovations.

 

Et rendre compte du retour à la normale ?

Le mécénat a permis le financement de cette première opération. Mais d’autres apports seraient bienvenus. Notamment pour la possibilité d’une suite. Quels témoignages pourra-t-on obtenir du retour à la normale dans les entreprises ? Les habitudes seront-elles celles d’avant ? Les salariés absents, dans certains cas pendant plusieurs mois, retrouveront-ils tous le chemin de leur poste de travail ? Toute cette autre période reste à décrire. D’ici là, la petite histoire du Covid 19 vue par la lorgnette des entreprises françaises aura peut-être gagné un H majuscule. ♦

À quoi peut ressembler une start-up sociale ? 5

 

*RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité *

 

Bonus [pour les abonnés] –

Les Archives du Monde du Travail – L’usine Motte-Bossut, patrimoine industriel de Roubaix – L’Observatoire B2V des Mémoires –

  • Les Archives du Monde du Travail – Installées à Roubaix depuis 1993, dans les bâtiments d’une ancienne filature, elles conservent plus de 50 km linéaires de documents. Y est collecté et conservé tout ce qui a trait à la vie économique et professionnelle. Notamment les archives d’entreprises, de syndicats, de comités d’entreprise et d’associations. Mais aussi des photos, des affiches, des documents d’époque.

Ce patrimoine est accessible à tous. Une partie des documents est consultable en ligne.

 

  • L’usine Motte-Bossut – Elle fait partie de ces « châteaux de l’industrie » construits dans la deuxième moitié du XIXè siècle sur le modèle britannique. Reconstruite en 1865 par Louis Motte, après un violent incendie qui l’avait ravagée, elle abritera une filature de coton. Cette forteresse néogothique présente certains éléments architecturaux caractéristiques : hauts murs percés de centaines de fenêtres, grande cheminée de brique rouge, tours crénelées, dimensions imposantes, etc…

Après la cessation d’activité en 1981, l’usine, reprise par l’État, a été transformée par l’architecte Alain Sarfati.
Elle fait partie de ces « châteaux de l’industrie » construits dans la deuxième moitié du XIXè siècle sur le modèle britannique.

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  • L’Observatoire B2V des MémoiresCe laboratoire sociétal centré sur la mémoire créé en 2013 pr la groupe de prévoyance du même nom participe à l’étude et à la mise en valeur des connaissances sur le fonctionnement de la mémoire. Il a pour objectif d’approfondir la compréhension de la mémoire sous toutes ses formes. Il traite notamment de la mémoire individuelle, de la mémoire numérique, de la mémoire collective ainsi que de la mémoire d’entreprise tel un « patrimoine immatériel » influant sur de nombreux vecteurs humains, environnementaux et économiques.
    Son conseil scientifique réunit des chercheurs en neurosciences et sciences humaines.

La principale mission de l’Observatoire est de soutenir la recherche, diffuser la connaissance auprès des experts, des scientifiques et du grand public, et ce, dans le but de favoriser la prévention. Afin d’assurer cette mission, différentes actions ont été mises en place : soutien aux études, Semaine de la mémoire, création d’un accélérateur d’innovation sociale.